Des forces non-violentes en temps de guerre

Auteurs

Paola Caillat, Cécile Dubernet et François Marchand

Année de publication

2013

Cet article est paru dans
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Les forces non-violentes en temps de guerre existent depuis la fin du XXème siècle. Leur but est de protéger les civils, sans utiliser d’armes et en ayant recours à des moyens non-violents. Ces forces non-violentes travaillent dans l’ombre des institutions internationales, qui utilisent pourtant leurs techniques sans les nommer comme telles. Ces forces font face à un double défi : d’une part, affirmer leur légitimité et leur efficacité dans les conflits en cours; d’autre part, s’adapter continuellement à l’évolution de ces derniers.

L’intervention civile de paix, ou le déploiement de forces non-violentes dans un conflit, existe et trace des réels espoirs pour réguler de manière non-violente des conflits où des armes se font pourtant entendre. Cette forme d’intervention ne manque pas de volontaires formés mais de moyens financiers pour se développer.


La notion d’intervention internationale a beaucoup évolué à la fin du XXe siècle, la politique de la «canonnière » laissant de plus en plus souvent la place à l’intervention humanitaire et à d’autres formes d’ingérences non militaires ou moins militarisées. La notion du « tout militaire » s’effrite. C’est dans ce contexte que, à partir des années 1990, se développe un nouveau concept, l’intervention non-violente, souvent nommée en France « Intervention civile de paix » (ICP).


Première partie : vers le développement d’une intervention civile de paix francophone


Le pionnier : PBI

Dès 1981, les Peace Brigades International (PBI, alias les Brigades de paix internationales) sont créées. Cette ONG invente littéralement l’accompagnement protecteur non-violent qui va devenir l’une des techniques de base de l’intervention civile. L’une des missions qui fit leur renommée fut la protection au Guatemala de Rigoberta Menchu 1 qui recevra le prix Nobel de la paix en 1992.

PBI travaille dans des zones de conflits et de forte répression. Les volontaires internationaux accompagnent des personnes, organisations et communautés menacées, parfois 24 heures sur 24, chez elles, sur leur lieu de travail, aux réunions publiques et partout où elles peuvent représenter une cible. Dès le début, PBI pose les bases d’une intervention civile : référence explicite et revendiquée à la non-violence, déploiement sur le site du conflit de volontaires non-violents internationaux, ne prenant pas partie dans le conflit et s’interposant pour protéger les personnes et organisations qui œuvrent de façon non-violente en faveur de changements sociaux et politiques.

PBI insiste sur l’importance de la formation et de la préparation de ses volontaires et sur le devoir de noningérence dans les conflits. Outre ses équipes de volontaires, PBI a mis en place un vaste réseau international d’organisations et de personnes qui peut intervenir en soutien de ses volontaires, voire les protéger eux-mêmes. À notre connaissance, depuis sa création, PBI n’a eu à déplorer aucun décès violent de volontaire, ce qui est remarquable compte tenu des contextes d’intervention. PBIdispose depuis 1992 d’une branche française active 2.

La notion de « Service civil de paix » (SCP), venu d’Allemagne après 1989, vient compléter celui d’ICP. En 1998, le gouvernement allemand décide d’institutionnaliser un programme de SCPcomme nouvel outil de la politique allemande de développement et d’y attribuer des financements publics. À l’heure actuelle, et malgré un important travail de plaidoyer à l’échelle européenne, c’est le seul programme validé au niveau institutionnel.

Peu à peu, les expériences des interventions de terrain se multiplient, les notions se précisent et se clarifient. La création de Nonviolent Peaceforce (NP) en 2002 va donner une accélération et une forte concrétisation à la notion d’ICP ou d’Unarmed Civilian Peacekeeping en anglais. C’est d’ailleurs, chose remarquable, la première et la seule ONG à ce jour qui, affichant ouvertement son choix de la non-violence, a reçu une mission officielle d’intervention de l’Organisation des Nations unies (ONU) : une mission au Sud Soudan depuis 2009. C’est aussi la seule qui offre un statut de professionnel et non de volontaires aux intervenants en ICP.


