Oser en France enseigner Martin Luther King aux jeunes musulmans

Auteur

Driss Mahdi

Année de publication

2008

Cet article est paru dans
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Driss Mahdi lit tous les livres au sujet de Martin Luther King. Pour lui, la non-violence telle que King l'a prêchée devrait être instruite aux jeunes qui s'identifient facilement à sa cause : des jeunes noirs-africains. Plus précisément encore, c'est les jeunes musulmans qu'il souhaite toucher, ses convictions personnelles le poussant à s'adresser à ses frères et soeurs en religion.  

ANV : Dans quel contexte, ces dernières années, avez-vous parlé de Martin Luther King à de jeunes musulmans ?

Driss Mahdi : J’ai enseigné l’histoire de Martin Luther King dans beaucoup d’écoles liées à des mosquées où je travaillais pendant dix ans, et je demande aux musulmans d’oser enseigner King et ses frères nonviolents au sein des écoles des mosquées de la cité. Plus particulièrement j’ai enseigné Martin Luther King et Gandhi à l’École de la paix de Saint-Ouen (mosquée et école Salam) où il y a beaucoup d’élèves noirs africains musulmans. Plusieurs groupes ont réalisé des exposés, suivis d’échanges avec la classe. Devant l’intérêt qu’ils soulevaient, ces jeunes ont été invités par d’autres enseignants à faire leurs exposés devant d’autres classes.


ANV : Qu’est-ce qui intéresse le plus ces jeunes et moins jeunes dans la vie et l’action non-violente conduite par King ?

Driss Mahdi : La première chose qui intéresse les jeunes, et surtout les jeunes africains, c’est le fait que Martin Luther King soit de couleur noire. Ils ressentent à travers lui la valeur des hommes et des femmes noirs. Puisque King est aussi un héros pour les Blancs, ces jeunes blacks veulent faire comprendre que nul ne doit être jugé à la couleur de sa peau.


ANV : Vous n’étiez pas gêné de leur parler d’un chrétien, mais, eux, étaient-ils réticents à découvrir la figure d’un chrétien non-violent ?

Driss Mahdi : Ces jeunes à qui je parlais de King ne s’intéressaient pas dans un premier temps à sa religion, cela ne venait qu’après. C’est ainsi que plusieurs auraient aimé que Martin Luther King ait été musulman, que le soient toutes les autres grandes personnalités connues pour la justice et la paix dans le monde.

Quand, dans les mosquées et les écoles des mosquées, je parle d’une personnalité non-violente et de ses livres, je fais toujours attention parce que la culture religieuse musulmane actuelle — je ne dis pas l’islam ! — est contre la référence à des noms de personnes non musulmanes. Je commence donc toujours par me référer à des savants, penseurs, philosophes et grands imams musulmans pour gagner la confiance des gens avec qui je discute et que j’enseigne. Une fois cette confiance gagnée, je peux ensuite leur parler aisément de non-violence.

J’ai envie, ici, de dire quelque chose à mes amis non-violents de la revue Alternatives non-violentes: il est vrai que l’islam n’a pas donné de figures de la non-violence aussi grandes que Gandhi et King, mais il y eut, et il y a de nos jours, de nombreux musulmans, grands penseurs et militants de la non-violence, et, cela, on ne le sait pas assez.

Vous imaginez bien que ces auteurs me passionnent ! Une fois ces grandes figures évoquées et cités lors de mes interventions, je n’ai ensuite plus aucun souci pour parler de personnalités non musulmanes comme Gandhi, lequel, ne l’oublions pas, a toujours été bienveillant pour l’Islam, les musulmans et leurs droits, notamment dans une Inde unie.


ANV : Quelle action non-violente de King est la plus marquante pour vous ?

Driss Mahdi : Pour moi, tous les combats non-violents menés par Martin Luther King sont très importants, ainsi que toutes ses idées et sa philosophie sur la non-violence. C’est pour cela que je traque comme un chien de chasse tous les livres relatifs à sa pensée et ses actions. Chacun de ses combats — que ce soit celui à Montgomery en 1955, ceux à Birmingham puis à Washington en 1963, ou encore à Selma en 1965, comme son opposition à la guerre au Vietnam en 1967 — est très important.

