« Pour la voie africaine de la non-violence »

Auteur

Jean-Bosco Ntep

Année de publication

2009

Cet article est paru dans
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Avec pour titre Pour la voie africaine de la non-violence, un livre fondamental vient d’être publié au Cameroun. Il s’intéresse de fait aux réalités de toute l’Afrique subsaharienne. L’intitulé de quelques-uns de ses chapitres indique la pertinence des propos, par exemple : « La non-violence : un tournant de civilisation », « Vaincre la violence et éradiquer la torture en Afrique », « Croire en un Dieu désarmé », « Pour une éthique africaine de la non-violence », « Plaidoyer pour la femme », « Enjeux et perspectives de la non-violence en Afrique », etc. La parution récente de cet ouvrage de 395 pages constitue un passionnant rendez-vous avec l’histoire africaine.

« Sur la philosophie et la pratique de la non-violence comme socle de l’éducation à la paix et comme base de la construction d’une société de justice, de prospérité et de respect des droits humains, l’Afrique n’avait pas encore, vigoureusement et de manière décisive, imposé sa voix dans le concert de la réflexion mondiale. Malgré la présence et le dynamisme de nombreuses associations et mouvements de la société civile qui se sont appropriés les méthodes de l’action non-violente dans beaucoup de nos pays, notre continent ne s’était pas encore clairement penché avec détermination sur ce sujet selon une perspective novatrice. Soit pour dire ce qu’il croit et ce qu’il pense. Soit pour montrer ce qu’il vit et ce qu’il endure. Soit pour rythmer ce qu’il imagine et ce qu’il espère dans un domaine où, plus que jamais, l’humanité a besoin de toutes les sagesses de ses peuples.

Informé, comme tous les continents, des visions de Gandhi, de Martin Luther King ou de Dom Helder Camara sur l’indispensable nécessité et l’impératif de la non-violence en tant que voie d’une concorde et d’une harmonie authentiques entre les humains, il n’a pas jusqu’ici donné l’impression de s’être profondément et clairement interrogé à large échelle sur ce que sa propre tradition culturelle, ses trésors religieux, ses mystiques de fond, ses normes sociales et ses valeurs de culture peuvent apporter au monde face à l’infinie barbarie qui ravage notre planète.

Enserré dans une modernité où la politique, l’économie, les rapports internationaux et les relations entre les religions sont embrasés par une sauvagerie absurde et multiforme, il n’avait pas encore pris tout le soin nécessaire pour se regarder en face, se penser dans l’ordre mondial du point de vue de ce qu’il y subit et du point de vue de ce qu’il y est devenu dans les mécanismes de domination et d’exploitation qui y règnent. Au fond, l’Afrique n’a pas jusqu’ici proposé un nouveau projet de civilisation fondé sur la non-violence dans ses racines et dans son suc d’humanité africaine.

Le présent livre comble ce vide. Publié dans le cadre des recherches du Cercle international pour la promotion de la création (CIPCRE, Cameroun) et de l’Association œcuménique des théologiens africains (AOTA), cet ouvrage rassemble les contributions des chercheurs qui réfléchissent depuis longtemps sur les problèmes cruciaux de l’Afrique contemporaine. Avec passion et lucidité, ces chercheurs abordent ici le problème de la non-violence comme socle de la construction de l’avenir, en Afrique comme partout dans le monde. Ils se situent dans une orientation radicale, qui lie vigoureusement la réflexion sur l’expérience de la tragédie des souffrances africaines, hier comme aujourd’hui, et le besoin d’une nouvelle éthique d’humanité, d’une nouvelle spiritualité mondiale et d’une intelligence globale des enjeux de la paix à l’échelle de la planète.

Ce qui frappe dans l’approche proposée ici, c’est l’adhésion totale de tous les auteurs des textes qui composent ce livre au projet d’une vision non-violente de l’humain. Aucune réticence, aucun doute, aucune volonté de recourir à un quelconque réalisme ou à des subterfuges théoriques pour justifier la violence ne sont ici de mise. Nous nous trouvons devant un projet d’ensemble qui fait de l’exigence de la non-violence le vrai chemin de l’avenir et la base de l’éducation pour la construction d’une nouvelle société africaine, d’une nouvelle société mondiale.

Ce projet est rythmé au nom de la sagesse profonde de l’Afrique, au nom de l’histoire tragique des souffrances africaines. Au nom, également, de la vision que nous avons, partout dans nos pays africains, des drames d’une modernité inondée de sang et subjuguée par ses propres terreurs.

Une modernité où les tueries, les massacres, les exterminations, les guerres mondiales et l’inimaginable absurdité de la Shoah, tout comme l’indicible génocide des Tutsi au Rwanda, donnent toute la mesure de l’inhumanité du monde.

