Entretien avec Jean-François Bernardini

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Entretien avec Jean-François Bernardini

Artiste, leader du groupe corse I Muvrini ; président de l’AFC Umani ; auteur de La Corse invisible, Éd. AGB, 2013 ; Carnet pour Sarah, Éd. Anne Carrière, 2005.

Aller au bout de ses entreprises, répondre à de nombreuses sollicitations, rendre la force de la non-violence contagieuse en Corse et sur le continent, tout en gardant lucidité et joie de vivre, voici ce qui caractérise tant celui qui, à coup sûr, compte beaucoup dans la filière corse de la non-violence. Explications.

 

ANV : Pouvez-vous raconter comment tout a commencé ? Votre famille, votre village corse, les rencontres… 

Jean-François Bernardini : J'ai eu le privilège de grandir dans le petit village de Tagliu Isulaccia, à 40 km de Bastia. Mes parents y tenaient une petite épicerie de village. Mon père était menuisier de formation. Père d’une famille de six enfants, il était dépositaire d'un précieux héritage de la tradition orale corse : il avait une voix exceptionnelle et connaissait l'art de la polyphonie. Ma mère chantait magnifiquement. Cette éducation musicale précoce, avec le monde rural et l'univers paysan qui l'accompagnent, sont la matrice de ma « harpe » intérieure.

C'est à l'âge de 8 ans, avec mon frère Alain, que nous nous sommes mis à égrener les premières notes avec notre père, Ghjuliu Bernardini. Des anciens du village se réunissaient chez nous pour chanter ensemble. En dehors de deux musicologues suisses et allemands, peu de monde s’intéressait à ces chants « archaïques » et sans grande valeur. Dans l’espace public institutionnel, cette culture n’avait ni intérêt ni droit de cité.


 

ANV : D’où vient le groupe i Muvrini ? Est-ce une histoire de famille ou un geste d’affirmation corse ?

 J-F. B. : Je crois qu’il s’agit surtout d’un geste de vie et d’espérance. Le groupe a été fondé lors de mon passage par l'École Normale d'Ajaccio : la famille, la langue, la tradition chantée en étaient le socle. Avec des amis musiciens nous ajoutions alors une nouvelle branche à cet arbre de vie, qui était plutôt perçu comme une « mauvaise herbe ».

Personnellement, j'avais le sentiment d'avoir goûté à une source précieuse, un trésor de poésie, une couleur de peau unique qui épousait parfaitement cette terre. Et je prenais presque organiquement conscience à quel point cette langue naguère interdite, cette culture reléguée à des chants archaïques, des "chants de paysan", au sens péjoratif du terme - au lycée de Bastia, « paisanò », « gros paysan », « plouc », était une insulte fréquente… -, n'avait pas droit à sa noblesse, à sa reconnaissance .

Pour moi cette injure s'adressait à mes Pères, à mes familiers, à mes anciens. Il m’était essentiel, impérieux de dire la beauté de leurs âmes.

Tous ces obstacles m'ont inoculé le virus bénéfique de la survie : être prêt à crever pour chanter ma terre, chanter cette part de beauté, de dignité, d'humanité qui s'additionne à tous les trésors du monde. Cela m'a donné toute la rage qu'il fallait pour abandonner ma formation d'enseignant et m'engager dans l'inconnu et le vide d'un chemin d’artiste à tracer en « langue régionale ». 

La merveille de la polyphonie, c'est qu'elle vous apprend à être avec la voix de l'autre. Elle nous apprend qu'ensemble il y a une beauté plus grande : une oreille pour entendre l'harmonie du monde, mais aussi détecter les fausses notes qui le détimbrent ... - et l'autre pour sa propre musique intérieure.


 

ANV : De la polyphonie traditionnelle au spectacle Invicta, quel a été votre cheminement ?

J-F. B. : Je suis un artiste de mon temps, dans un monde artistique qui cultive l‘idéologie du désengagement - moins tu es engagé plus tu es artiste, plus tu es diffusé, plus tu es médiatisé. J’ai eu des Pères en musique, je cherche maintenant des frères aussi.