Je reviens toujours à la réalité de ces luttes nonviolentes pour m’aider à mieux comprendre ma propre religion et à trouver des commentaires non-violents au Saint Coran, lesquels doivent être en lien avec les circonstances, les situations de la vie. Dans chacune des actions de Martin Luther King, les militants pour l’intégration, les droits de l’Homme…, peuvent de nos jours puiser des réponses pour que progressent, en France comme ailleurs, l’égalité des droits, les libertés individuelles, et plus de solidarité. Les banlieues ont besoin de tout cela, j’en sais quelque chose puisque j’y vis, mais il n’y a pas que les banlieues à en avoir besoin de manière urgente.


ANV : Parlez-vous aussi de Malcolm X, de ses idées et actions souvent violentes ?

Driss Mahdi : Oui je parle de Malcolm X, j’admire son histoire et son courage. Je m’intéresse beaucoup à sa vie après son pèlerinage à la Mecque. J’ai été profondément touché par sa biographie que j’ai commencé à lire par la partie intitulée « La Mecque », dans laquelle Malcolm X raconte comment il a découvert un islam non raciste, ne faisant pas de différence entre un Blanc et un Noir, entre un Noir africain et un Blanc américain, entre un musulman et un non musulman, ce qui a changé radicalement sa vision de l’homme blanc. J’aime beaucoup ce qu’a écrit James H. Cone dans son livre Malcolm X et Martin Luther King, Même cause et même combat, à savoir :

« Vu leur profond respect l’un pour l’autre et leur influence mutuelle, l’écrivain James Baldwin suggéra qu’au moment où chacun d’eux atteignit sa mort, il n’y avait pratiquement plus aucune différence entre eux. »

Ce qui a également été signalé par Harlem Désir dans son entretien avec Non-violence actualité, en mai 1992. N’oublions pas que Malcolm X n’a pas eu la chance de découvrir la non-violence comme Martin Luther King a pu la découvrir. Si la non-violence était venue à Malcolm X comme elle est venue à Martin Luther King, peut-être que Malcolm X, avec son courage, aurait atteint la hauteur de Gandhi lui-même.


ANV : Que répondez-vous aujourd’hui à vos frères musulmans qui, en France, pensent que la non-violence mène à une impasse, que seule la violence peut conduire à plus de justice dans les banlieues comme ailleurs ?

Driss Mahdi : Je suis toujours en discussion avec mes amis sur la non-violence et l’action non-violente, soit au niveau de la France soit au niveau international. J’échange une dizaine de lettres par semaine, sur la nonviolence et l’action non-violente, avec plusieurs chercheurs universitaires musulmans. On se rencontre. Nos échanges et débats sur la non-violence touchent au niveau international un groupe d’étudiants, chercheurs, écrivains et philosophes de plus de 150 membres masculins et féminins, dans une vingtaine de pays répartis sur quatre continents. Les musulmans qui ne veulent pas comprendre la non-violence sont comme les croyants des autres religions qui ne l’admettent pas non plus : elle ne serait pour eux que lâcheté, passivité ou trahison…, et non l’arme efficace pour lutter contre l’injustice qui règne pourtant dans chaque millimètre du monde arabe et musulman.

Je dis que les philosophes et écrivains arabes et musulmans ont pour mission aujourd’hui de faire connaître la non-violence ; heureusement que quelques-uns ont pris cette responsabilité au sérieux.


ANV : Avez-vous des informations sur la parution en arabe du Dictionnaire de la non-violence de Jean-Marie Muller ?

Driss Mahdi : Le Dictionnaire de la non-violence de mon cher ami philosophe et militant non-violent Jean-Marie Muller mérite la traduction dans toutes les langues ! Je remercie Dieu que cet ouvrage ait été traduit en arabe par Monsieur Mohamed Abdoul Jali, puis relu par Monsieur Dimitri Afyérinos, membre du site Internet Maaber 1 . C’est à ces deux personnes non-violentes et à mon ami Akram Antaki que revient le mérite de cette traduction, et c’est Madame Darin Ahmed, membre de Maaber, qui en a fait la publication sur ce site le plus visité du monde arabe. Je crois vraiment que beaucoup d’intellectuels de ma religion vont maintenant de plus en plus s’intéresser à la non-violence et à l’action non-violente, tant ils vont trouver dans le Dictionnaire de la non-violence la possibilité d’aborder les grandes lignes du principe de la non-violence et de la stratégie de l’action non-violente.

À travers le Dictionnaire de la non-violence, on peut vraiment découvrir une partie de la philosophie et de l’action non-violente de Martin Luther King et de celle des autres partisans de la non-violence.
 


1) maaber.org est un site arabe très visité, avec des articles en arabe, parfois traduits en anglais ou en français (Ndlr).


Article écrit par Driss Mahdi.

Article paru dans le numéro 146 d’Alternatives non-violentes.