Ukraine, regard sur la « révolution orange »

Auteur

François Vaillant

Année de publication

2005

Cet article est paru dans
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La non-violence vient d’inscrire une nouvelle lettre de noblesse en Ukraine.
Récit et analyses.

François VAILLANT, Auteur de La Non-Violence. Essai de morale fondamentale, Paris, Le Cerf, 1990, 270 p. ; La non-violence dans l’Évangile, Paris, Éditions Ouvrières, 1991, 126 p. (ouvrage traduit en italien et en espagnol).

Le troisième tour des élections présidentielles a été remporté le 26 décembre 2004 par le candidat Iouchtchenco « pro-occidental », contre Ianoukovitch « pro-russe », par 52 % des voix contre 44 %. C’est l’aboutissement d’une lutte non-violente exemplaire, nommée la « révolution orange ».

Une élection présidentielle sans nulle autre pareille

Tout a commencé le dimanche 21 novembre 2004. Ce jour-là, les Ukrainiens sont invités à voter pour le second tour, et normalement le dernier, de l’élection présidentielle. Lors du premier tour de la même élection, le 31 octobre 2004, les deux mêmes candidats arrivent chacun avec 38 % des voix.

Il faut comprendre que le peuple ukrainien retient son souffle en ce 21 novembre, tant l’issue de la consultation électorale est incertaine. Des fraudes de grande envergure sont remarquées, mais, le 24 novembre, la Commission électorale donne vainqueur Ianoukovitch avec 49 % des voix, contre 46 % à son adversaire Iouchtchenco ; 5 % de votes blancs sont relevés. Rien ne va plus, et rien ne va d’ailleurs depuis le lundi 22 novembre : une partie de la population est descendue dans la rue, en plein hiver, sous -5 degrés, notamment à Kiev, la capitale d’Ukraine. Les médias occidentaux relatent alors jour par jour la « révolution orange ». Que va-t-il se passer ? L’armée va-t-elle intervenir ? Un état de siège va-t-il être proclamé par le soi-disant vainqueur ?

Très vite, la fraude est débusquée. Il convient de savoir, pour la comprendre, que la corruption sévit en Ukraine depuis l’ère du régime communiste qui l’a pour ainsi dire institutionnalisée. Des Ukrainiens et les observateurs internationaux font remarquer, dès le dimanche 21 novembre, que des électeurs sont allés jusqu’à dix fois voter ! Le principe a été élaboré par le candidat « pro-russe » Ianoukovitch. Comme il n’y a pas de listes électorales, chaque votant doit tremper son doigt dans un pot d’encre indélébile. Cette marque doit l’empêcher d’aller se représenter devant une urne électorale. C’est ne pas compter avec Ianoukovitch et ses sbires. Ceux-ci organisent des autobus, dans les régions de l’Est pro-russes, pour que des électeurs aillent une première fois voter. Ils trempent alors leur index de la main droite dans une encre qui n’est absolument pas indélébile. Ils remontent dans le bus, s’essuient leur doigt, reçoivent au passage quelque monnaie de leur guide bienveillant, et tout ce petit monde va se représenter à un autre bureau de vote à quelques kilomètres, et re-votent comme si de rien n’était.

Des électeurs sont ainsi allés voter jusqu’à quinze fois de suite dans la seule journée du 21 novembre. Trop, c’est trop ! Des personnes éprises de démocratie descendent dans la rue, par milliers, et vont l’occuper. Leur objectif politique, les jours suivants, va être d’obtenir l’annulation des élections de ce second tour des présidentielles. Le monde entier a les yeux braqués sur Kiev. La Commission électorale reconnaît que des villes de plus de 50 000 habitants ont voté jusqu’à 104 % de leur population en âge de le faire ! Mais rien n’est gagné pour les partisans de Iouchtchenco.

Le centre de Kiev est occupé

Les partisans de Iouchtchenco savaient fort bien que les élections du 21 novembre allaient être truquées. C’est une habitude dans ce pays. Des centaines d’étudiants de Kiev préparent la riposte. Les médias occidentaux découvriront plus tard qu’elle a été parfaitement organisée, nous y reviendrons. Dans la nuit du dimanche 21 au lundi 22 novembre, la télévision officielle annonce que Ianoukovitch a officiellement gagné les élections, que les résultats définitifs seront donnés rapidement. Immédiatement, des milliers de personnes déferlent donc en pleine rue, à Kiev. Elles sont plus ou moins canalisées par des étudiants qui portent un brassard orange. La vaste place de l’Indépendance est occupée par des hommes et des femmes, aux mains nues et au visage découvert.