Les initiatives françaises

Durant les années 1990, plus que tout autre conflit dans le monde, ce sont les guerres en exYougoslavie qui ont marqué les promoteurs français de l’intervention civile. L’organisation Balkan Peace Team a été très active dans toute l’ex-Yougoslavie. C’est surtout au Kosovo que la branche française, Équipes de paix dans les Balkans (EPB), s’est illustrée avec une présence permanente de volontaires à Mitrovica, entre 2001 et 2005, période post conflictuelle, avec un soutien constant de 1999 à nos jours 3 .

En France, c’est l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits (IRNC) qui a lancé la réflexion sur cette approche nouvelle d’intervention dans les conflits. Après 1989 et la fin de la guerre froide, l’IRNC a recentré sa réflexion sur le problème des conflits locaux, ce qui a abouti à plusieurs initiatives remarquables. Tout d’abord la publication, en 1997, d’un ouvrage de Jean-Marie Muller, directeur des études de l’IRNC, Principes et méthodes de l’intervention civile 4 qui est encore l’un des rares ouvrages en français sur ce thème. L’année précédente (1996) l’IRNC était, avec le Mouvement pour une alternative non-violente (Man), l’un des initiateurs du Comité français pour l’Intervention civile de paix (Comité ICP), un collectif d’organisations 5 de solidarité internationale, d’associations de chercheurs et de mouvements de la société civile dont l’objectif est de promouvoir et de développer des moyens civils d’intervention sur les conflits, en travaillant à la formation et à la préparation de volontaires.

Les membres du Comité ICP demandent (vainement !) au gouvernement français que le programme de formation bénéficie d’un financement public. En 2000, après un premier échec faute de financement, le Comité ICP organise sa première formation de volontaires, à laquelle participent douze stagiaires. Depuis lors, d’autres sessions de formation suivront presque chaque année. En 2001, l’IRNC et le Comité ICP co-organisent un colloque international à l’Assemblée nationale, à Paris : « L’intervention civile : une chance pour la paix », avec notamment Stéphane Hessel et le général Jean Cot (commandant de la force de l’ONU en ex-Yougoslavie). Ce colloque donne l’occasion aux ministères de la Défense et des Affaires étrangères de se positionner en faveur de l’ICP pour la première fois en France.


De grandes ambitions, mais…

Jusqu’à présent, les missions d’intervention civile n’ont été réalisées que dans le cadre d’ONG dont les moyens et les objectifs étaient nécessairement fort limités. Le Comité ICP est soutenu dès le départ par plusieurs financeurs privés (Fondation Un Monde par tous, Fondation Charles Léopold Meyer, Non-violence XXI). Son ambition est de créer les conditions politiques, sociales et financières pour organiser des missions d’intervention civile bénéficiant de moyens à la hauteur des urgences et des besoins qui apparaissent dans de nombreuses régions. Il faut bien reconnaître que, jusqu’à aujourd’hui, il n’y est pas encore parvenu. Jusqu’en 2008 et à l’exception du colloque, le Comité ICP n’obtiendra quasiment aucun soutien public, ni de la France, ni de l’Union europénne. Un premier décollage intervient quand le ministère des Affaires étrangères (MAE) commence à s’intéresser à ce dossier et finance les formations du Comité ICP par l’intermédiaire de la Mission d’appui à l’action internationale des ONG (MAAIONG) qui sera intégré à l’Agence française du développement (AFD) en 2009. Le Comité ICP a également bénéficié de programmes européens suite à son association avec de nombreux partenaires 6. Depuis lors, le Comité ICP a l’espoir d’acquérir une nouvelle dimension.

 

L’ICP francophone est en retard.