Le chemin a été fait d'écueils qui nous semblaient insurmontables. Le plus difficile, finalement, a été d'oser : oser imaginer, oser rêver autre chose que la nostalgie d’un folklore.

Nos anciens nous ont invités à dépasser la tradition, ils nous ont transmis les racines de la confiance, de l'audace, de la créativité : et il fallait sacrément aimer sa langue, sa culture, son patrimoine de vie pour faire face au mépris, à l’indifférence ...

La musique, la poésie, c'est aussi une capacité à traduire une âme, un monde, une époque en mouvement. Il nous a fallu travailler d'arrache-pied pour sortir des assignations à résidence culturelle. À savoir, d'une part la musique corse ne serait que nostalgie et folklore, d'autre part, la musique corse ne pourrait concerner et intéresser que les Corses !

INVICTA, Music For Non-Violence, est en 2016 le concentré de notre travail : ces chansons incarnent à leur manière cette marche vers un cercle toujours plus grand. C'est cet enracinement-là qui nous donne la force et l'audace d'inviter des réfugiés Syriens à chanter sur scène avec nous à Bruxelles, trois jours après les attentats du 23 mars 2016 dans cette ville La force d'écrire des chansons comme O Ismà, ou d'aller à Saint-Denis (93) parler de non-violence ... J'aime beaucoup cette phrase de Clarissa Pinkola Estès : « Ils avaient fait un cercle pour nous exclure, nous avons fait un cercle encore plus grand pour les inviter »


 

ANV : Que s’est-il passé quand I Muvrini a voulu chanter à Lugu di Nazza il y a une trentaine d’années?

J-F. B. : Août 1984, I Muvrini doit donner un concert à Lugu Di Nazza, petit village de la côte ouest. Quelques jours auparavant, le maire prend un arrêté d'interdiction du concert pour risque de « troubles sur la voie publique ». Chanter en langue corse était alors assimilé à un acte subversif, suspect de remettre en question ce que je nomme le « désordre établi », la « normose corse ». Notre indignation était immense, notre colère aussi.

En accord avec des associations culturelles et diverses forces vives, I Muvrini maintient le concert et accède au village. Après notre arrivée vers 15 heures, les gendarmes barrent la route à 6 kms. Des escadrons de CRS et des tireurs d'élite prennent position dans la commune. Pendant l'après-midi, le public - par centaines de personnes, toutes générations confondues -, marchera 6 kms à pied sous le soleil pour accéder au lieu du concert par des voies détournées. À 20 heures, il y a foule. Aucun citoyen ne porte une arme, ce qui pour nous allait de soi. Cela démontrait le pouvoir spontané, inouï, d'une action non-violente. Pas un seul incident ne fut à mentionner. Dans la foule, des militants socialistes indignés ont fait ce geste symbolique de déchirer leur carte PS devant les caméras... À 20 h 30, le maire en liaison avec les autorités lâche prise. Coup d'éclat, le concert a lieu !

La Corse a manifesté, par là-même ce jour-là, un acte de désobéissance civile qui marquera les esprits. Cette stratégie efficace, imaginée de façon innée, spontanée par le peuple, nous a puissamment marqués. Elle indiquait une issue entre violence et lâcheté. Elle donnait un aperçu du combat non-violent où tout le peuple pouvait participer. Cette expérience a imprégné notre jeunesse de la force du « pouvoir des sans-pouvoir ». Nous disions déjà par ce geste collectif : « nous trouverons de meilleurs moyens pour faire vivre ce qui doit vivre. »

 Cette Corse-là, droite dans ses bottes, était en accord avec elle-même. Nous avons fait ce jour-là l’expérience que la non-violence peut transformer l‘adversaire en allié. Les villages qui nous interdisaient, nous invitent aujourd’hui, et des  CRS viennent nous demander des  dédicaces !