Le lundi 22 novembre, en début d’après-midi, trois mille étudiants(es) disposent une centaine de tentes oranges très ordinaires sur une partie du boulevard Krechtchatik, les Champs-Élysées de Kiev, une autre centaine de tentes est installée sur la place de l’Indépendance. L’incroyable advient, car, là, « près de 100 000 personnes de tous âges vont se relayer toute la journée et une partie de la nuit ». Ni le froid ni la neige n’entament le moral des résistants ukrainiens. Ils affirment qu’ils occuperont la rue jusqu’à ce que la Commission électorale invalide les élections du 21 novembre.

Alors que Poutine félicite son candidat officiellement vainqueur, et salue des « résultats transparents », la résistance non-violente des vrais démocrates s’amplifie, bravant le froid et la fatigue. La couleur orange devient partout le symbole de la révolution qu’il ne faut pas rater ! Les policiers en armes de combat se voient offrir des fleurs, comme en Tchécoslovaquie en août 1968. Chaque jour, chaque nuit, 50 000 à 200 000 personnes sont présentes, elles chantent, elles se réchauffent. Des grand-mères apportent des victuailles ; des soupes populaires sont organisées. Chacun tente d’évacuer la peur latente qui l’étreint. Iouchtchenco prend plusieurs fois la parole, disant en substance : « Ne commettons jamais de violence contre d’autres Ukrainiens, c’est ce qu’attendent les parti- sans de Ianoukovitch. Ce que nous voulons maintenant, c’est un troisième tour des élections présidentielles. Pour cela, il faut d’abord que la Commission électorale annule le scrutin du 21 novembre. Restons déterminés. »

Faits et gestes

Le mardi 23 novembre au soir, après l’annonce des résultats truqués, le palais présidentiel est bouclé par des policiers en rangs et en armes. Les étudiants(es) décident d’aller les « conscientiser ». Ils le font en introduisant délicatement un œillet dans chacun des boucliers anti-émeutes. Ioulia Timochenko, 44 ans, belle femme très connue en Ukraine, chef d’entreprise engagée en politique, est de la partie. Elle est là, présente au milieu des jeunes, calme comme une icône, puis, tout sourire, entre au contact des boucliers et y glisse ses œillets un par un, à cinquante centimètre des visages camouflés des policiers. Des photographes sont là, leurs photos de cette femme aux œillets font le tour du monde en moins de vingt-quatre heures.

Durant l’occupation non-violente du centre de Kiev, l’humour entretient l’esprit de la résistance. Chacun sait que l’humour est l’arme que ne connaissent pas les régimes totalitaires. Le peuple prend la parole, il veut la garder. Il chante, il écrit des chansons et des poèmes. Il a confiance en Iouchtchenco, lui qui porte sur le visage les stigmates d’un empoisonnement « certainement pas causé par un ami » !

Des journalistes de la télévision officielle changent alors d’attitude. Tout a commencé le jeudi 25 novembre, à 11 heures. Quand Tatiana, la présentatrice, entame la lecture d’un texte réaffirmant la victoire du « pro-russe » Ianoukovitch, sans ajouter de commentaire, une autre présentatrice entre en action, sans rien préciser à personne. Son prénom est Natala. Elle intervient avec ses mains lors des journaux télévisés, pour que les sourds comprennent les actualités. Le mensonge lu par Tatiana est devenu si insupportable à Natala qu’elle se met à dire avec ses mains : « Je m’adresse à tous les sourds d’Ukraine. Notre nouveau président est Viktor Iouchtchenco. Vous ne devez pas croire les résultats officiels des élections. Ils vous mentent. J’ai vraiment honte de vous traduire leurs falsifications. » Au sortir du studio, elle se demande comment son audace va être interprétée par ses collègues. La grande majorité lui tombe dans les bras pour la congratuler.