À l’heure actuelle, les ONG non-violentes françaises reçoivent des demandes d’intervention du Burundi, Cameroun, Rwanda, Kivu, Casamance, etc. Selon le rapport annuel 7 de Freedom House, organisation de veille et d’étude sur les droits politiques et les libertés civiles, c’est l’Afrique sub-saharienne qui recense le plus de systèmes partiellement libres (18 pays soit 37 % de la zone) et privés de libertés (20 pays soit 41 % de la zone).

Face à l’expression de nouveaux besoins au niveau international et à la demande croissante en provenance d’Afrique francophone, force est de constater que les moyens sont insuffisants et que la France est en retard concernant le développement de l’ICP.

C’est pourquoi le Comité ICP, en consortium avec l’association sénégalaise Génération non-violente (GNV) et NP, conçoit actuellement un programme pluriannuel de structuration de l’ICP francophone.

Ce projet vise le renforcement des capacités des acteurs locaux en termes de gestion non-violente des conflits et d’ICPdans des zones de tension, de conflit ou de post-conflit, en Afrique francophone, ce qui n’a encore jamais été mis en place. Il s’agit de profiter de l’expérience et de l’expertise anglophone, notamment celle de NP et de PBI, pour développer un modèle français et structurer un groupe d’experts pouvant être déployé sur le terrain. Le Bénin et le Sénégal seront les centres d’activités mais le projet prévoit un rayonnement dans la zone francophone subsaharienne et l’Afrique de l’Ouest.

Ce programme devrait être soutenu par l’AFD dès 2014, ce qui serait une nouvelle avancée dans la reconnaissance de l’ICP en France. La légitimation de l’ICP, comme méthode alternative aux forces armées dans la gestion des crises, passe par la démonstration de son efficacité sur le terrain, encore faut-il que des moyens soient alloués pour une mise en œuvre à la hauteur des ambitions.


Seconde partie : l’ICP dans un monde qui change, nouveaux défis


À l’échelle mondiale, l’idée d’ICP a eu le vent en poupe pendant vingt ans, suite aux grandes vagues de démocratisation d’Europe de l’Est et des pays du Sud. Elle a anticipé et accompagné la création du Tribunal pénal international ainsi que le débat sur la responsabilité de protéger depuis dix ans. Depuis quelque temps néanmoins les ONG qui défendent ce mode d’action pour promouvoir les droits et la dignité humaine sont confrontées à des difficultés nouvelles : un environnement international centré sur les mutations économiques et les crises financières plutôt que sur les droits humains, la récupération de certaines des pratiques ICP par des acteurs pragmatiques, et enfin, plus profondément, des révolutions dans la communication qui soulignent la nécessité d’évoluer pour rester pertinent et efficient. Chacun de ces défis peut être vu comme l’occasion de refonder et de redynamiser l’ICP.


Des ONG en concurrence

Depuis les débuts de la crise occidentale financière, les autorités politiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont rivées aux soubresauts de la croissance, aux chiffres du chômage et des exportations. La défense des droits humains n’intervient dans les calculs que lorsqu’elle peut être associée à la stabilisation économique et sociale de pays considérés comme signifiants. Les ONG qui, contrairement à ce que l’on pense, dépendent largement de subsides institutionnels se sont lancées dans des compétitions féroces pour prouver aux pouvoirs publics le bien-fondé de leur action.

Dans ce contexte de justification permanente de leur « utilité sociale », les ONG qui travaillent l’ICP se trouvent dans une double compétition.

Elles sont d’une part en compétition avec des ONG de défense des droits humains dites « classiques » type Amnesty International, Human Rights Watch ou la Ligue des droits de l’Homme qui travaillent sur la base de dénonciations massives relayées dans les média et donc bénéficient d’une bonne visibilité bien qu’elle n’aient pas de présence terrain. D’autre part, les ONG qui pratiquent l’ICP sont engagées dans le champ de la sécurité, un domaine traditionnellement réservé aux acteurs institutionnels armés. Dans ce contexte, leur taille modeste et leur fragilité nuisent à leur crédibilité. Leur survie financière dépend donc d’une reconnaissance de leur valeur ajoutée par les décideurs institutionnels.

