Le travail d’équipe est à développer à l’école

Auteur

Élisabeth Maheu

Année de publication

2004

Cet article est paru dans
132.jpg

lI ne s’agit pas seulement de se réunir entre enseignants, mais de développer des partenariats et de partager les responsabilités entre tous les acteurs, élèves et parents compris. Les comportements personnels et les fonctionnements collectifs se renforcent mutuellement.

Élisabeth MAHEU, Formatrice à l’IUFM de Rouen sur les questions de prévention des violences et de régulation des conflits, membre de l’Ifman Normandie. Ouvrage à paraître : Sanctionner sans punir.

Là où s’instaure une réelle politique de dialogue et de concertation, le regard sur l’autre change, les inévi- tables conflits deviennent des occasions de progrès pour chacun, l’élève redevient un enfant doué d’une histoire et d’un avenir, l’agent d’entretien est une personne digne de respect et capable d’un rôle éducatif, parents et enseignants peuvent s’entraider dans leurs missions particulières...

Rester seul devant la difficulté est stérile et fragilisant

Rien n’est simple pour des parents. Ils auraient intérêt à partager avec d’autres parents les difficultés qu’ils rencontrent auprès de leurs enfants et adolescents. Dans ces moments-là, les parents pensent trop souvent être les seuls à vivre cela douloureusement.

« Je perds de fait mon autorité si je suis discréditée par des paroles ou des actes de mes collègues. » Cette enseignante, rencontrée en stage, ne devrait pourtant pas renoncer à appliquer tranquillement la règle. Les sanctions, annoncées, légères mais appliquées, ont plus d’efficacité que les hurlements ou les cours de morale. Mais cette enseignante devrait s’autoriser également à revendiquer que ses collègues fassent leur part du travail, pour n’être pas la seule à devoir poser des contraintes, et au minimum que ceux-ci respectent un devoir de réserve s’ils ne sont pas d’accord avec ses façons de faire.

L’autorité de ce prof serait sauvegardée dans les moments difficiles, s’il avait assez de modestie pour appeler au secours des tierces personnes, quand il sent l’émotion monter plus que de raison, et le mettre en péril ; en choisissant évidemment des collègues en qui il a confiance !

Les parents que je cite ici ne craignent pas de se faire aider : « En famille, pour aider notre adolescente à accepter une contrainte qui l’ennuie beaucoup, il ne nous semble pas dérisoire de nous appuyer sur l’expérience et l’autorité d’un autre adulte, un adulte que notre fille estime particulièrement, parce que c’est son parrain, son professeur d’éducation physique, ou la tante qu’elle admire ! »

D’une manière générale, rester seul devant la difficulté est stérile et fragilisant. Pour se sortir de difficultés, il est bon de ne pas compter que sur ses propres forces, d’utiliser le fonctionnement existant et de chercher des appuis, ce qui n’est pas toujours dans notre culture personnelle ! Le travail d’équipe et la coopération donnent des occasions d’échanger et de se rassurer, tout en offrant la possibilité de trouver dans certains cas des réponses col- lectives. Quand des élèves sentent la solidarité entre leurs enseignants, quand des enfants sentent que leurs parents se soutiennent, quand les adolescents sentent que leurs animateurs font équipe, ils savent que c’est du solide !

Tout ne dépend pas des efforts personnels, il y a des choix politiques à faire au niveau du système éducatif

En stage, je recueille régulièrement la souffrance d’enseignants, isolés, démunis par manque de formation sur les problèmes d’autorité, de relations, de violence. Il est scandaleux de parachuter de jeunes enseignants inex- périmentés dans les zones les plus sensibles, sans soutien particulier. Certains d’entre eux furent enfants uniques, sans expérience de vie en collectivité — comme par exemple l’animation d’un centre de vacances pour adolescents —, sans grande formation sur l’échec scolaire, et souvent sans expérience de la chose : en effet, certaines difficultés vécues dans leur scolarité, une fois dépassées, permettent parfois à des adultes de comprendre les blo- cages de certains jeunes, et de mieux les aider.

Des stagiaires me précisent les situations où ils se sentent manquer d’autorité : « Quand j’ai cette classe de terminale où certains élèves ont trois ans de moins que moi»;«Quand je suis seul dansl acour, face à un groupe fort et anonyme » ; « Quand j’ai cours de latin, j’en ai fait un peu, mais je n’ai pas été formée en enseignement du latin ; je leur ai donné un travail trop difficile : la marche était trop haute, ils “ont jeté l’éponge” et se sont mis à chahuter ».