 

ANV : Comment parvenez-vous à vous ressourcer, à rester fidèle à votre engagement pour la Corse ? Où trouvez-vous l’inspiration des dernières créations ?

J-F. B. : Brassens disait qu'écrire des chansons était très simple : il suffit juste d'y penser et d'y œuvrer 24 heures sur 24. Parfois le piano ou la guitare, le stylo et le carnet, vous appellent à minuit ou à 5h  du matin, et on se raconte des histoires extraordinaires. Se retrouver avec les autres membres du groupe I Muvrini est aussi une fête. Parler aux anciens, aux lycéens, écouter les bergers, lire, dialoguer avec les compagnes et compagnons de route en non-violence, les villageois de Pianellu…   

Il s'agit de déployer ses antennes, d'essayer de voir ce que l'autre ne voit pas, de révéler l'invisible, l'inaperçu - cette vérité qui est le socle de la non-violence. De ce point de vue les tourments du monde sont aussi importants que la fenêtre face à la mer. Il s'agit d'écouter sa terre intérieure pour y demeurer fidèle. Oui, plus on a de racines, plus on ouvre les bras. Moins on en a, plus on vote FN. 

Être corse et être créateur en Corse, c'est aussi prendre en compte autre chose que la Corse. Dans nos terres intérieures, il y a place pour l'humanité, pour la rencontre, la richesse et la beauté de l'autre. Plus nos vies sont en éveil, plus les chansons ont d'épaisseur, de vérité, et de raisons d'être. Un artiste est transformant, ou il n’est que décoratif.


 

ANV : Comment l’exigence de non-violence a-t-elle débarqué dans votre vie ?

J-F. B. : La non-violence est aussi ancienne que les montagnes, même corses. Je ne suis qu'un apprenti ! Je parlerai de trois sources qui m’ont guidé et me guident encore. Je crois d'abord que la matrice de la ruralité, le monde paysan universel, a préparé   mon « initiation ». Le village est le lieu de la mutualité, celui de l'empathie spontanément appliquée, quotidienne, vécue. L'empathie n'est-elle pas le levain de la non-violence ?

Je vais mieux quand tout le monde va mieux : « Hè megliu à more ch'è  tumbà » (mieux vaut mourir que tuer) ; entendre cela très tôt dans la vie est une extraordinaire initiation à la bienveillance, à l'ahimsa, à la non-violence.

D’autre part, à ma sortie de l'École Normale d'Ajaccio, je suis tombé sur un numéro de la revue « Alternatives Non-Violentes » qui m’a passionné. Je m’y suis abonné, j’ai appris à découvrir tous les grands frères en non-violence, de Martin Luther King à Lanza del Vasto, de Tolstoï à Gene Sharp, de Jean-Marie Muller à Yazid Kherfi, et tous les grands thèmes fondamentaux de la non-violence.

Enfin la Corse, entre « violence subie » et « contre-violence » commise, est pour moi une source d'interrogation permanente. Dans une île piégée par l'absence de vérité, par le mensonge des armes, la non-violence m'aide chaque jour à mieux décrypter les réalités, une voie pour sortir des impasses entre résignation, lâcheté et violence.


 

ANV : Pourquoi avez-vous une vision positive de la Corse et des Corses ?

J-F. B. : Gandhi nous aurait-il posé cette question ? Il est vrai que le « portrait-robot » ne présage pas du meilleur. Ce « construit » négatif  sur la Corse n’est-il pas très utile et nécessaire pour évacuer les responsabilités ? J'essaie d’avoir de la Corse une vision amoureuse, mais aussi lucide, critique, en passionné de solutions que je suis.

Dans mon village, j'ai vu tant de gestes de bienveillance, de patience, de paix, de  solidarité, d'amour des arbres, des animaux et des fontaines. J'y ai grandi avec un Marocain, un Italien, un continental..., partageant notre table familiale pour vivre ensemble la vie la plus simple, qui est aussi la plus exquise de délicatesse. J'ai entendu mes parents dire, dans cette confiance solidaire, au petit comptoir de leur épicerie : « Pacarete quand'è vo pudete » (vous paierez quand vous pourrez).