 

Tous veulent faire de l’ICP, mais sans le dire !

Depuis vingt ans, le nombre d’acteurs dans les zones de conflit s’est multiplié et la plupart se positionnent comme acteurs de paix. Agences humanitaires, de développement, de coopération économique, et même organes militaires, mobilisent un même discours sur la reconstruction de l’État de droit, sur la réconciliation, sur toutes les dimensions de la paix. Les grands acteurs institutionnels de protection des civils que sont le Comité international de la Croix Rouge (CICR), le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont repensé la protection des civils et adopté ou développé plusieurs des principes de l’ICP notamment l’observation des droits humains, la médiation ou même l’interposition. Les intervenants militaires, quant à eux, intègrent ces notions dans leurs discours si ce n’est dans leurs pratiques. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), comme l’ONU développent différentes cellules d’interaction avec les civils et les organisations de la société civile (Civil-military co-operation Cimic) et tentent des formes de polices (Civilian Police Civpol). L’observation du respect des droits humains est par exemple totalement banalisée et est devenue partie intégrante d’une « boîte à outils » de l’ONU, ce qui peut conduire à des catastrophes. Les missions d’observation envoyées en Syrie, en décembre 2011, par la Ligue Arabe et, en mars 2012, par l’ONU ont échoué parce que trop tardives et sans les conditions requises et les compétences développées par PBI ou NP. Dans un contexte où les acteurs armés ont pris le dessus, décidés d’en finir par la violence et où les populations civiles se terrent, il n’est pas possible d’échapper aux manipulations médiatiques, de construire un lien de confiance et d’enrayer la violence. Une telle expérience dévoie un principe fondateur de l’ICP et le décrédibilise. Les grandes ONG et institutions humanitaires, veulent faire de l’ICP, mais sans le dire et, surtout… sans en avoir toujours les bases solides.


Une nécessaire actualisation…

D’autre part, les révolutions technologiques et la manière dont s’en saisissent les populations locales posent questions aux acteurs de l’ICP. La présence dans la zone de conflit est au cœur de leur travail. Elle permet la vérification des faits et leur validation. La présence produit aussi de l’influence, c’est-à-dire des changements de comportement des acteurs armés. Or, l’utilisation de téléphones portables connectés à des plateformes Internet permet aujourd’hui aux populations civiles non seulement d’organiser des événements mais aussi de les filmer, de les diffuser, voire de rapporter et localiser en temps réel des dangers et des risques. Depuis la mise en place de la plateforme Ushahidi au Kenya pendant les émeutes de 2008, les technologies dites de crowd-sourcing (outils internet collaboratifs qui permettent à tous les citoyens de partager des informations et de cartographier des situations, via Twitter, Facebook, courriels) se sont développées et sont aujourd’hui utilisées aussi bien en Egypte qu’en Haïti, en passant par les États-Unis ou l’Europe, par des populations civiles pour cartographier menaces et dangers. La présence physique d’intervenants dans ces contextes, si elle est toujours appréciée dans des lieux plus reculés, doit aussi savoir évoluer. Dans certains cas, de nouvelles formes de relais et de validation sont à imaginer. La formation, la transmission de compétences juridiques et techniques (notamment sur la sécurité des données), un travail plus approfondi sur la mobilité des défenseurs des droits humains, la création d’espaces neutres sont des axes d’exploration.


… En cohérence avec les racines de l’ICP

Ces challenges contraignent les acteurs de l’ICP, s’ils ne souhaitent pas voir leur action s’éteindre ou être dévoyée, à repartir aux sources. L’ICP, fruit d’ expériences de terrain mises en place depuis les années 1980 et d’une analyse réflexive continue sur les atouts et les limites de cette méthode, s’est construite autour de valeurs directrices. Ces dernières restent des valeurs sûres pour le futur.

