La privatisation d’EDF-GDF entraîne des fléaux tant pour les fonctionnaires qui travaillent que pour les usagers. Alors des électriciens/résistants rétablissent le courant dans des foyers en situation précaire…
Merci d’abord de m’inviter à écrire en tant que Robin des Bois de l’énergie et en tant que ce que l’on appelle les « résistants désobéisseurs ». Je ne suis que bien peu de chose par rapport à Stéphane Hessel, Lucie et Raymond Aubrac, et tous les autres, tout juste un assoiffé de justice comme beaucoup, qui travaille dans une entreprise née publique à la Libération, EDF-GDF, issue de la nationalisation en 1946 des multiples entreprises électriques et gazières qui couvraient le territoire et dont bon nombre appartenaient à des collabos notoires.
Cette nationalisation, menée non sans réaction du camp patronal, était inscrite dans le programme du Conseil national de la résistance. Comme une première marche d’un escalier menant l’ensemble des salariés à un statut respectable et respecté.
Et elle avait un but merveilleux : répondre aux besoins essentiels en étant un outil de reconstruction du pays et en alimentant au moindre coût avec la fameuse péréquation tarifaire, entreprises et particuliers, sans aucune notion de profit. Comme pour la santé, assurée solidairement à tous par la Sécurité sociale en attendant la gratuité des soins.
Hier, aujourd’hui
Merci à ces résistants au fascisme et au régime de Vichy, d’avoir fait alors le plus beau des cadeaux à ma génération, celui d’ouvrir par leur courage et leur engagement, le chemin à la construction d’un monde meilleur. Et de nous transmettre encore aujourd’hui cette nécessaire indignation devant l’inacceptable. Le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté ! Non, militer n’est pas une croix à porter. C’est une dignité à entretenir. Et gagner dans les luttes quotidiennes est toujours possible.
Alors malgré la débâcle politique générale, soldée après bien d’autres défaites, par l’élection d’un candidat de droite en 2007 qui n’a pas pris les voix du FN pour rien et a revendiqué dans son programme, sa volonté de casser un à un tous les acquis de la Résistance, nous sommes nombreux à chercher à tâtons ce chemin d’un monde meilleur.
Au printemps 2009, un vent de révolte a soufflé sur ERDF-GRDF Midi-Pyrénées, peu après la tempête Klauss qui a ravagé, notamment dans le Gers et en HauteGaronne une bonne partie du réseau et des branchements électriques, laissés à l’abandon par nos directions au motif que cela revient statistiquement moins cher d’attendre que ça pète plutôt que de mettre les moyens techniques et humains nécessaires pour l’éviter.
Petite parenthèse, suite à l’explosion gaz de Mulhouse qui a fait 17 morts le 26 décembre 2004, faute d’avoir remplacé les fontes grises dont chacun connaissait la dangerosité, un haut cadre de GDF s’est permis de dire que les 300 000 euros de condamnation coûtaient moins cher que ce qu’il aurait fallu dépenser pour éviter le risque d’explosion !!! Scandaleux !
À chaque tempête, donc, nous, les monteurs qui travaillons sur le réseau, partons pour relever les fils et rétablir le jus. Et cette fois-là comme les autres, même si les conditions de travail sont de plus en plus détestables. Et des élus et habitants, de plus en plus nombreux, ont raison de s’indigner des délais d’intervention trop longs du fait de la suppression des sites de proximité et des effectifs qui connaissaient par cœur « leur » réseau local.
La révolte hors des sentiers battus
Et au retour, la découverte d’un projet visant à externaliser l’essentiel des activités des monteurs : dépannage, branchements, astreinte et ce qui va avec, la quasi totalité des activités réseau. L’exemple du dépannage était limpide : passage de 14 à 0 agents en 3 ans sur le site des 7 Deniers à Toulouse ! Alors nous avons décidé, en tant que monteurs, lors d’une fin de journée, le 25 mars 2009, de sortir l’ensemble des véhicules lourds le lendemain à 5 heure du matin, sans passer par quelque syndicat que ce soit, ce qui n’est pas courant à EDF. Et nous l'avons fait pour exiger le retrait de ce projet et pour obtenir les effectifs nécessaires à un service public de qualité.
