Auteur

Hervé Ott

Année de publication

2001

Cet article est paru dans
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La lutte des paysans du Larzac (HERVÉ OTT)

« Des moutons, pas des canons, jamais nous ne partirons. Debré, de force, nous garderons le Larzac »

La lutte contre l’extension du camp militaire est restée un symbole des années 1970, au point que le mot « Larzac » est passé dans le vocabulaire courant. Lutte pour la terre et contre l’arbitraire d’État.

Gandhi disait que le programme constructif est l’âme de la désobéissance civile et de la lutte non-violente. De ce point de vue, la résistance du Larzac a eu une âme très grande et a été exemplaire. Et si les paysans ont construit leur lutte avec des actions de popularisation pour créer un large mouvement de soutien, ce n’est pas là que réside l’essentiel de cette résistance populaire. Bien entendu, il y eut des actions spectaculaires comme les rassemblements de 1973, 1974 ou 1977, les jeûnes (1972, 1978, 1979) ou la montée des tracteurs (1973) et la marche sur Paris (1978), sans oublier les brebis sous la Tour Eiffel (1972), et des actions beaucoup plus souterraines comme les rencontres et débats par centaines dans tous les recoins de France, mais c’est surtout autour, et en prise avec des actions de désobéissance civile et d’un programme constructif que s’est construit un rapport de forces avec l’État.

La désobéissance civile

Pâques 1972 : soixante paysans renvoient leur livret militaire. On comptera plus de trois mille livrets renvoyés pendant toute la lutte (dont mille d’un coup en 1979). Le principe était simple : pour chaque procès, dix livrets supplémentaires renvoyés. À la différence du refus 3 % de l’impôt qui bénéficiait de plus de mansuétude des ministres giscardiens des finances, les renvoyeurs de livrets ont été poursuivis par les ministres gaullistes de la défense. L'intérêt de cette action (comme celle du refus de l’impôt), c’est qu’elle s’est prolongée pendant toute la durée de la lutte. Elle a abouti en 1983 au droit à l’objection dans la réserve. D’autres actions de désobéissance civile ont marqué la lutte : tous les blocages de convois ou véhicules militaires, de tirs au canon (1975, 1980) ; les brebis sous la Tour Eiffel (1979) ; l’occupation du réceptacle de tir (1977) avec cinquante mille personnes ; les dossiers d’enquête et d’expropriation (1972, 1975) et des actes de vente (1976) déchirés ou brûlés, etc.

La répression a été assez minime compte tenu de l’ampleur des actions réalisées. Elle a été aussi contenue par une très grande intelligence dans la progression des actions. Cependant elle a été brutale en 1976 lorsque dix-huit personnes du plateau ont fait entre trois et dix-huit jours de prison. Mais elle a permis une relance spectaculaire du mouvement de soutien et a conféré une sorte d’immunité judiciaire aux paysans (sortis de prison sur ordre de Jacques Chirac, Premier ministre, le lendemain d’une condamnation à un mois...). Toutes ces actions avaient pour but de populariser la lutte, mais surtout de manifester chaque fois que l’occasion se présentait que la résistance au projet d’extension militaire ne faiblissait point.

Un programme constructif

Les premières actions du « programme constructif » sont encore vivantes et témoignent d’une lutte très concrète pour s’enraciner sur le Larzac. Symboles de cette résistance : la bergerie de la Blaquière (dont on a dit qu’elle est « une manif en dur ») appelée aussi la « cathédrale » du Larzac par l’esthétique de ses formes et sa masse imposante, et l’école du Larzac. Ces deux témoins de la lutte datent de 1973. Toutes les actions qui vont suivre auront un seul et même objectif : conserver et même reprendre du terrain sur l’armée. Y installer de nouveaux paysans, que ce soit sur les terres des Groupements fonciers agricoles (dès 1973), terres acquises contre l’armée grâce à une forme de multipropriété, ou plus simplement sur les terres acquises par l’armée et squattées par les gens de la région (Les Truels en 1974, le Cun, Montredon, les Homs en 1975, Cavaliès en 1976). Les labours et semailles-récoltes de terres de l’armée, l’adduction d’eau à travers la RN9 (1975), mais aussi de façon moins spectaculaire le réseau téléphonique sauvage, la réfection des chemins d’accès aux fermes et de bâtiments abandonnés, la construction de six bergeries illégales, etc., en font aussi partie. Sans oublier la création d’un journal mensuel en 1975 et qui existe encore (Gardarem Lo Larzac), d’un organisme de prêt aux agriculteurs, d’une Université populaire (1975), d’un centre de formation à la non-violence (1975). Toutes ces actions ont permis de créer un tissu agricole, économique et donc social autour du camp. Si le bon sens conduisait à se dire que le meilleur moyen d’endiguer les militaires était de recoloniser le Causse (autre terme pour désigner le plateau du Larzac), il n’y a jamais eu de programme systématique d’occupation des sols. Tout s’est fait au coup par coup, selon les occasions et les volontés qui se présentaient. De fait et après coup on peut dire que cette politique a été payante : le camp militaire s’est retrouvé encerclé et les soldats dans l’impossibilité de sortir sans créer des affrontements. 