J'ai ouvert les yeux sur la Corse, capable d'accueillir 20 000 pieds-noirs (presque 10 % de la population locale) en 1962, sans le moindre incident xénophobe : c'est là une performance sociale exemplaire. Cela est très loin, bien sûr, de l'épouvantail corse qui fait des ravages, y compris dans l'auto-estime des Corses.

La vérité est dans les détails. Je pense alors à ce berger de 80 ans qui transmet chaque jour l'art de son métier aux plus jeunes avec passion et patience infinies. Il résume son  immense engagement en disant humblement : « On essaie d'être là ! » J'ai appris à faire confiance à cette force du peuple qui ne s'affiche nulle part et reste profondément vivante.


 

ANV : Vous parlez souvent d’un trauma spécifique à la Corse. D’où provient-il ?

J-F. B. : Le trauma est une blessure niée qui n’existe ni dans les livres officiels ni dans les consciences. C’est la ruse la plus efficace : nier la blessure. C’est la femme violée, dont on n’a jamais reconnu le viol, et à qui l’on dirait : « Mais pourquoi ne souris-tu pas ? »

Et pourtant il y a des traces. Lors de sa « conquête » militaire de 1769, la France n’écrasait pas en Corse une dictature, mais le plus bel exemple européen d’une  démocratie avant la lettre, avec séparation des pouvoirs, justice indépendante, droit de vote pour les femmes dès 1755  et ouverture d’une Université.

« Toute l’Europe est corse » s’était écrié Voltaire dans l’enthousiasme et l’admiration de la petite République de Pasquale Paoli. Rousseau, Goethe, Hoelderlin, James Boswell, Thomas Jefferson…avaient salué cette avant-garde d’une société moderne.

  Après la guerre de 1769 perdue contre les armées de Louis XV, il y a eu persécution de tout un peuple pendant des décennies. Éxécutions, tortures publiques. Il faut lire l’épisode de Maria Gentile dans le village d’Oletta, cette Antigone corse, l’anti-Colomba ! Elle est la voix corse sans armes, faite pour partager l’amour et non la haine. C’est plus grand que tout.

Un décret du Comte de Vaux le 3 mai 1769 illustre la terreur de l'époque : « Les villages corses résistants seront brûlés et leurs habitants envoyés en galère. N’épargnez ni les moissons ni les vignes ni les oliviers de ceux qui refuseront de se soumettre. C’est le seul moyen de leur imprimer la terreur et de les ramener à l’obéissance. »

Mirabeau déclarait le 30 novembre 1789 à la tribune de la Constituante : « J’avoue, messieurs, que ma première jeunesse a été souillée par une participation à la conquête de la Corse, mais je ne m’en crois que plus strictement obligé à réparer envers ce peuple généreux ce que ma raison me représente comme une injustice. »

 Vous me demandez pourquoi je parle d’un trauma ? Parce que je souhaiterais que l’on en sorte grandis ensemble, que l’on progresse dans la compréhension de ce qui nous arrive. Parce que ce qui est tu, crie en nous. Il  n’y a aucune place dans les consciences pour cela. Parce que le « mensonge par omission » fait des ravages. Il faut travailler sur le passé pour l’empêcher de nuire au futur. J’en parle justement parce que ni les jeunes Corses ni les jeunes Européens ne lisent rien de cette vérité dans leurs livres d‘histoire. Je parle d’un trauma car il n’y a aujourd'hui aucune reconnaissance, ni mémoire nommée, ni  lieu de commémoration officielle et partagée. Il y a non-lieu, non-histoire.

Celui qui ne comprend pas son histoire se condamne à la répéter. Le trauma engendre le trauma, il perdure à travers les générations. Que l’on veuille l’admettre ou pas, des deux côtés, nos « inconscients » portent les symptômes de ce « post traumatic disorder. » Au moindre déclencheur, surgissent  les résidus de la blessure. Chacun est agi, guidé par les séquelles du « trauma ».