Ce mouvement, immédiatement soutenu par la CGTet la CFTC gagna peu à peu CFDTet FO et l’ensemble des services de la distribution en Midi-Pyrénées sans perdre de sa vivacité d’origine, dont témoignaient les AG… et un groupe, le GICF (Groupe intervention commando fada), totalement clandestin et destiné à agir efficacement et non sans humour et dérision.
Et dans nos moyens d’actions, outre des manifestations avec les véhicules maintenus sept semaines sous notre contrôle, servant parfois de scène de théâtre arpentant les rues, et des coupures gaz et électricité visant prioritairement le secteur économique, nous avons décidé en AG de rétablir publiquement le courant à un jeune couple de RMIste, comme image de notre conception du service public avec au centre, le droit à l’énergie pour tous et toutes, à commencer par ceux et celles qui ne peuvent pas la payer ou ne peuvent y avoir accès.
La solidarité
La revendication de cette action pour la CGT Énergie Midi-Pyrénées, à visage découvert, m’a valu trois semaines de mise à pied, mais quel plaisir de l’avoir faite et d’avoir partagé ce moment de bonheur avec Natacha, Sébastien et leur fille de 2 ans Manon retrouvant l’usage de l’électricité. Et puis ces autres interventions, notamment dans des squats pour restituer ce minimum d’énergie dont l’accès est souvent refusé par EDF. Et puis ce passage de Natacha et Sébastien au commissariat suite à plainte d’ERDF Midi-Pyrénées pour « vol » d’électricité alors que nous leur avions fourni devant les médias un document du syndicat CGT déclarant officiellement avoir remis le jus à notre initiative, suite à demande et discussion avec une association de SDF. Jolie mobilisation en réponse avec syndicalistes, associatifs et squatters.
Et comble du comble, une facture réclamée par EDF à Natacha et Sébastien, de 400 euros dont 367 € de frais de coupure. Quelle honte ! Quelle injure à ceux et celles qui ont payé de leur vie l’élaboration du programme du CNR et les actions nécessaires à sa mise en œuvre. Comment accepter au XXIe siècle que les besoins essentiels en gaz, en eau, en électricité ne soient pas garantis à tous et toutes ? Et qu’EDF fasse à ce point du fric sur la misère ? Et se comporte comme une vulgaire multinationale à l’international ?
Alors oui, je le redis publiquement : en tant qu’agent EDF et syndicaliste je continue et continuerai à revendiquer, ne serait-ce que pour des raisons d’humanisme, ces remises en électricité dans un cadre collectif, comme l’an dernier avec Médecins du Monde, le Comité de coordination pour la promotion et en solidarité avec les communautés en difficulté, migrants et tsiganes, le Groupe Amitié Fraternité et le Secours catholique. Pour des roms toulousains. Ou encore avec les Enfants de Don Quichotte, SDF sans frontières ou le Dal.
C’est par ce type d’actions, illégales mais oh combien légitimes — comme celles des faucheurs volontaires ou des enseignants désobéisseurs — que quelques avancées ont été obtenues en matière de droit à l’énergie dont le Tarif première nécessité…
C’est par ce type d’actions que demain, il deviendra illégal de couper l’électricité chez des personnes en situation précaire, avec ou sans emploi, qui préfèrent acheter à manger à leurs enfants que payer leurs factures. Et que la loi intègrera une tranche sociale gratuite et une forme de tarif progressif au-delà pour lier justice sociale et économies d’énergie.
Agir pour gagner
Oui, le sens, quand il s’agit de valeurs humaines, est plus important que le risque encouru et oui, cela a du sens d’agir, là où on est et sur les terrains qui nous indignent le plus. Et cela, chacun, chacune peut le faire… à sa façon, de manière collective bien sûr ou plus personnelle, plus autonome. Avec cette soif aussi, de ces nécessaires solutions locales si bien décrites par Coline Serreau pour contrer le désordre global qui nous est imposé.