Construire dans l’illégalité

Ce qui est à noter ici, c'est que si certaines formes d'action avaient un caractère on ne peut plus légal (création de l'école, des GFA, du journal), la plupart étaient illégales, ce qui se conçoit bien puisque la zone d’extension était déclarée d’utilité publique. Les constructions sans permis, labours de terres de l’armée, adduction d’eau, réseaux téléphoniques sauvages, etc., étaient interdits. Or curieusement ces opérations n’ont été l’objet que de rares condamnations (et dans ce cas toujours retournées au profit des paysans) tant elles avaient un caractère populaire et légitime. Par ailleurs, il importe aussi de remarquer que le caractère constructif de ce programme ne tenait pas tant au nombre de constructions qu’il comptait mais à la preuve par les actes que la revendication des paysans était fondée : le Larzac militaire est absurde, le Larzac agricole représente l’avenir.

Tout ce travail de reconstruction d’une région fragile a été pour ses acteurs une véritable école de la responsabilité. Il ne s’agissait pas seulement de refuser l’extension, mais de trouver chaque fois une parade crédible auprès de l’opinion publique. D’autant que les moyens financiers à la disposition des paysans étaient très réduits. Il fallait faire preuve de beaucoup d’originalité pour contourner cette difficulté. Mais c’est précisément l’aspect simple de cette lutte qui lui a donné une telle légitimité populaire. Tout ce travail de construction a obligé à faire un retour à l’essentiel : l’imagination, la volonté, la solidarité... Ce qui est étonnant dix ans après, c’est que la prise en main du développement local par la population du Larzac ne s’est pas éteinte après le 10 mai 1981. Elle s’est au contraire amplifiée. Alors que pendant la lutte, la solidarité sur le plateau était ponctuelle, au coup par coup, elle est devenue structurelle avec les Coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma), les Groupements d’intérêt écono- mique (GIE) pour la vente des produits agricoles, et surtout la Société civile des terres du Larzac (SCTL) (gestion collective des 6 300 hectares acquis par l’État et recédés à l’agriculture après 1981). C’est là la plus belle réussite du Larzac et la preuve que la lutte n’était pas construite sur simple contestation d’un projet absurde. Il faut dire pour être complet que les Paysans, grâce au remarquable travail juridique e qui est à noter ici, c’est que si certaines formes de leurs avocats, ont utilisé toutes les possibilités des recours d’action avaient un caractère on ne peut plus légal juridiques. Certes ils n’ont gagné leur premier procès qu’en (création de l’école, des GFA, du journal), la plupart étaient 1978, mais c’était un procès de taille qui annulait provisoirement la procédure d’expropriation et permettait de gagner du temps. Et si toute cette bataille juridique a coûté fort cher, la générosité des avocats et celle des militants ont permis de pallier à toutes les dépenses. Le Larzac restera longtemps un cas dans les annales de la procédure d’expropriation comme un échec retentissant.

L’influence du Larzac

ll faudrait pour être complet mentionner l’impact de la lutte du Larzac sur d'autres luttes contre les centrales nucléaires, les terrains militaires et autres projets portant atteinte à l’environnement. Le Larzac est devenu à ce point un symbole qu’il est passé dans le vocabulaire : « encore un Larzac par-ci... ». On n’a pas fini d’analyser tout ce que le Larzac a révolutionné dans les pratiques politiques et mil tantes des années 1970. Il faudra se mettre au travail afin que les générations futures ne gardent pas de cette lutte le souvenir bucolique d’un groupe de bergers faisant avec leurs moutons des crocs-en-jambe aux militaires. 

CHRONOLOGIE

28 octobre 1971 : annonce officielle de l’extension du camp par Michel Debré (ministre de la défense).

28 mars 1972 : à la suite du jeûne de Lanza del Vasto, serment des 103 paysans du Larzac qui prennent l’engagement de ne pas quitter leur terre.

Août 1974 : manifestation de 100 000 personnes. Décembre 1974 : création de la Coordination nationale des comités Larzac.

1974-1975 : Début de l’occupation de fermes (Les Truels, Homs, Le Cun), parution de Gardarem Lo Larzac (juin 1975) et nombreuses autres actions.

Octobre 1976 : occupation des fermes de Montredon et Cavaliès. L’armée expulse les occupants de cette dernière et de la ferme du Cun.

Juillet 1977 : ouverture du chantier du Cun (centre de formation à la non-violence). Cinquante mille personnes sur le plateau en août.

Octobre 1978 à janvier 1979 : ordonnances d’expropriation, journée nationale de solidarité (28 octobre), marche sur Paris (8 novembre), manifestation à Paris le 2 décembre (40 000 personnes).

1979-1980 : multiples actions (jeûnes, renvoi de livrets militaires...), notamment avec Plogoff (lutte antinucléaire).

10 mai 1981 : élection de François Mitterrand qui s’était prononcé contre l’extension du camp. Promesse tenue dès le 3 juin. Le 7 juin l’armée évacue les fermes qu’elle occupait.


Article écrit par Hervé Ott.

Article paru dans le numéro 121 d’Alternatives non-violentes.