Pour qu'une grève de la faim atteigne son objectif

Auteur

François Vaillant

Année de publication

2015

Cet article est paru dans
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Une légitime colère contre une injustice ne suffit pas aux jeûneurs pour assurer un franc succès à leur démarche. Revisiter plusieurs grèves de la faim permet de tirer des enseignements, d’analyser les limites et les succès.

 

FRANÇOIS VAILLANT, philosophe et acteur non-violent.
 

La réussite d’une grève de la faim, comme d’un jeûne de protestation, dépend essentiellement de sa préparation. L’improvisation ne marche pas. En France, les prisons sont le lieu où se déroulent le plus de grèves de la faim; selon L’Express (13 déc. 2011), il y en aurait en moyenne 1 700 par an. Faute d’un solide comité de soutien extérieur établi avant le début d’une grève de la faim, presque la totalité de celles qui se déroulent en prison tournent au vinaigre pour les détenus1, dans le silence le plus complet.

Serge July, quand il était directeur de Libération, écrivait que la presse ne s’intéresse généralement à une grève de la faim que lorsqu’elle dépasse le 12e ou le 14e jour2. Il faut donc dès le début s’organiser pour durer. C’est ce que l’agriculteur Michel Brégué, 69 ans, a fait cet automne. Il a entamé une grève de la faim parce que l’administration continuait à lui refuser le versement des 490 000 € qu’elle lui devait depuis dix ans au titre des aides de la Pac (Politique agricole com- mune). Cet éleveur-céréalier a entamé une grève de la faim dans sa voiture garée devant la mairie de Montigny-le-Roi (52). Son comité de soutien a créé un blog avec une pétition. La presse locale a évoqué cette grève de la faim au début puis elle a fait office d’interpellation de l’administration au 14e jour. Si bien qu’au 19e jour, le préfet de Haute-Marne a fini par recevoir Michel Brégué. Le gréviste de la faim est retourné vivre dans sa voiture pour maintenir la pression, deux jours plus tard il obtenait gain de cause.

 

VIOLENCE ET NON-VIOLENCE SONT-ELLES COMPATIBLES ?


Il ne suffit pas que l’objectif d’une grève de la faim soit juste, encore faut-il qu’il y ait adéquation entre le moyen non-violent de s’abstenir de s’alimenter et la non-violence des orientations politiques du comité de soutien. La mort en 1980 de prisonniers irlandais, dont celle de Bobby Sands, est là pour nous le rappeler. Ces détenus s’étaient mis en grève de la faim illimitée pour obtenir cinq droits (porter des vêtements personnels, recevoir du courrier une fois par semaine, etc.). Le drame de ces prisonniers appartenant à l’Ira (Armée républicaine irlandaise) s’explique par le fait que leur propre organisation continuait comme avant ses attentats, alors que ces prisonniers avaient choisi un moyen de combat non-violent. Le décalage était criant. Comment l’Anglais de la rue pouvait-il compatir avec les grévistes mourant, alors que l’Ira continuait à tuer chaque semaine des pères et mères de familles anglaises dans les rues de Belfast ou de Derry ? Margaret Tchatcher a su utiliser cette contradiction pour disqualifier Bobby Sands et ses compagnons, les laissant mourir de faim, un à un. Elle pouvait fort bien accorder les cinq droits réclamés mais ne voulait pas donner l’impression de céder à un chantage1. Cette tragédie n’illustre-t-elle pas l’impossibilité de combiner violence et non-violence au service d’une même cause ?

 

NE BOIRE QUE DE L’EAU ?

Les véritables grèves de la faim ne se font qu’à l’eau. Il est fréquent que les acteurs d’une telle action s’alimentent cependant un peu. Ce fut le cas des grévistes de la faim contre le barrage de Sivens, bien avant la mort de Rémi Fraisse. Sans vouloir dévaluer cette grève de la faim qui avait pour objectif « d’obtenir enfin un débat public » sur l’intérêt du barrage, force est de constater que ce n’est pas elle qui a fait connaître le problème écologique et économique du barrage, c’est d’abord la manifestation pacifique du samedi 25 octobre. Des élus étaient venus y participer, dont José Bové, député européen EELV. Les radios en parlaient beaucoup le samedi, puis est survenue dans la nuit la mort scandaleuse de Rémi Fraisse. Les six grévistes arrêtèrent peu après leur grève, le 27 octobre. Cette grève commença le 27 août, certains arrêtèrent en cours de route, d’autres arrivèrent ensuite. Toujours est-il qu’ils furent trois à dire avoir jeûné 55 et 61 jours. Généralement, au bout du 30e jour à l’eau, on devient grabataire, ce qui n’était nullement le cas des grévistes du Testet. Le site Reporterre fait entendre le témoignage de ces trois grévistes : ils disent jeûner en buvant durant la journée du thé sucré et des jus de fruit, tout en prenant un potage de légumes le soir! La presse aime-t-elle qu’on l’induise en erreur? Est-ce l’une des raisons pour laquelle cette grève de la faim ne fut pas fortement médiatisée ?