Elle va ensuite rencontrer les campeurs. Ils la félicitent pour sa désobéissance. Natala s’explique encore : « Les sourds n’ont pas comme nous le choix d’une autre chaîne. C’est le seul journal traduit. Ils subissent la propagande de plein fouet » ; puis, de constater, « qu’en fait, c’est toute la nation ukrainienne qui était sourde et muette. Elle entend désormais, et cela lui permet de recouvrer la parole ». La courageuse initiative de Natala fait tache d’huile. Quand elle revient au studio, elle découvre que ses collègues journalistes ont décidé de travailler désormais sans la censure.

Les jours passent. La résistance non-violente orange tient le coup. La rue détient toujours à Kiev, mais aussi à Krakov, le vrai pouvoir. Mais l’Est du pays, qui reste très majoritairement « pro-russe », menace de quitter la République d’Ukraine pour créer son propre État. Ce n’est pas qu’un chantage. Alors, toujours avec leur méthode de conscientisation, les partisans minoritaires de Iouchtchenco, à l’Est, se mettent à faire du porte-à-porte, avec politesse et conviction.

Les jours passent. Les pays européens donnent de la voix. Poutine est contraint d’entendre la pression diplomatique. Mais rien ne bouge. À Kiev, les campeurs se comptent toujours par milliers. Des rassemblements comptent jusqu’à 200 000 personnes. Iouchtchenco et son équipe tiennent le coup, cherchant toujours à négocier un troisième tour d’élections.

Pourtant la fatigue est là. Chacun sait à Kiev qu’il faut durer, que tout se joue au moral. Fin novembre, des trains entiers venant de l’Est de l’Ukraine se mettent à déverser des « contre-manifestants agitant des drapeaux bleu et blanc, les couleurs de Ianoukovitch ». Ce sera l’une des erreurs du candidat pro-russe. Ses partisans ne rencontrent pas des « capitalistes haineux ». Des dialogues s’instaurent. Tout le monde apprend à débattre politique. Nombreux sont les contre-manifestants à repartir chez eux après avoir fraternisé avec les campeurs. Pourtant, sous les tentes, « bronchites et pharyngites se multiplient, le service médical ne désemplit pas, il est même dépassé ».

Des concerts de musique se donnent dans toute la ville. Des orthodoxes pratiquants, surtout du troisième âge, prient en pleine rue, devant des icônes fleuries pour l’occasion. L’une des raisons vient du fait que la majorité des popes regardent d’un sale œil la révolution orange, leurs « églises ne lui sont pas ouvertes », car le patriarcat de Kiev est en amitié profonde depuis des siècles avec le patriarcat de Moscou. Ceci explique que la majorité des popes d’Ukraine se veut encore obéissant à Poutine. Mais là encore, une partie du peuple ukrainien est entrée en dissidence dans la rue, faisant en quelque sorte de la désobéissance religieuse.

Le deuxième tour enfin invalidé !

Parce que le pouvoir réel est dans la rue, que les pressions diplomatiques sont fortes, la Cour suprême invalide le 12 décembre le second tour. Un troisième tour est fixé au dimanche 26 décembre, avec les deux mêmes candidats.

Le 20 décembre, il se passe un événement important. Pour la première fois en Ukraine, deux candidats à des élections présidentielles débattent ensemble lors d’une émission télévisée. Cette soirée marque la vie politique en Ukraine, pas seulement parce que c’est « cravate bleue contre cravate orange » mais aussi parce que chacun assiste à la naissance d’une pratique démocratique : le débat contradictoire.

Le troisième tour du 26 décembre 2004

Les Ukrainiens retournent donc aux urnes. « L’encre indélébile » de sinistre mémoire est remplacée par un autre système plus sûr. Tout citoyen en possession de sa carte d’identité peut voter dans sa ville ou village de résidence ; on lui remet un coupon, composé de deux parties qui vont recevoir chacun la signature de l’électeur et d’un officiel du bureau de vote. Une partie est remise à l’électeur pour qu’il aille dans l’isoloir puis dépose son bulletin dans une urne transparente, l’autre est conservée au bureau de vote où il peut pas donc revenir une deuxième fois le même jour !

L’élection du 26 décembre fait venir en Ukraine douze mille observateurs internationaux, venus de 43 pays. Tout semble s’être bien déroulé. Le résultat donne 52 % pour Iouchtchenco, 44 % pour Ianoukovitch, et 6 % de bulletins blancs. Immédiatement les tentes oranges de Kiev sont démontées. Le candidat « pro-occidental » a donc gagné les élections.