Cette modernité, le pape Benoît XVI a raison d’en dénoncer constamment l’esprit malfaisant du nihilisme, du relativisme et du matérialisme, ce venin qui détruit en profondeur toutes les aspirations humaines à une paix véritable sur la terre et toutes les quêtes d’une justice fondée sur la vérité. Dans sa nouvelle encyclique Caritas in Veritate, qu’il consacre au développement humain plénier, le saint-père met en relief toutes les conséquences nocives auxquelles conduit le refus de s’ouvrir à la vérité et de rechercher la vérité face aux dangers du matérialisme, du relativisme et du nihilisme. Au sein de notre monde actuel qui a besoin d’être refondé sur les vraies valeurs de l’humain afin d’échapper aux violences innombrables qu’il ne cesse de produire, d’entretenir et de justifier par une multitude de raisons aussi fallacieuses les unes que les autres, cette préoccupation du pape montre à quel point le chemin de la justice et de la paix a besoin d’une non-violence conçue et vécue comme projet global d’humanité, ainsi que le présent livre tend à la promouvoir.

En même temps qu’il mise sur la non-violence comme projet global d’humanité, ce livre s’enrichit d’un autre mérite : il fait voir la violence du monde actuel comme un système auquel il faut s’attaquer en tant que tel, globalement. Le combat à mener ne concerne pas seulement telle ou telle violence particulière, telle ou telle barbarie identifiable dans tel ou tel coin du monde, mais la violence même de la société mondiale comme elle fonctionne réellement dans sa fureur destructrice.

Il ne concerne pas seulement tel ou tel pays spécifique, telle ou telle zone géographique particulière, telle ou telle région précise du monde en proie à des destructions massives, mais tout l’ordre, ou plutôt, tout le tourbillon du désordre qui structure l’espace de la planète dans la vie de tous les jours.

Cet espace tel qu’il est structuré a besoin d’un nouvel ordre vital. Dans la manière dont il formate les esprits, forge les personnalités, sécrète les mentalités guerrières et arc-boute les nations les unes contre les autres, il a besoin d’une nouvelle vision de son présent et de son avenir.

C’est cette vision qui est proposée dans le présent livre, à travers un effort de pensée qui fait converger les sagesses, les spiritualités et les religions du monde vers l’émergence d’un nouvel ordre global de la non-violence. Un ordre capable d’irriguer de nouvelles politiques, de nourrir une nouvelle vision de l’économie et de promouvoir une culture de la paix durable dans une société de nouvelles espérances pour l’humanité.

Pour être fertile, une telle ambition exige des stratégies concrètes d’action tant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle des nations. Les auteurs de ce livre en proposent quelques-unes, en toute lucidité, en toute sérénité. À partir des cas concrets et de l’analyse des violences spécifiques (domestiques, politiques ou socioreligieuses), ils montrent clairement dans quelle direction il convient d’aller et ce qu’il convient de faire pour élever l’humanité à la hauteur de la non-violence comme moteur de l’humain.

Le troisième mérite de ce livre est justement de proposer des voies crédibles, qui concernent autant le champ des forces spirituelles et éthiques que celui des actions politiques, économiques et culturelles, sur la base de ce que l’Afrique est capable d’imaginer, malgré le lot quotidien de monstruosités, barbaries et sauvageries qui dominent sa vie de tous les jours. Cette vie dont la trame est un miroir grossissant qui met en toute lumière les exigences de rupture à assumer et les choix à faire pour que l’humanité ait encore un avenir.

Le dernier mérite des textes de ce livre, c’est de s’adresser directement aux consciences individuelles, aux capacités de réflexion et de décision de chaque personne pour une option décisive dans la vie : l’option même de la non-violence comme socle de la paix et comme garantie d’un ordre social et mondial crédible.

Dans le contexte actuel de notre planète, où l’on a tendance à exacerber les instincts meurtriers des foules et à condamner les individus à s’identifier aux causes collectives complètement destructrices, il est bon que des hommes et des femmes de pensée nous rappellent la base sur laquelle sont fondées l’éthique et la spiritualité de la non-violence. À savoir : l’indispensable nécessité de la conversion personnelle à la paix comme base d’une vie communautaire de prospérité et d’une vision publique et collective du développement humain.

Avec les richesses des perspectives ainsi ouvertes, je suis convaincu que ce livre sera utile à tous ceux et toutes celles qui ont foi en la possibilité d’un autre monde à bâtir. À eux, tous et toutes, je recommande les réflexions riches et profondes que les auteurs nous proposent ici. »



* Évêque du diocèse d’Édéa (Cameroun). ANV reproduit ici, de Jean-Bosco Ntep, la préface du livre de Kä Man et Jean-Blaise Kenmogne, Pour la voie africaine de la non-violence, Yaoundé (Cameroun), Éditions CLE, 2009, 395 pages.


Article écrit par Jean-Bosco Ntep.

Article paru dans le numéro 152 d’Alternatives non-violentes.