L’orientation non-violente est fondamentale et doit rester au cœur de la pratique. Les volontaires et les professionnels de l’ICP sont non armés et ne soutiennent pas les organisations violentes. Au-delà de l’absence d’arme, ils revendiquent la non-violence comme moyen de résoudre les conflits, ils la pratiquent dans leur attitude. Cette posture proactive non-violente reste un gage d’efficacité et de protection sur le terrain. De plus, parce qu’exclusivement civile, l’ICP garantit une image indépendante, c’est entre autres ce qui la différencie des opérations de missions de la paix de l’ONU composées de militaires, de policiers et de civils.

Les militaires peuvent arrêter la guerre et les combats mais ils ne peuvent pas construire la paix.

Le principe de non parti-pris se manifeste également sur le terrain par la posture des volontaires. Dans leur rôle de tierce partie, ils n’interfèrent pas dans les décisions et reconnaissent que seuls les acteurs locaux (groupes en conflits, autorités locales, militants, etc.) sont légitimes pour trouver des solutions, pour gérer et transformer le conflit de manière durable. Les volontaires travaillent sur les moyens en s’appuyant notamment sur la protection des droits humains et sur le respect des droits démocratiques. Cette posture est cruciale, elle permet de limiter le risque inhérent à toute intervention : l’ingérence.

Au même titre que les missions humanitaires ou de développement, le risque d’ingérence est réel. En temps de guerre ou de conflit, il est souvent tentant d’outrepasser la souveraineté d’un État ou d’un peuple en invoquant son « Bien » ou la « Paix ». Pourtant, alors qu’ils sont souvent les principales victimes des conflits armés, les civils sont aussi les premiers à s’organiser au quotidien pour dénoncer les injustices et la violence. L’ICP « à venir » doit continuer d’ouvrir aux défenseurs des droits humains (représentants associatifs, avocats, journalistes, etc.) davantage de marge de manœuvre pour faire leur travail.

L’innovation est donc un facteur à ne pas négliger. De même, professionnalisme et déontologie sont essentiels pour l’avenir de l’ICP. Comme toute méthode, l’ICP est mise à l’épreuve de la réalité. La singularité des conflits ne permet pas d’appliquer de recettes toutes faites et l’envoi de volontaires dans des zones de tension nécessite une grande vigilance. La présence internationale, par nature et stratégiquement, encourage les personnes à s’organiser et prendre davantage de risques, ce qui augmente leur vulnérabilité. Le comportement individuel des volontaires, le non-respect de certains codes de conduite, le manque d’information et d’analyse politiques peuvent compromettre le bon déroulement d’une mission, exposer les partenaires locaux à des représailles, décrédibiliser le travail de terrain, entacher l’image de l’organisme d’envoi et donc mettre en péril la mission première qui est la protection des civils. Malgré ces préoccupations, la plupart des activistes locaux pensent que la présence internationale est nécessaire et utile, qu’elle a des impacts positifs sur les communautés visitées. Pour limiter autant que possible les erreurs et leurs conséquences néfastes, un certain nombre de procédures ont fait leurs preuves : le contexte est attentivement analysé en amont et pendant les missions, les volontaires sont formés, des consignes de sécurité encadrent les missions, les équipes de terrain sont suivies et soutenues par le siège des ONG… Il faut donc garder comme ambition l’usage stratégique du statut d’étranger qui fait la plus-value de cette méthode.

Enfin, au-delà de la technique, l’ICP est un acte de solidarité humaine face à des structures oppressives, un acte de prise de risque partagée conduisant à la création d’un réseau humain de constante surveillance de l’État dit « de droit ». Ce sont des chaînes de solidarité qui rappellent aux Etats que leur devoir premier est la protection. Cette approche est d’autant plus nécessaire que de nombreux pays tels la Russie, le Mexique, ou encore la Turquie ont développé des systèmes comportant les procédures formelles démocratiques mais des pratiques institutionnelles discriminatoires et coercitives, notamment dans les domaines de l’économie et de la justice. La solidarité est donc une racine de l’ICP à ne pas négliger.