Il convient de se réjouir de cette victoire, et pour la démocratie en Ukraine et pour la force de la non-violence. Mais les résultats du troisième tour indiquent toutefois que le pays est coupé en deux, que l’idée de nation est fragile, que l’Ukraine ne peut pas vivre sans son voisin russe. Iouchtcehnco le mesure si bien, qu’après avoir prêté serment au Parlement le 23 janvier 2005, il tient à rendre visite à Poutine à Moscou dès le lendemain. Ioulia Timochenko, la belle femme qui offrait des œillets aux policiers, est nommée à la tête du gouvernement. Tout commence pour la nouvelle équipe. La tâche est difficile. Tout le monde sait maintenant que les avenues de Kiev, et la désormais célèbre place de l’Indépendance, vont garder mémoire de la trace d’un peuple qui a enfin réussi à occuper les lieux pour s’y exprimer librement, avec la force et la logique de l’action non-violente.

La révolution orange financée par la CIA ?

Un article fort intéressant, paru dans Le Monde diploma-ique de janvier 2004, estime que la révolution orange à Kiev, après Belgrade en 2000 et Tbilissi (Géorgie) en 2003, sont de fait « trois révolutions non-violentes (qui) renversent un pouvoir honni, corrompu, décadent, tout sauf démocratique ». La suite de l’article insiste sur le rôle des étudiants à Kiev, de leur organisation Pora (« C’est l’heure »), laquelle avait préparé l’arrivée massive des tentes oranges avant le second tour des élections.

Mais on apprend aussi dans cet article, si on ne le savait pas déjà, que des militants serbes devenus célèbres pour le déboulonnage de Milosevic en 2000, entraînés à l’action non-violente, ont formé en 2003 de jeunes Géorgiens qui ont déboulonné à leur tour, en toute non-violence, le président de Géorgie Shevardnadze, après des élections truquées. Or, affirme cet article du Monde diplomatique, tout cela n’est que le fruit d’une « internationale non-violente », où l’on retrouve, pêle-mêle, Gene Sharp, Jack DuVall (voir son interview dans ANV n° 133 !), mais surtout différentes ONG nord-américaines, dont une est présidée par Madeleine Albright. La suite de l’article laisse planer quelques soupçons, car, termine l’article, dans ces trois récentes « révolutions non-violentes, on peut effectivement voir l’action de la politique étrangère américaine ». Après avoir jeté le doute, l’article poursuit néanmoins avec bon sens, précisant « qu’il est illusoire de prétendre que l’on puisse importer de l’extérieur des protestations massives, surtout après une fraude électorale délibérée. Au final, la décision de suivre ou pas les politiciens appartient au citoyen ».

Déjà sur le même sujet, le sérieux quotidien suisse Le Temps, dans son édition du 10 décembre, souligne que tout ce qui arrive en Ukraine a été programmé par des militants non-violents ukrainiens, serbes et géorgiens qui s’activent « dans une nébuleuse d’activistes internationaux, de théoriciens de la non-violence et de financiers proches du gouvernement américain ».

Toujours sur le même sujet, le grand quotidien belge Le Soir titrait dans son édition du 21 décembre : « L’internationale secrète s’exporte à l’Est. » Le même lien est établi entre le mouvement étudiant serbe Otpor, le mouvement étudiant géorgien de désobéissance civile Kmara (« Assez ») et le mouvement étudiant Pora de Kiev.

Ces trois articles ont des sources communes. Il semble tout à fait exact qu’il y ait eu de multiples « formations de formateurs » (Le Monde diplomatique) pour préparer la révolution orange, qu’il existe des connivences réelles entre des ONG nord-américaines et des mouvements non-violents en Europe orientale, en Afrique du Sud, en Palestine, etc. Le problème pour nous est de savoir d’où vient l’argent. Contrairement au dicton, tout argent a une odeur ! Quand on lit attentivement les trois articles cités, on s’étonne du raccourci saisissant établi par des journalistes. En résumé, l’argent d’origine nord-américaine qui a servi à préparer et entretenir trois insurrections non-violentes vient-il de Bush, de l’actuelle administration américaine, ou d’ailleurs ? On a beau lire ces articles, ils viennent toujours d’ONG indépendantes, ou alors proche des démocrates nord-américains, comme c’est le cas pour l’International Democrat Institut présidée par Madeleine Albright, laquelle a fait officiellement campagne contre la réélection de Bush. Ce qui est navrant, c’est qu’une cer- taine mode journalistique aime à jeter des suspicions dans les manchettes, pour d’ailleurs ensuite les effacer dans le corps des articles !