Et le pire c’est cette logique infaillible : « Si c’était aussi grave, ça se saurait ! » À la non-violence de préparer le terrain pour nommer cette Histoire-là, vers  un « soulagement » par la vérité, pour la dépasser et écrire ensemble la plus exemplaire des résiliences.

Il y a en Corse un « mal qui va sans dire », et qui est un peu la clef de nos tragédies. Le tourment de mon peuple est aussi mon tourment personnel. La bonne nouvelle, c'est que si le trauma fait partie de la vie, il n’est pas une condamnation « à vie », à perpétuité. Lorsqu’on le guérit, cela change tout. La fin sera belle. Le processus de réconciliation par la vérité entre les aborigènes et l‘État Australien en est un témoignage, certes non terminé, mais éloquent.

Est-il interdit de rêver, qu’un jour, les enfants de France aient la même vérité sur le même livre d’histoire ? Est-il interdit de rêver qu‘un jour les descendants de Pasquale Paoli et les descendants du Préfet Érignac1 se retrouvent pour s’incliner ensemble devant  les douleurs de l’Histoire, et enfin entamer réunis le combat des justes avec les justes ? 


 

ANV : Quel avenir pour la langue corse ? Pourquoi selon vous ?

J-F. B. : Le premier constat est douloureux. Il y a eu en Corse un « linguicide » programmé. Il est aujourd’hui en phase terminale.

Que se passe-t-il dans la psyché d’un peuple dont on a interdit la langue « maternelle » et dont le désir même de cette langue est aujourd’hui moribond ? Quand on interdit une langue, la première génération souffre, la deuxième a la haine, la troisième est épuisée, orpheline. Quant à la quatrième et les suivantes, point d’interrogation. « Meurtre de l’âme » dirait l’Unesco, désenracinement ! On a voulu « défaire » la Corse de sa langue. Je suis une part de cette langue que l ‘on a voulu éteindre. Je suis, nous sommes une part de ces langues que l’on veut effacer du monde. Mais ce n’est ni l’école toute seule, ni une décision administrative qui peuvent  sauver les langues. Elles peuvent les tuer certes, pas les ressusciter, sauf à se contenter d’une langue de consolation à « 50 mots ».

Et pourtant, dans cette langue, rien d’important n'aurait - selon qui ? -  jamais été dit ou écrit. Là est bien le reproche que l’on fait à toute langue dite « régionale » en France ! La langue corse est aujourd’hui accueillie, aimée, chantée, par des centaines de milliers de gens en Corse et en Europe. Elle inspire des petits miracles, comme auprès de ces jeunes lycéens traducteurs qui s’enthousiasment à faire briller en langue corse les textes d’Anna Gavalda, de Rilke, de Jean Giono, d’Anne Frank… Un enthousiasme partagé par des auteurs qui disent leur fierté d’être traduits en corse. Comme Erik Orsenna répondant à ces lycéens: « Le breton que je suis est fier d’être traduit en corse. »

Être bilingue précoce - français et corse - est une chance inestimable qui ouvre le cerveau pour toujours et pour toutes les autres langues. Cela nous apprend à aimer toutes les langues du monde. C’est bien cela l’avenir !

 

ANV : Pourquoi avoir créé l’AFC Umani2, quel est son objectif ?

J-F. B. : Il n y a pas plus belle insolence aujourd’hui que celle d’inventer des petits pas, des prototypes de solutions. Nous connaissons le pouvoir des sans-pouvoir. Nous avons créé l’AFC Umani parce qu’éthiquement nous sommes nombreux à pouvoir travailler ensemble au service du bien commun.

L’Association pour une Fondation de Corse Umani est une petite ONG européenne, portée par  des citoyens qui ne  restent pas  spectateurs. Son objectif est de créer des outils, des structures, d’accompagner des porteurs de responsabilités qui changent  le monde.

