Auteur

André Bernard

Localisation

Afghanistan

Année de publication

2011

Cet article est paru dans
161.png

Louis Lecoin (1888-1971) demeure célèbre pour avoir arraché le statut des objecteurs de conscience au général de Gaulle, en 1962. Mais sa vie pétillante et son œuvre demeurent plus celle d’un grand pacifiste anarchiste que celle d’un résistant non-violent, ce qui est moins connu.

André BERNARD, Ouvrier du Livre à la retraite ; cofondateur de la revue Réfractions ; auteur notamment de Être anarchiste oblige !, Lyon, Atelier de création libertaire, 2010.

C’était un homme immense de générosité que ce bonhomme de petite taille ! Certains, par on ne sait trop quel- le tournure de l’esprit, voudraient faire de lui, maintenant, une sorte de saint laïque de la non-violence. Certes, déjà âgé, il entreprit une grève de la faim pour faire sortir de prison ceux que l’on nommait alors les objecteurs de conscience, coup d’éclat héroïque avant de mourir quelques années plus tard, en 1971, à 83 ans.

Les hommes au pouvoir, à cette époque, lui avaient promis que ces jeunes gens seraient libérés à la fin de la guerre d’Algérie. La guerre finie, rien ne venant, celui que ses proches nommait Pti’t Louis se lança, en juin 1962, dans un jeûne à mort qui dura vingt-deux jours et obtint satisfaction.

Pour autant, le compagnon Lecoin ne s’est jamais déclaré partisan de la non-violence — le qualificatif dans son cas semble abusif —, il se voulait essentiellement un pacifiste intégral. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », a écrit Camus.

Une douzaine d’années passées en prison pour ses idées suffisent à dire la valeur du personnage.

Quand il lança le mensuel Liberté, en janvier 1958, l’ac- tion non-violente ne faisait pas encore la une de la pres- se hexagonale. Les premières actions non-violentes collectives, en France, datent de 1957. Celle de protestation devant les camps d’assignation à résidence pour les Algériens suspects fut lancée par Lanza del Vasto et Jo Pyronnet en juin 1959. Puis, fin 1960, l’Action civique non-violente (ACNV) s’engagea aux côtés des réfractaires à la guerre d’Algérie, partageant leur identité jusqu’à aller en prison avec eux. Lecoin, lui, voulait sortir les jeunes de prison et ne comprenait pas qu’on veuille y aller avec eux. Aussi, il ne fut pas de cette aventure ; son ami Pierre Martin y participa. Mais l’action de Lecoin et celle de l’ACNV s’épaulèrent. Cette épopée est racontée dans Réfractaires à la guerre d’Algérie avec l’Action civique non-violente, Syllepse éd., 2005 ; livre collectif signé Erica Fraters (anagramme de « réfractaires »).

Rajoutons qu’à la fin de la guerre d’Algérie, quand nous lançâmes la revue et le groupe « Anarchisme et non-violence », à notre connaissance nulle marque d’intérêt ne vint de la part du compagnon Lecoin. Il garda cependant notre affection et notre gratitude.

Mais qui était P’tit Louis ?

 

Sa carrière militante d’anarchiste commença quand, sol- dat, il refusa de marcher contre des cheminots grévistes ; c’était en 1910 : six mois de prison.

Plus tard, il sera administrateur puis rédacteur du Libertaire. En novembre 1912, alors qu’il est secrétaire de la Fédération communiste anarchiste, il est arrêté pour avoir voulu saboter la mobilisation et inciter les jeunes à la désertion, plus quelques autres délits. Entrecoupées de quelques jours de liberté, il purgera huit années de prison. C’est un court texte, le tract Paix immédiate, tiré à 100 000 exemplaires, qui le reconduira en prison au tout début de la Seconde Guerre mondiale.

On comprend qu’il consacrera par la suite beaucoup de son temps à la liberté des autres militants. Il s’employa sans vergogne « à tirer les sonnettes », comme il l’écrit, c’est-à-dire à mobiliser le monde politique pour les anarchistes espagnols Ascaso, Durruti et Jover qui risquaient le garrot, pour Sacco et Vanzetti qui finirent électrocutés, pour Germaine Berton qui essaya de tuer un royaliste, etc. Lui-même envisagea de tuer Gustave Hervé, compagnon qui avait rejoint l’« union sacrée ».

Donc, Lecoin ne fut pas exactement un non-violent, plutôt un de ces anarchistes « de la vieille école », comme il se décrit lui-même, anarchiste qui portait en lui des valeurs, des intuitions, proches de la non-violence. Un seul exemple : quand, quelque part dans son livre, à propos de la révolution espagnole de 1936, il se prend à penser que, si Franco l’avait emporté « sans coup férir », son triomphe eût été éphémère ; et que des milliers de militants de la liberté auraient été disponibles par la suite : il était, avec le temps, devenu plus prudent devant l’idée de révolution, ce moyen « semblable à l’arme à deux tranchants ».

Pas exactement un non-violent, non. Anarcho-syndicaliste, il raconte dans Le Cours d’une vie :

« En août 1921, je fus délégué au congrès confédéral de la CGT qui tint ses assises à Lille.

J’y allai armé, car le bruit courait que les inscrits mari- times assureraient un brutal service d’ordre.

Bien m’en prit.

La première séance débutait à peine qu’une quarantaine d’individus, bravi de Rivelli, munis de matraques, manifestèrent leur intention d’expulser tous ceux qui désapprouvaient les dirigeants cégétistes.

Surpris par cette brusque attaque, les représentants des syndicats révolutionnaires lâchèrent pied ; encore un peu et nous allions être jetés dehors.

Je montai sur une table, face aux assaillants. Sortant mon revolver, je tirai en l’air trois ou quatre fois, braquant mon arme, après chaque coup de feu, sur les inscrits maritimes qui reculèrent. »

Celui que certains transforment maintenant en un Gandhi laïque et qui fut proposé pour un prix Nobel de la paix envisagea sérieusement d’assassiner Poincaré :

« Si je tuais Poincaré ?

Jaurès ne s’était-il pas écrié, en 1913, à Versailles, lors de l’élection du Lorrain à la présidence de la République : “C’est l’homme de la guerre !”

Ce ne serait donc pas un mal d’en purger l’humanité. Supprimer “Poincaré-la-Revanche”, il y aurait un fauteur de guerre en moins. Les autres criminels de même acabit, craignant de subir un sort pareil, prêteraient peut- être une oreille attentive aux rumeurs de paix. Je ne pus l’approcher. »

Soucieux de ne pas allonger ce papier, j’inviterai simplement tout un chacun à aller y voir de plus près et à se procurer Le Cours d’une vie, l’autobiographie de ce bonhomme immense, l’histoire d’une vie remarquablement exemplaire.

On pourra également se renseigner auprès du comité Louis-Lecoin, continuateur du combat de P’tit Louis. Voir le site : http://louislecoin.plusloin.org/

 


Article écrit par André Bernard.

Article paru dans le numéro 161 d’Alternatives non-violentes.