Se retrouvant finalement dans un autre métier que celui qu’ils avaient imaginé, ces jeunes professionnels ne sont pas forcément en mesure de poser des revendications. Il y a là un problème à traiter collective- ment, en matière d’information, d’orientation, de critères de sélection, et de formation, initiale et continue. Bien que des progrès sensibles soient faits actuellement dans les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres), et dans les réseaux d’éducation prioritaire, notamment en termes de tutorat et de formations transversales, la formation d’un grand nombre d’enseignants a souvent été limitée aux contenus et à la didactique de la matière qu’ils enseignent, agrémentés de quelques cours théoriques de psychologie.

Il est aujourd’hui indispensable de renforcer des formations hors champ disciplinaire, en particulier sur tout ce qui est relatif au relationnel : la gestion des conflits dans la classe, l’accueil des familles et des élèves en souffrance ou issus de la grande précarité, la prise en compte de ses émotions, le choix de sanctions éduca- tives et les fonctionnements qui permettent de construire un rapport à la loi plus mature. Si la tâche de l’enseignant n’a pas à se substituer à l’éducation parentale ou à la psychothérapie, celui-ci doit vivre, de fait, avec un groupe d’enfants ou de jeunes dont certains sont fragiles et sans repères suffisants. Il doit faire face à des agressions non négligeables, même si elles sont le plus souvent verbales. Il a également un devoir de vigilance, entre autres pour d’éventuels signalements de maltraitance.

La formation sur site d’une majorité des personnels d’un même établissement favorise la mise en œuvre d’un fonctionnement d’équipe cohérent. On remarque également que la mise en place d’espaces de parole et d’analyse des pratiques améliore les performances rela- tionnelles et pédagogiques dans la durée, et contribue à ne pas surajouter de la violence institutionnelle à la violence que les élèves importent dans l’école.

Travailler en équipe et se concerter

Si se faire aider par ses collègues, par quelqu’un d’extérieur, ou si s’appuyer sur un travail collectif permet d’être plus fort, pourquoi se manifeste-t-il encore une si grande résistance au travail d’équipe en certains lieux ? En acceptant de sortir de l’isolement qui parfois leur donne l’impression d’être à l’abri du regard des autres, les éducateurs découvriront toute la richesse qu’ils peu- vent tirer en mutualisant les ressources. Cela suppose, évidemment, de risquer l’expression de conflits internes, et de dépasser les réactions malveillantes de personnes elles-mêmes sur le qui-vive. Le risque est moins grand si les rencontres de concertation sont régies par des règles relationnelles strictes, d’écoute respectueuse et sans jugement de chacun. Ces règles sont plus facilement garanties par la présence d’un animateur tiers, non impliqué émotionnellement dans les histoires évoquées.

Faire ensemble, c’est, en effet, s’exposer au regard de pairs ; c’est, à leur contact, reconnaître des erreurs et remettre en question ses habitudes. Pour accepter de perdre son « indépendance pédagogique », il faut espérer en retour y gagner une amélioration tangible de ses conditions de travail et de sa sécurité intérieure. C’est donc dans les endroits où il est vraiment difficile d’agir seul qu’on accepte le mieux d’échanger ses expériences.

Travailler en équipe sur le terrain fait peur. Dans les séquences animées à deux ou à plusieurs, qu’il s’agisse d’un « itinéraire de découverte » dans les collèges ou d’un stage d’entraînement sportif, un partage des responsabilités et des pouvoirs est possible, mais il suppose des règles de fonctionnement qui ont tout à gagner à être explicites ! Voici par exemple, le témoignage de co-formateurs :

« Le stage est préparé ensemble. On se répartit les tâches, en tenant compte des spécialités et préfé- rences de chacun, mais aussi de façon à ne pas trop ren- forcer ces spécialités. On se présente ensemble sur un pied d’égalité. Les co-animateurs prennent le temps de faire le point hors du groupe. Quand l’un anime, l’autre est à son service, prêt à répondre à une demande de renfort. Les deux sont attentifs à ne pas rivaliser. »

Toutes les précautions prises pour laisser à l’autre sa place auront valeur de témoignage plus efficace que bien des discours sur la solidarité. Les co-animateurs se soutiennent et se vérifient mutuellement. Cette harmonie est évidemment plus facilement réalisable si les partenaires ont pu se choisir. Mais ces quelques règles de conduite permettent de travailler avec toute personne qui n’a pas d’a priori négatif au départ.