Il faut savoir qu’aujourd’hui, la privatisation d’EDF-GDF devenue EDF-SA et GDF-Suez à 34 % de capitaux publics se concrétise par une externalisation massive et par un statut, pour EDF, de fournisseur comme tant d’autres (Poweo, Direct Énergie, Electrabel, Eon, GDF Suez…) qui, pour certains, jettent des usagers non rentables par des demandes de résiliation de contrat au distributeur que nous sommes. Voilà où en est rendu ce service public privatisé, recul après recul, dont un ministre devenu aujourd’hui président de la République affirmait en 2004 : « Jamais je ne privatiserai EDF et Gaz de France ».
En avril 2009, le projet d’externalisation des activités des monteurs était retiré au bout de 4 semaines de grève. Trois semaines de plus et 129 postes étaient republiés ou créés sur l’ensemble d’ERDF-GRDF Midi-Pyrénées, dont 66 couverts par des embauches et les sites de proximité étaient provisoirement sauvés de la casse. Des 4 licenciés par goût de revanche (et d’intimidation) de nos directions, 3 ont été réintégrés après 8 autres semaines de grève fin 2009 et pour le quatrième, Rodolphe, sanctionné comme Samira uniquement pour avoir fait grève, la direction a été condamnée à le réintégrer quelques mois plus tard. Jolie victoire du droit de grève… et d’une solidarité à toute épreuve forgée dans le combat !
Tout cela montre qu’on peut inscrire la résistance dans la durée et gagner ! Et, cerise sur le gâteau, une relation de plus en plus productive des Robins des bois toulousains avec le mouvement associatif, des militants, des citoyens, des assistantes sociales, des enseignants (réquisition récente d’un appartement pour enseignants vide et mise en service des énergies pour une famille rom aux 3 enfants scolarisés).
NON, l’avenir n’est pas si bouché que cela. Les solutions locales sont multiples. Et c’est sans doute de nos batailles, de nos résistances, qu’émergera un avenir vraiment alternatif à ce libéralisme qui détruit tout. Alternatif car porteur d’un autre mode de production et de consommation aussi respectueux de la planète que de ses habitants.
OUI, l’avenir nous appartient, à nous les résistantes et résistants d’aujourd’hui… dans la foulée de nos merveilleux résistants et résistantes d’hier. Tant que nous serons vivants, nous résisterons et tôt ou tard, gagnerons face à tous ces décideurs qui n’ont à nous opposer que leur logique du toujours plus de fric, de compétitivité, de concurrence, de stress, d’individualisme et de consommation imposée par la pub alors que l’humanité n’a besoin que d’une alimentation saine, de culture, d’éducation, de respect, de justice, de convivialité, de partage des richesses, de droit à la santé et à un environnement sain, sans oublier un logement décent avec accès à l’énergie. Et oui, nous gagnerons les centaines de millier d’emplois nécessaires à tout cela, notamment dans le secteur public.
Ce combat pour le droit à l’énergie et l’interdiction des coupures de personnes en situation précaire, c’est ma manière à moi — avec beaucoup d’admiration pour ce que font à ce sujet, France Liberté et Danielle Mitterrand sur l’eau — de faire vivre ce merveilleux programme du CNR et ses valeurs humaines que certains, au plus haut niveau de l’état n’ont qu’une volonté : effacer son sens des mémoires tout en ayant l’affront de s’en revendiquer.
Ne jamais se taire
L’heure est donc à faire vivre cette merveilleuse diversité de ceux et celles qui ne se résignent pas et à faire reconnaître l’apport de ceux et celles qui désobéissent à leur hiérarchie, à leur direction, à leur patron pour retrouver un sens, une éthique, des valeurs dans ce que pourrait souvent être le travail s’il était libéré d’enjeux exclusivement financiers. Particulièrement dans les services publics, en contestant cette inacceptable précarité qui côtoie tant de richesses.
Face à la collaboration de l’état avec le patronat le plus rétrograde, et y compris si la gauche au pouvoir mène après 2012 une politique de droite, préparons le camp des résistants et résistantes à se mobiliser et à faire vivre tout le sens, toutes les couleurs, toutes les valeurs de ce programme du CNR qui se résument si bien dans ces trois mots : « les jours heureux ».