Pourquoi il n’y a rien à attendre des actions violentes

Auteur

Lou Marin

Année de publication

2019

Cet article est paru dans
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La violence insurrectionnelle, promue par certains comme nécessaire à toute révolution, apparaît, après analyse de conflits récents, tels ceux du Printemps arabe, comme un accélérateur du processus de guerre civile.

LOU MARIN est un journaliste, traducteur, chercheur et essayiste libertaire francophone d’origine allemande. Il participe au journal non-violent et anarchiste allemand Graswurzelrevolution.

 

En février 2019 a débuté en Algérie un mouvement de protestation non-violent historique pour exiger le retrait de la candidature à l’élection présidentielle du président sortant, Abdellaziz Bouteflika, et rejeter un système corrompu et autoritaire. Pour la marche du 8 mars, le poète et écrivain algérien Lazhari Labter a rédigé Les 18 commandements du marcheur pacifiste et civilisé.1 Son texte est devenu rapidement viral sur Internet et a inspiré la quasi-totalité des marcheurs. On y lit notamment :

Pacifiquement et tranquillement je marcherai.

En homme digne et civilisé je me comporterai.

À aucune provocation je ne répondrai.

Les baltaguias2 j’isolerai et à la police je les remettrai.

Pas une pierre je ne jetterai.

Pas une vitre je ne briserai.

Pas un mot déplacé je ne prononcerai.

Aux personnes et aux biens je ne toucherai.

Pourquoi un rejet tellement strict de la violence ? En Algérie, comme au Soudan actuellement, les masses opposantes au régime agissent ainsi parce qu’elles ont vécu, dans leur histoire récente, une guerre civile, chose que les militants français n’ont pas connu depuis 75 ans.

Les partisans de l’action violente négligent consciemment ce que les contestataires du printemps arabe de 2011 ont payé amèrement avec leur sang. En Lybie, les militants armés disaient qu’ils abandonneraient les armes après la chute de Kadhafi, ce ne fut pas le cas. En Syrie, les insurrectionalistes violents ont vivement accueilli la fondation de l’Armée syrienne libre (ASL) fin 2011, début 2012. Ce dont témoigne un petit livre d’entretien avec deux anarchistes insurrectionalistes d’Alep3. On y lit leur mot d’ordre au moment de la fondation de l’ASL : « Si tu n’as pas de kalachnikov, il faut utiliser le molotov ! ».4

Il n’y a qu’en Tunisie que le mouvement n’est pas tombé dans une dynamique de violence et a porté ses fruits.

De la contestation violente à la guerre civile

On connait la démarche de l’Armée syrienne libre, débouchant sur une guerre civile, cruelle et interminable avec des interventions internationales de tous les côtés. De plus, les milices intégristes ont repris le commandement d’une grande partie des troupes, allant jusqu’à soutenir l’intervention militaire des Turcs à Afrin en 2018. Une catastrophe encore pire que tous les avertissements provenant des militants non-violents syriens, exprimés en 2011/12.5

  À l’époque, des militants pro-violence ont revendiqué la nécessité de l’ASL avec un seul argument à répétition : « Alors que, vous, les non-violents, avez essayé de faire chuter Assad pendant huit mois sans succès, nous, avec une armée, on va le faire tomber en trois mois maximum ! »

Je le sais pour avoir été au courant des débats au sein de l’Internationale des résistant(e)s à la guerre (IRG) sur le sujet. Trois mois… C’était l’argument phare du moment ! L’histoire leur a donné tort. En somme, on doit donc constater que les insurrectionalistes violents n’ont joué qu’un rôle intermédiaire et d’accélération dans cette dynamique allant non pas vers une véritable révolution, mais vers une guerre civile sanglante.

De l’importance d’une révolution non-violente

Les Algériens d’aujourd’hui ont connu leur propre guerre civile. Dans les années dites « noires » de la décennie 1990, la lutte entre islamistes et forces armées a causé des dizaines de milliers de morts. Là aussi, des tactiques de luttes violentes dans la rue, aux moyens des pierres et des cocktails Molotov, ont été mises en œuvre. Et cela s’est conclu par une guerre interminable pleine des massacres et d’atrocités. Les Algériens ont bien observé la dynamique qui a débouché sur une guerre civile, en Algérie comme en Syrie. De ces observations sont nés les commandements de Lazhari Labter, soigneusement suivi par les marcheurs non-violents de 2019.

Aujourd’hui, en France, au sein de quelques groupes extérieurs ou intérieurs aux « gilets jaunes », on parle facilement d’une guerre civile et d’action violente. Mais on n’en a jamais vécu les conséquences meurtrières comme récemment dans les pays arabes. Une révolution non-violente fera éviter toute dynamique qui mène à une guerre civile, de là provient son caractère émancipateur.

 

1. Cf. www.algerie1.com.

2. Baltaguias : nom donné aux casseurs payés par le pouvoir pour créer des violences.

3. Cf. Échos révolutionnaires de Syrie. Conversations avec deux anarchistes d’Alep, Éditions Hourriya, 2016, cf. hourriya_fr@riseup.net.

4. Citation révélateur, ibid., p. 112.

5. Collectif : Non-violence dans la révolution syrienne, co-édité par Les Éditions libertaires et Éditions Silence, Lyon 2018.


Article écrit par Lou Marin.

Article paru dans le numéro 192 d’Alternatives non-violentes.