Soudan du Sud - Le renard a cessé de pleurer la nuit

Auteur

Mel Duncan

Année de publication

2019

Cet article est paru dans
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L’espoir s’est fait rare, ces cinq dernières années, au Soudan du Sud. Il y a dix-huit mois, j’écrivais ceci : « Les conditions de paix et de sécurité au Soudan du Sud se sont rapidement détériorées depuis juillet 2016. Le progrès politique a été très limité… La violence perdure à travers le pays. La situation humanitaire est devenue de plus en plus urgente : les meurtres et les viols de masse de civils, l’acheminement limité de l’aide humanitaire, les déplacements de masse, l’insécurité alimentaire et la prise pour cible des travailleurs humanitaires se sont aggravés avec les pluies et l’épidémie de choléra. »

Alors que je voyageais dans le pays début décembre 2018, j’ai saisi des lueurs d’espoir dans les histoires des gens pour la première fois en cinq ans. L’Accord revitalisé pour résoudre le conflit fait effet. Des personnes ont signalé que les routes sont plus sûres. Plus de magasins ouvrent. Des personnes déplacées rentrent à la maison. Les groupes armés kidnappent moins de garçons. Les gens restent dehors plus tard le soir. Des soldats non-armés de l’opposition peuvent se rendre dans des villes contrôlées par le gouvernement sans être attaqués ou arrêtés. Une large foule inattendue s’est montrée au rassemblement pour la paix à Juba le 31 octobre 2018. Les gens sont fatigués de la guerre. Lorsque j’ai demandé au Groupe de protection des femmes de Bentiu ce que cet accord avait de différent comparé aux précédentes vaines tentatives, une femme s’est exclamée : « Le pardon ! ». Plus tard, une femme déplacée interne m’a dit : « Le renard a cessé de pleurer la nuit. » Cela signifiait que les animaux ont cessé de gémir de peur, un signe de la venue de la paix. Le processus reste très fragile. Beaucoup de pilleurs se tapissent dans les hautes herbes. Un viol de masse brutal a eu lieu lorsque j’étais là-bas.Les groupes armés recrutent toujours. La plupart des détails majeurs de l’accord de paix restent non-résolus. Des profiteurs s’enrichissent toujours de cette guerre. Nos groupes [d’intervenants civils de paix] ont un important défi à relever en travaillant avec les communautés locales pour aider à stabiliser les bases de la paix. Nous soutiendrons le Groupe de protection des femmes, qui compte aujourd’hui plus de quarante personnes, pour que leurs voix soient incluses dans le processus de paix. Il y a deux semaines, j’ai accompagné six de ces groupes pour une conférence de plaidoyer à Juba, un lieu que beaucoup visitaient pour la première fois. Les représentantes de ces six groupes se sont réunies pour faire entendre leurs voix dans le processus de paix. Alors que des groupes de la société civile dans la capitale augmentent leur participation, un gouffre existe entre Juba et beaucoup d’autres régions du pays. Ces femmes ont été traitées comme des propriétés, les voir prendre conscience de leur pouvoir était remarquable. « Le Soudan du Sud est à nous. Personne ne peut venir de l’extérieur pour nous imposer la paix », a déclaré une déléguée. Ces femmes, qui ont passé deux jours à se préparer pour la conférence, sont sorties de leur isolement lorsqu’elles ont appris que d’autres femmes à travers le pays partageaient leurs problèmes. « Le viol arrive aussi à d’autres. » Elles réclamaient entre autres un réseau national de femmes qui se réunirait dans diverses parties du pays, une fin à la
violence basée sur le genre et une fin à la primauté du tribalisme sur l’unité nationale. Pendant des années, NP a aidé à construire et soutenir une base qui pourrait maintenir la paix. Et à cette conférence, j’ai vu cette base se transformer juste sous mes yeux. Comme le décrivait une femme : « Nous prenons forme et ensuite NP arrive pour nous soutenir. » Il ne fait aucun doute qu’il y aura
encore de la violence et des souffrances mais les femmes prennent conscience qu’elles n’ont pas à les endurer en silence. Elles peuvent s’organiser collectivement, partager leurs expériences et changer leur réalité. « C’est nous qui pouvons créer un Soudan du Sud en paix », a conclu une autre déléguée. Elles sont allées trop loin et ont trop donné pour faire marche arrière maintenant.
Alors qu’il y a beaucoup de détails problématiques, de parties mouvantes et d’intérêts opposés, cette paix que le pays est en train de constater et que ses femmes exigent, repose d’abord sur des personnes courageuses qui s’unissent pour militer et soutenir des personnalités publiques responsables. La paix sera entretenue par les gens qui façonnent l’espoir et offrent leur pardon.
Le peuple du Soudan du Sud a montré une résilience remarquable mais je nesais pas comment ils pourraient résister à plus de souffrances et d’effusions de sang si la guerre explose à nouveau. Le faux-espoir est plus cruel que l’absence d’espoir. Pourtant, ce n’est pas notre appel. Nous sommes ici pour être aux côtés du peuple qui se fraye un chemin dans sa propre réalité. Puissions-nous permettre au renard de rester silencieux la nuit.
 

Article original "The fox stopped crying at night".

Traduction en français par Laurianne de Oliveira.


Article écrit par Mel Duncan.

Article paru dans le numéro 190 d’Alternatives non-violentes.