Desmond Tutu : un homme d'Église au service de la non-violence

Auteur

Christine Laouénan

Année de publication

2014

Cet article est paru dans
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En 1984, Desmond Tutu a reçu le prix Nobel de la paix ; la récompense suprême pour ce prélat qui n’a jamais cessé de faire acte de résistance face à l’apartheid, pour bâtir une autre Afrique du Sud, respectueuse des droits de l’homme noir et de la justice. Afin de lutter contre la division raciale, cet ecclésiastique a toujours eu un seul credo : la non-violence.

Christine LAOUÉNAN, Journaliste, auteure notamment de Quand les violences vous touchent, Paris, La Martinière, 2010 ; Comprendre nos ados, Paris, Éd. Pascal, 2010 ; Jamais jaloux, vous ?, Paris, La Martinière, 2006.

 

Né en 1931, Desmond Tutu était destiné à être enseignant, suivant ainsi les traces de son père qui fut directeur d’école dans le Transvaal. Après avoir passé son diplôme au Collège Bantou Normal, Tutu enseigna pendant trois ans, tout en poursuivant des études à l’université d’Afrique du Sud. Sans doute serait-il resté dans l’enseignement jusqu’à la fin de sa carrière s’il ne s’était pas opposé à la promulgation de la loi sur l’enseignement bantou (1953), une loi totalement inique qui empêchait les Sud-Africains noirs de poursuivre les mêmes études universitaires que les Blancs. Refusant de limiter le savoir de ses élèves noirs, Tutu qui aimait son métier prit une décision difficile mais irrévocable : il démissionna (1957).

Un autre sacerdoce

Profondément chrétien, Desmond Tutu prit alors le parti de se tourner vers l’Église. Tandis qu’il passait sa dernière année au séminaire à Johannesburg, l’Afrique du Sud connut, le 21 mars 1960, l’une des journées les plus sombres de son histoire. À Sharpeville, un township noir, la police tira sur une foule de 5 000 personnes, tuant 69 manifestants noirs et blessant 180 autres. Après ce massacre, le gouvernement interdit l’activité des deux grands mouvements anti-apartheid, l’African national congress (ANC) et le Pan africaniste congress (Pac). C’est dans ce contexte de violence que Desmond Tutu obtint sa licence de théologie, avant d’être ordonné pasteur de l’église anglicane en 1961. Un an plus tard, Nelson Mandela fut arrêté.

Desmond Tutu partit étudier en Angleterre où il obtint une maîtrise en théologie (1966). De retour en Afrique du Sud, il enseigna cette discipline. À cette époque fut créée la South African Students Organisation, présidée par Steve Biko, le père de la prise de conscience des Noirs. Desmond Tutu ressentait une grande sympathie envers ces jeunes étudiants qui affirmaient la dignité de l’homme noir. Lors d’une série de grèves (1968) pour réclamer la fin de l’enseignement raciste, la police intervint dans le campus pour faire expulser les manifestants. Tutu qui était alors aumônier de l’université prit le parti des étudiants contre les forces de l’ordre. Cet incident changea la vie de Tutu qui entra dans l’arène politique par des voies inédites.

Porte-parole de la condition noire

Déjà connu des autorités sud-africaines qui le considéraient comme un subversif en puissance, Desmond Tutu ne cessait de lutter contre l’injustice dans son pays ; aussi, s’engagea-t-il avec enthousiasme dans la « théologie noire », un mouvement dont il fut l’un des porte-parole les plus ardents. Intimement liée à la prise de conscience des noirs, cette théologie de la libération a gagné l’Afrique du Sud vers 1970. « 1Vaincre le sentiment de doute et d’humiliation qui habite l’homme noir, sous la loi de l’apartheid, et affirmer la valeur de chaque être humain, voilà une chose pour laquelle Desmond Tutu n’a jamais cessé de se battre.1»

Son accession à la scène internationale fut progressive. Il avait près de 40 ans lorsqu’on lui proposa, en 1972, le poste de vice-directeur d’un institut de théologie en Angleterre qu’il occupa pendant trois ans.

De fortes pressions s’exercèrent sur lui pour qu’il accepte un poste éminent dans son pays : en 1975, Tutu devint ainsi le premier Sud-Africain noir à être nommé doyen du diocèse de Johannesburg. Il occupa ensuite le poste d’évêque du Lesotho (1976-1978), avant de devenir secrétaire général du Conseil œcuménique d’Afrique du Sud (1978-85). Durant son dernier poste, le Premier ministre, Pieter Botha, qui voulait privilégier le développement économique du pays réforma la constitution (1984) en ignorant totalement les 25 millions d’Africains. Une vigoureuse campagne d’opposition fut orchestrée par l’United democratic front (UDF) qui regroupait plus de 700 organisations antiapartheid ; elle était dominée par l’imposante personnalité de l’évêque Tutu.

Apôtre de la non-violence

Chez Tutu, le choix de la non-violence a constitué un engagement de tous les jours. Son instinct qui le poussait à préférer la négociation à l’agression a fait l’objet de maintes critiques ; néanmoins, personne n’a jamais mis en doute le courage dont il a su faire preuve en joignant le geste à la parole.

Il lui est ainsi arrivé de mettre physiquement sa propre vie en danger, avec ce courage que seul peut dicter le sentiment profond de lutter pour une juste cause. À plusieurs reprises, ce prélat a pris la parole dans des manifestations pacifiques.

Convaincu que la Bible se range du côté des opprimés, il esti- mait que l’apartheid était une forme de violence et, à ce titre, anti-chrétienne. Aussi, estimait-il qu’il fallait agir à l’encontre de cette violence, en ayant toutefois recours à des procédés non-violents. « Nous devons travailler à une nouvelle Afrique du Sud, une société non raciale, vraiment démocratique et plus juste, instaurée par des moyens pacifiques Nous déplorons toutes les formes de violence », affirmait-il 2.

Tutu a été comparé avec Martin Luther King. Si le premier était anglican et le second baptiste, ces deux pasteurs noirs étaient animés par un même sentiment d’indignation, attachés à proclamernl’humanité de chaque personne prise individuellement. Avocats l’un et l’autre de la non-violence, ils savaient manier les mots.

La vérité et la réconciliation en commission

Un an après avoir été nommé président de la République, Nelson Mandela nomma en 1995 l’archevêque Tutu (son titre depuis 1986)
chef de la Commission de la vérité et de la réconciliation ; cette opération de prise de parole des bourreaux et des victimes de l’apartheid était destinée à permettre aux Noirs et aux Blancs de comprendre leur histoire mutuelle pour envisager l’avenir avec confiance. La commission reçoit ainsi plus de 14 000 plaintes pour violation grave des droits de l’homme et 7 000 demandes d’amnistie.

En 2010, à l’âge de 78 ans, le Nobel de la paix sud-africain annonça son retrait de la vie publique pour mieux se consacrer à sa famille. « Je pense que j’ai fait tout ce que je pouvais et que j’ai vraiment besoin de temps pour toutes les autres choses que j’ai toujours souhaité faire », précisa-t-il dans une conférence de presse. 

1) Desmond Tutu, Shirley du Boulay, Centurion, 1989 (page 110).

2) Hope and Sufléring, Desmond Tutu, cité par Ramin Jahanbegloo, dans Penser la non-violence, Unesco.


Article écrit par Christine Laouénan.

Article paru dans le numéro 165 d’Alternatives non-violentes.