Rendre capable, équiper pour la vie, construire des réponses et des initiatives, au lieu de seulement émettre des revendications. Une « pensée en actes », en quelque sorte. Nous avons choisi le dynamisme du « marcher », verbe actif ! 


 

ANV : À quelle vie démocratique rêvez-vous en Corse ?

J-F. B. : Les élections ne sont que 2 % de la démocratie. Celle-ci ne se limite pas à un passage dans l’isoloir tous les 5 ans, même en Corse. Tout le reste dépend de  la participation et de l’engagement des citoyens debout.

Cela concerne tous les domaines. À ce titre, la Corse est actuellement confrontée à la crise des déchets. L’AFC Umani, enzyme de la démocratie, a déclenché avec d’autres forces vives le débat public sur les meilleures  alternatives. Le réseau Zeru Frazu (zéro déchet - zéro gaspillage) est aujourd’hui une perspective concrète.

Depuis la venue dans l’île, en 2015, de Jacques Muller avec son expertise, en passant par nos formations « Deviens guide composteur », jusqu’à la distribution de milliers de « mode d’emploi déchets » lors de concerts, on a mis sur pied toute une pédagogie du peuple qui honore et revitalise la démocratie, la démocratie « particip’active ».

Par ailleurs, n’oublions pas qu’aujourd’hui ce sont les multinationales qui font des procès aux États démocratiques. Philip Morris reproche à l’Uruguay ou à l’Australie de mener des campagnes anti-tabac, en exigeant des millions de dollars ! Dans ce monde - où les mêmes logiques privatisent les prisons, ouvrent un magasin  Kalashnikov à l’aéroport de Moscou3, achètent des places publiques au sens réel, s’approprient les semences, tandis que le nombre de morts « sans nom » augmente en Méditerranée -, la démocratie a besoin de nous tous, et c’est pour nous tous sur la planète entière : « même combat. »

   La suite de cet entretien, que l’on lit sur la version papier à acheter sur ce site, comprend les réponses de Jean-François Bernardini aux questions suivantes :

ANV : Faut-il avoir peur des nationalistes ?

ANV : Quels sont, selon vous, les dossiers prioritaires à l’Assemblée de Corse ?

ANV : Existe-t-il une culture de non-violence en Corse ? 

ANV : Pourquoi l’AFC Umani organise-t-elle depuis 2011 des formations à la régulation non-violente des conflits dans des collèges et lycées corses ?

ANV : Comment expliquez-vous qu’il existe si peu de personnes et de groupes qui, en Corse, puissent initier des luttes non-violentes comme le boycott, la grève de la faim, la désobéissance civile… 

ANV : Vous intervenez maintenant beaucoup sur des radios comme France Culture, vous donnez partout des conférences sur le continent, « Non-violence, ça s’apprend », «  Non-violence, un équipement de vie », «  La force de la non-violence au XXI° siècle », etc. Qu’observez-vous suite à ces interventions ?

ANV : Qui vous finance ?

ANV : D’où provient selon vous cet intérêt grandissant pour la non-violence, en Corse comme en Europe ?

ANV : On nous sert pourtant l’idée d’un homme violent par nature ? 

ANV : Comment l’AFC Umani a-t-elle réussi à faire traduire en langue corse le fameux livre Sagesse et malices de Nasreddine, le fou qui était sage ? Pourquoi le choix de ce livre ? 

ANV : Selon vous, pourquoi la non-violence - avec ses victoires, ses méthodes, ses principes - n’est-elle pas inscrite au programme de toutes les écoles du monde ?

 

   Entretien réalisé par François Marchand et François Vaillant.

 

1 Le 6 février 1998, Claude Érignac, alors préfet de Corse et de la Corse du Sud, a été abattu alors qu’il se rendait à pied au théâtre d’Ajaccio avec son épouse.

2 Site : www.afcumani.org

3 Voir Les Échos du 23 août 2016.


Article écrit par François Vaillant, Jean-François Bernardini et François Marchand.

Article paru dans le numéro -1 d’Alternatives non-violentes.