Quand la violence renforce les adversaires d'une lutte citoyenne

Auteur

Ben Lefetey

Localisation

France

Année de publication

2016

Cet article est paru dans
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Le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, collectif associatif qui se mobilise depuis 2011 contre le barrage de Sivens, a toujours agi de manière non-violente. Il a mené des actions classiques : participation active à l’enquête publique, contre-expertises, plaidoyer, manifestations et débats publics, communiqués et même une longue grève de la faim… Le passage en force du gouvernement et du Conseil Général (CG) fin 2013 a entraîné l’occupation du site du chantier par d’autres militants. Face à la détermination des opposants, associatifs et occupants de la zone à défendre (Zad), les pouvoirs publics ont rapidement manipulé la violence pour les discréditer.

QUAND LA VIOLENCE RENFORCE LES ADVERSAIRES D’UNE LUTTE CITOYENNE

Le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, collectif associatif qui se mobilise depuis 2011 contre le barrage de Sivens, a toujours agi de manière non-violente. Il a mené des actions classiques : participation active à l’enquête publique, contre-expertises, plaidoyer, manifestations et débats publics, communiqués et même une longue grève de la faim… Le passage en force du gouvernement et du Conseil Général (CG) fin 2013 a entraîné l’occupation du site du chantier par d’autres militants. Face à la détermination des opposants, associatifs et occupants de la zone à défendre (Zad), les pouvoirs publics ont rapidement manipulé la violence pour les discréditer.


MANIPULATION DE LA VIOLENCE PAR LES POUVOIRS PUBLICS

Il y a d’abord eu des accusations de dégradations matérielles. Une nuit à Gaillac, des bus du CG ont été tagués, des pneus crevés et les Zadistes1 ont été accusés sans preuve. Lors d’une occupation non-violente des couloirs du CG par environ 70 militants, une personne inconnue, le visage caché d’un foulard, a tagué les murs intérieurs. Ces événements ont été très médiatisés par le CG pour discréditer l’opposition au barrage auprès de la population. Pour moi, il s’agit d’une manipulation bien organisée et qui s’est montrée efficace. La Préfecture a également cherché à faire passer les opposants pour des personnes violentes. Fin août 2014, lors de la réoccupation du site pour empêcher les travaux de déboisement prévus, des occupants non-violents ont été injustement accusés d’avoir jeté des pierres sur les gendarmes et ont été jugés en comparution immédiate. Faute de preuves, ils ont été relaxés. Fin septembre 2014, deux opposants au barrage ont été condamnés à une peine de prison avec sursis pour violences à l’encontre des forces de l’ordre. Le gendarme blessé (45 jours d’incapacité temporaire de travail) a souvent été cité comme un exemple des victimes de violences et cette condamnation a été fortement médiatisée. Mais une vidéo militante montrant que le gendarme a été blessé par un de ses collègues a permis d’obtenir la relaxe par la cour d’appel.


L’ACTION VIOLENTE AFFAIBLIT LA LUTTE

Si de nombreuses accusations de violences médiatisées sont le fruit d’une manipulation que seuls les acteurs impliqués peuvent percevoir, quelques actes violents ont bien eu lieu. Qu’il s’agisse de quelques Zadistes, ou de groupes venus de l’extérieur comme celui lançant des cocktails Molotov sur des gendarmes lors du week-end de la mort de Rémi Fraisse, il existe bien une petite minorité de manifestants prêts à agir violemment. Leur comportement a été facilité par le positionnement majoritaire sur la Zad que dénonce Samir : « il faut laisser libre champ à tous les modes d’action ». Ce principe était d’autant plus risqué que tout volontaire pouvait s’installer sur la Zad, ouvrant ainsi la porte à d’éventuelles personnes infiltrées pour provoquer des actions violentes. Pour moi, cette tolérance d’actes violents dans une lutte lui nuit fortement. Les médias de masse relayant de manière disproportionnée les violences, cela déforme l’image d’un mouvement qui agit très majoritairement de manière non-violente. Évidemment, cela fait le jeu de nos adversaires qui peuvent ainsi dénoncer tous les manifestants comme une minorité extrémiste et justifier une dure répression. Toute personne engagée dans des luttes non-violentes connaît les efforts que ce choix implique. Cela demande plus d’imagination, de temps de préparation collective, de maîtrise de soi…

On connaît l’importance de l’image extérieure d’une lutte pour qu’elle ait des chances de rassembler des soutiens. Il suffit de quelques actes violents, même minimes, pour que les efforts menés collectivement pendant des années soient anéantis. La très grande majorité des Zadistes a été non-violente, elle a su garder une grande maîtrise face à une terrible répression quotidienne en septembre/octobre 2014. Des équipes de clowns ont souvent tenté de désamorcer les tensions, parfois avec succès.


L’ÉMERGENCE D’UN LARGE MOUVEMENT ÉCOLOGISTE NON-VIOLENT

J’imagine que beaucoup d’entre eux ont quitté le site de Sivens avec cette frustration de voir que l’image de la Zad, des Zads en général, était autant déformée par les actes violents d’une petite minorité. Dans ce contexte, la création d’ANV-Cop21 est une opportunité de s’engager dans des actions déterminées mais clairement non-violentes. La mobilisation lors des actions à Pau contre le sommet des pétroliers ou en Allemagne contre les mines de charbon montre qu’il y a une attente forte pour un mouvement menant des actions de résistance de manière non-violente et efficace. Espérons que les militants d’ANV-Cop21 ne seront pas durement réprimés. Car cela laisserait craindre que l’impasse de la voie non-violente pour résoudre les crises écologiques, qui menacent désormais les conditions de vie humaine (et de nombreux autres espèces) sur Terre, ne fasse basculer quelques-uns dans des actions terroristes. Ce qui s’est passé avec les mouvements d’extrême-gauche en Europe dans les années 1970 devrait servir de leçon…

 


Article écrit par Ben Lefetey.

Article paru dans le numéro 180 d’Alternatives non-violentes.