Pour clarifier, les finances des organisations françaises pour la non-violence sont suffisamment précaires pour ne pas pouvoir être suspectées d’alliance avec Bush !

Quand des volontaires français s’engagent dans une Intervention civile de paix (ICP), ils reçoivent une formation avant de partir, heureusement d’ailleurs ! Il existe partout en Europe des mouvements qui proposent des formations à l’action non-violente, ces mouvements se connaissent de mieux en mieux entre eux. Il faut s’en réjouir, et tout cela ne va pas assez vite à notre goût ! En conclusion, il est heureux que des journalistes découvrent que la non-violence est une force d’action qui remonte à Gandhi, que les mouvements non-violents travaillent de plus en plus ensemble, qu’ils organisent des « formations de formateurs » — ce qui est utile pour l’avenir de la planète —, qu’ils ont besoin d’argent pour vivre et se développer, qu’ils se soutiennent entre eux.

Une fois annihilée la suspicion de soutien financier venant de la CIA (Le Soir), il faut bien constater que les trois récentes révolutions non-violentes seraient en fin de compte dangereuses pour tout pouvoir prônant la violence, même élu démocratiquement. Quand une partie d’un peuple est capable d’occuper la rue, jour et nuit, avec des méthodes non-violentes, sur un objectif précis et atteignable, il faut bien comprendre que ce peuple risque de recommencer si ses dirigeants le déçoivent ou le trahissent. Quand une partie d’un peuple accepte de suivre les consignes d’étudiants organisés et formés à l’action non-violente, il faut bien se dire que cette partie de ce peuple n’est pas prête à l’oublier, et qu’elle est à même d’entraîner de nouvelles personnes « dans l’internationale pour la non-violence », à commencer par ses proches.

Les éléments forts qui ont permis la réussite de la révolution orange

 

• La préparation sur un an des étudiants ukrainiens du mouvement Pora à la logique de l’action non-violente ;

• l’objectif précis et atteignable : l’invalidation du second tour de l’élection présidentielle, puis l’instauration d’un troisième tour sans fraude ;

• un responsable politique estimé depuis longtemps par beaucoup pour son courage contre la corruption : Iouchtchenco ;

• la présence de journalistes étrangers à Kiev, la capitale, pour médiatiser les manifestations ;

• la capacité des manifestants à braver avec humour le froid, la neige, jour et nuit. « S’ils décident de vivre ça, c’est bien qu’ils ont une sérieuse raison de le faire » ;

• des consignes claires : « ni injure, ni jet de pierre, ni arme, on reste là jusqu’à un troisième tour de scrutin . En cas d’attaque policière : sit-in. Si j’ai trop peur, je quitte les lieux. Si je me fais matraquer, je ne riposte pas. Si on m’emmène en prison, je chante » ;

• la répétition d’actions bloquant le Parlement, la Commission électorale, la palais présidentiel ;

• l’aptitude à vouloir discuter posément avec les partisans de Ianoukovitch.

Les manifestations pour le troisième tour des élections ont réussi à se faire dans une dynamique non-violente. Imaginons que des grenades aient été lancées et explosent au milieu des policiers, que serait-il advenu ? Le pouvoir aurait alors prétexté la légitime défense de ses policiers pour justifier une répression sanglante. Rien de tel ne s’est passé.

La nation ukrainienne sort ébranlée de ces semaines de lutte. L’envergure de la victoire électorale est faible avec ses 52 %. Mais les vainqueurs n’ont pas à regretter des mensonges ou des actes de violence qui nuiraient maintenant à Iouchtchenco. Fort de ce constat, il a de bonnes cartes en main pour tenter de concilier l’ensemble des Ukrainiens autour d’une vie politique démocratique, sans corruption. ■

 


Article écrit par François Vaillant.

Article paru dans le numéro 134 d’Alternatives non-violentes.