Pour finir, il existe au cœur de l’ICP une humilité née d’années d’expérience de présence au sein de zones de conflit et, peut-être, la sagesse de savoir que la paix ne s’impose pas, ne se décrète pas, ne s’achète pas, mais se construit sur la durée en travaillant la relation et en gagnant la confiance des parties prenantes.


 

1) Rigoberta Menchu est une défenseure des droits humains qui œuvre pour la justice sociale et la reconnaissance des droits des peuples autochtones au Guatemala. Elle a participé à la dénonciation de l’ex-dictateur Efrain Rios Montt, jugé en mars 2013.

2) PBI France : pbi.france@free.fr 

3) Pour connaître l’expérience d’EPB : de Dufour Martine, 2013, Équipes de paix dans les Balkans. Une expérience d’Intervention civile de paix au Kosovo, 1999-2011, Éditions du Man, 2013 (98 pages – 6 ?).

4) Jean-Marie Muller, Principe et méthodes de l’intervention civile, Paris, Desclée de Brouwer, 1997.

5) Organisations fondatrices : Man (Mouvement pour une alternative von-violente) qui assure encore aujourd’hui son secrétariat ; CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement) ; IRNC (Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits) ; DCC (Délégation catholique pour la coopération) ; Pax Christi-France ; PBI-France (Brigades de paix internationales) ; EPB (Équipes de paix dans les Balkans) ; Collectif Guatemala.Avec le soutien de : Service civil international; Justice et Paix ; Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté ; École de la Paix ; Canva (Communauté de l’Arche).

6) Le Comité ICP est membre des réseaux européens European network for Civil Peace Services (EN.CPS) et European Peacebuilding Liaison Office, à Bruxelles.

7) Freedom House, “Freedom in the World 2013:.Democratic Breakthroughs in the Balance”. Site Internet: www.freedomhouse.org

 

 

Témoignage de Nicolas Charron, volontaire de Nonviolent Peaceforce 1 au Sud Soudan 2012 (Mission mandatée par l’ONU)


(Extraits choisis de son témoignage au NV Day, à la Mutualité de Paris, le 15 mai 2013)

Le Sud Soudan est le plus jeune État du monde, indépendant depuis juillet 2011 ; cette zone est en guerre depuis 25 ans. L’objectif de NPest d’apporter une protection pour les civils. Les multiples conflits ont de nombreuses racines. Les tribus se font la guerre impitoyablement tous les ans avec l’objectif d’éradiquer d’autres tribus, de les massacrer. Les familles sont décimées, les amis n’existent plus ; la haine est permanente.

Une de nos missions est de retrouver les enfants kidnappés par une autre tribu ; il y en a des centaines chaque année. Nous prenons notre sac à dos et partons… Quand nous les avons retrouvés, il nous faut comprendre d’où ils viennent, puis trouver une stratégie pour leur permettre de revenir dans leur famille.

Lors d’ateliers, nous pouvons rassembler la population, notamment les jeunes ; ce sont eux qui sont porteurs de la violence, souvent instrumentalisés. À Jonglé, par exemple, ils ont créé une milice de 5000 jeunes et partaient en raid avec des kalachnikovs, lances et haches. Notre but était alors de montrer une alternative non-violente. L’intégration dans la population est toujours à la base de notre intervention ; elle nous permet non seulement de travailler avec elle avec efficacité mais aussi d’assurer la sécurité de tous, dont la nôtre.



1) www.nonviolentpeaceforce.org


Article écrit par Paola Caillat, Cécile Dubernet et François Marchand.

Article paru dans le numéro 168 d’Alternatives non-violentes.