 

LE NÉCESSAIRE ENGAGEMENT DE PERSONNALITÉS


Une grève de la faim a d’autant plus de retentissements qu’une ou plusieurs personnalités y participent, ou rendent au moins visite aux jeûneurs. Quand Lanza del Vasto, le général Jacques de Bollardière, Jean-Marie Muller, Jean Toulat et d’autres militants ont fait à Paris une grève de la faim (à l’eau seule), du 25 au 28 octobre 1978, dans l’église Saint-Séverin, ils ont reçu la visite de Michel Rocard, François Mitterrand et André Glucksmann. Les échos dans la presse furent immédiats, posant avec pertinence le refus de l’extension du camp militaire du Larzac. Quatre jours avaient suffi.

Quand les forces de l’ordre, à l’aube du 23 août 1996, expulsèrent sauvagement à Paris les deux cent vingt sans-papiers de l’église Saint-Bernard, dix sans-papiers y faisaient une grève de la faim depuis une vingtaine de jours. Ces dix sans-papiers avaient reçu la visite d’Ariane Mnouchkine, Léon Schwartzenberg et Emmanuelle Béart, laquelle devint la figure emblématique et médiatique du mouvement. Il faut également souligner la position plus que courageuse du curé Henri Coindé, lequel a agi, du début à la fin, contre l’avis de sa hiérarchie catholique et les pouvoirs établis. Les sans-papiers expulsés de Saint-Bernard ont été ensuite hébergés dans les locaux d’un ancien jardin d’enfants, rue Poissonnière, pendant un an et demi, ce qui a permis au plus grand nombre d’obtenir leur carte de séjour. Dans son livre Paroles de sans-papiers1, le meneur Madjiguène Cissé insiste sur le rôle déterminant des dix grévistes de la faim qui ont permis de populariser l’occupation de l’église Saint-Bernard.

Le 21 juin 2004, Michel Bernard, André Larivière et Dominique Masset, trois militants bien connus dans le milieu écologiste et antinucléaire, ont entamé un « jeûne à durée indéterminée » avec pour objectif de mobiliser l’opinion française pour qu’elle dise « non » au projet EPR (Réacteur préssurisé européen) et « oui » au développement des énergies renouvelables. L’action fut bien préparée en amont : un appartement au calme et facile d’accès avait été trouvé, le comité de soutien était savamment établi avec des relais en province. Pourquoi cette action a-t-elle dû s’arrêter au 33ejour sur décision conjointe des jeûneurs grabataires? Elle n’avait pas alors mobilisé la grande presse : seuls Politis et Charlie Hebdo en parlèrent dès le début ; Libération n’a fait que l’évoquer au 26e jour, Le Monde au 27e, France-Inter au 29e, Canal+ et Arte au 30e. Jamais rien à un journal télévisé de 20 h. Est-ce parce que l’expression « grève de la faim » aurait été préférable? Parce qu’aucune pétition n’avait été mise en place ? Parce que les personnalités venues rencontrer les jeûneurs, principalement Corine Lepage, Alain Lipietz et Yves Cochet étaient trop marquées dans la sphère anti- nucléaire, ceci ne constituant pas un événement ?

 

LE JEÛNE D’INTERPELLATION

 

Il ne s’agit pas ici d’établir un rapport de forces direct avec les pouvoirs publics mais de conscientiser une population. Il revient à Lanza del Vasto d’avoir eu le coup de génie de débuter un jeûne 15 jours avant Pâques 1972, dans l’église de La Cavalerie (12), pour y attirer les paysans du Larzac et les inciter à utiliser les moyens de l’action non-violente. C’est là qu’il faut chercher, et nulle part ailleurs, le déclencheur de l’engagement pris ensuite par les 103 paysans pour la lutte non-violente au Larzac.

Depuis 2011, un « jeûne-action » se déroule chaque année à Paris, devant le Mur pour la Paix, sur le Champ de Mars, à proximité de la Tour Eiffel, du 6 au 9 août, à l’initiative de La Maison de vigilance, d’Armes nucléaires Stop et maintenant du Réseau Sortir du nucléaire. Entre 80 et 100 personnes y participent chaque année. L’objectif est, aux dates où deux bombes atomiques ravagèrent Hiroshima puis Nagasaki, d’interpeller les passants sur l’urgence d’un désarmement nucléaire mondial, à commencer par celui de la France. L’impact médiatique est faible. Est-ce à cause de la période estivale? Durant les quatre jours du jeûne, des actions non-violentes se déroulent au grand jour, d’où l’appellation de « jeûne-action ». En 2014, ce fut notamment l’installation éclair, un matin, d’un campement devant le Ministère de la Défense et plusieurs die-in2 sous la Tour Eiffel. Avec les rassemblements devant le Mur de la Paix, tout ceci attirait l’attention des passants, essentiellement des touristes qui souvent applaudissaient. Semblable action a eu lieu également en 2014 devant le Centre du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), à Valduc, près de Dijon. Ce même type de jeûne-action3 aura encore lieu à Paris en 2015. Plusieurs villes de province s’y lanceront-elles également ?

 

1. Madjiguène Cissé, Paroles de sans-papiers, Paris, La Dispute, 1999.

2. Forme de protestation théâtralisée : les participants allongés sur le sol simulent la mort.

3. Suivre les sites : www. armesnucleairesstop.org ; www.sortirdunucleaire. org ; www. maisondevigilance.com


Article écrit par François Vaillant.

Article paru dans le numéro 174 d’Alternatives non-violentes.