Auteur

François Marchand

Année de publication

2004

Cet article est paru dans
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Je fais un rêve...

« Je rêve qu’un jour, sur les collines rouges de Georgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité...

Je rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur leur personnalité...

Je rêve qu’un jour l’État du Mississipi lui-même, un État désert qui étouffe dans la fournaise de la haine et de l’injustice, sera transformé en une oasis de liberté et de justice.

Je rêve qu’un jour l’État d’Alabama, dont le gouverneur n’a actuellement à la bouche que les mots de séparation et d’annulation, se transformera en une terre où les petites filles et les petits garçons noirs pourront donner la main aux petites filles et aux petits garçons blancs et aller ainsi, la main dans la main, comme des sœurs et des frères... »

Le 28 août 1963, Martin Luther King parle ainsi aux 250 000 manifestants de la cause des Noirs américains devant le Mémorial d’Abraham Lincoln à Washington ; il lâche soudain ses notes pour improviser un discours qui va devenir célèbre : « I have a dream... »

Quarante et un ans plus tard, l’État du Mississipi n’est toujours pas une « oasis de liberté et de justice », mais n’est plus, de toute évidence, « une fournaise de haine et d’injustice » ; les enfants et les petits-enfants de Martin peuvent enco- re souffrir de la couleur de leur peau, mais sont beaucoup plus souvent jugés sur leur personnalité. La discrimination positive, la politique scolaire ont, depuis quarante ans, permis à beaucoup d’enfants noirs et blancs de se donner la main — pas tous. Le gouverneur d’Alabama peut encore parler de séparation ou l’évoquer à demi-mot, mais un autre État raciste du Sud, la Virginie, a élu en 1990 le premier gou- verneur noir 1 d’un État américain ; en 2004, c’est un Noir, Colin Powell, qui est le ministre des Affaires étrangères des États-Unis, malheureusement d’aucuns en auraient préféré un autre, moins controversé. Aucun Noir n’a encore été candidat à la présidence des États-Unis, mais l’un d’entre eux s’en est approché 2. La réalisation du rêve n’est donc pas totale, mais Martin Luther King avait rêvé plutôt juste. Le rêve a pu être réalisé car il relevait de caractéristiques primordiales du combat non-violent : des principes fermes, des objectifs raisonnables et des moyens justes. Cela ne donne ni victoire totale, ni écrasement de l’adversaire, mais ouvre la porte à une avancée signi- ficative qui justifie, a posteriori, le combat mené.

Vingt et un auteurs, proches de la non-violence, dont de nombreuses personnalités membres de Non-violence XXI, se sont essayés, eux aussi, à rêver leur combat non-violent : un aboutissement dans dix ou vingt ans pour certains, cinquante ou quatre-vingt- dix ans pour ceux qui ont un optimisme plus modéré... Pas de grandes révolutions, mais un début de réalisation de l’utopie d’une culture de non-violence. Alternatives non-violentes et Non-violence XXI ne leur ont pas demandé de s’improviser orateur comme l’illustre prédécesseur, mais seulement de se mettre dans la peau d’un journa- liste du futur : ils ont copié le style d’un journal d’aujourd’hui ; cette technique autorise bien des rapprochement inattendus, des retours critiques sur un « passé » qui est notre actualité... et l’humour surgit souvent au détour d’une phrase.

Ceci commence en 2009, l’année où s’achève(ra) la Décennie internationale de l’ONU pour la promotion d’une culture de non-violence et de paix aux profits des enfants du monde ; rêvons que cela pourra continuer au-delà, jusqu’en 2099 !.

À la seule lecture de ces vingt et un titres, chaque lecteur saura-t-il y retrouver son propre rêve ?

François MARCHAND

co-président de Non-violence XXI et membre du Comité de rédaction d’Alternatives non-violentes.

1) L. Douglas Wilder gouverneur de Virginie de 1990 à 1994.

2) Le révérend Jesse Jackson, un ancien fidèle de Martin Luther King, fut candidat à la candidature présidentielle démocrate en 1984, et 1988 où il arriva second avec 7 millions de voix.

 


Article écrit par François Marchand.

Article paru dans le numéro 131 d’Alternatives non-violentes.