Nous connaissons tous dans nos familles, parmi nos amis, des personnes qui ont été tuées sur la route ou qui demeurent handicapées à vie.
La violence routière est impitoyable, mais elle est acceptée par la société comme le tribut sacrificiel d’un objet idolâtré par beaucoup : la voiture. S’il n’y avait pas idolâtrie, donc aveuglement, depuis longtemps on se serait un peu plus questionné sur les 8 000 morts et les 30 000 blessés graves, chaque année, en France. Les morts sont enterrés. Les blessés graves deviennent des handicapés à vie. Ceux-ci représentent sur dix ans l’équivalent de la population d’une ville comme Toulouse !
La voiture n’est pas seulement l’objet que certains bichonnent pour le paraître, l’objet érotisé, comme par hasard, par l’idéologie publici- taire. La voiture est aussi comme un second corps qui enveloppe le premier et suscite cette distance si caractéristique vis-à-vis d’autrui et du monde, cet éloignement qui fournit le sentiment de dominer et d’être hors d’atteinte. Second corps, certes, mais aussi comportement : « Montre-moi comment tu conduits, je te dirai qui tu es. » Conduire, c’est se conduire ; souvent avec violence.
Quand on décide de « prendre la route », c’est qu’on n’a nullement l’intention de la partager : « Qu’est-ce qu’il attend pour avancer ? » « Je vais lui faire sa fête... » « Tout le monde roule sur l’autoroute à 150, pourquoi pas moi ? » « Il est fou ce piéton de traverser » (au passage clouté !)... « Tiens, je suis passé à un feu orange bien sanguin !... » « Pousse-toi que je passe », etc.
La vitesse permet de se dérober aux regards, à la différence de la marche à pied et du vélo. Peu importe si ma voiture pollue, gêne ou menace. Je n'ai pas le temps d'avoir honte. La voiture permet d'être impunément mufle et lâche !
Face à la violence routière, il convient de proposer une culture routière non-violents. Ce numéro d'ANV présente donc un double intérêt : tout d'abord celui de débusquer les causes de la violence routière, que plusieurs auteurs raccordent à l'infantilisme et à l'anxiété des conducteurs, et, en deuxième lieu, de montrer le réaménagement urbain est possible, donc souhaitable.
En désintoxiquant les villes des voitures, grâce à une politique de nouveaux transports en commun, la vie urbaine pourrait devenir moins individualiste, plus harmonieuse, plus humaine. Par ailleurs, disons-le d'emblée : halte aux lobbies pétroliers et aux lobbies des camions ! L'avenir est au rail, puisque de toute façon il n'y aura plus de réserve mondiale de pétrole dans quarante ans !
François Vaillant