Inviter les élèves à s’impliquer

L’efficacité du professeur, dans sa mission éducative comme dans sa mission d’enseignement, passe par sa capacité à réguler de façon positive les divers et inévitables conflits qui surgissent au sein de la classe, mais aussi avec les autres adultes, avec les parents, avec l’institution. Pour que les enfants et les adolescents exercent leur part de responsabilité, il faut leur permettre de s’impliquer dans la résolution de leurs conflits, leur offrir des espaces de parole et négociation, où ils pourront aussi faire entendre leur avis sur le cadre imposé par les adultes, et peu à peu contribuer à l’élaboration de cer- taines règles de la vie collective. Ce peut être un objectif des « heures de vie de classe » en collège, de la « réunion coopérative » à l’école primaire. Les délégués élèves, formés, pourront alors démocratiquement porter la voix de leurs copains dans les instances telles que conseils de classe ou d’établissement. Quant aux élèves médiateurs, ils seront au service de leurs pairs, sur demande, pour les aider à démêler leurs embrouilles et à trouver des compromis acceptables pour vivre ensemble.

Partenariat parents–enseignants-autres éducateurs

 

Tous les partenaires devraient travailler au coude à coude pour répondre aux besoins éducatifs des enfants : la fonction structurante de la loi, des règles et des contrats ; le choix de sanctions qui produisent du sens ; l’écoute atten- tive de leurs soucis, mais également la mise à jour et la sol- licitation de leurs capacités réelles, et chacun en a !

Avec les enfants en grande difficulté relationnelle, les approximations, les négligences et les erreurs ne pardonnent pas. Ce sont en effet des personnes plus sensibles, c’est-à-dire qui vont davantage ressentir les frustrations et les vexations. Il faudra donc aux adultes plus de compétences pour gérer les affrontements et s’affirmer dans la relation, pour apprivoiser leurs propres émotions, pour écouter et prendre en compte l’histoire de ces jeunes, tout en restant dans le cadre de leur mission professionnelle. Le travail d’équipe, au sein de l’établissement scolaire, ou du foyer de placement spécialisé, mais aussi en lien avec les partenaires éducatifs extérieurs, devient indispensable pour mettre en œuvre des solutions immédiates qui agissent aussi sur le long terme.

Il est légitime que les enseignants souhaitent un partenariat constructif avec les parents de leurs élèves. Mais il peut arriver que la louable intention dépasse le cadre statutaire de l’enseignant, ou produise un effet contraire à celui recherché. Il ne faut jamais oublier que lorsqu’un enseignant parle d’un « élève », le parent entend parler de son « enfant », et la relation glisse d’un rapport statutaire à un rapport affectif !

Qui est responsable de quoi ? De quoi chacun est-il garant ? Où ? Et, pour le dire plus crûment peut- être, qui est garant de la loi à l’école, et à la maison ? Qui est « payé » pour transmettre les savoirs ? Que dit la loi, concernant la protection de l’enfant, ou de l’élève, contre les mauvais traitements ? Et donc aussi, quels sont les autres partenaires et relais possibles ? Et de quoi est res- ponsable l’élève lui-même ?

Je suis parent : est-ce que je me représente l’aspect collectif, la gestion de la classe entière, dans le tra- vail de l’enseignant ? Qu’est-ce que j’attends de l’enseignant ? Quelle est ma mission ? Quelle est celle du prof ? Que va-t-il se passer pour mon enfant si je discrédite l’en- seignant à ses yeux, ou au contraire, si je suis a priori d’accord avec la position de l’adulte enseignant ?

Je suis prof : avant de mettre un avertissement, je mets un mot, mais à qui dois-je m’adresser ? Est-ce que je connais la situation familiale ? Qu’est-ce que j’attends du ou des parent(s) ? Quelle est ma mission ? Quelle est celle des parents ? Est-ce que je peux anticiper les conséquences de cet avertissement ? Est-ce que l’élève a conscience de conséquences familiales de cet avertisse- ment ? À qui cet avertissement va-t-il être utile ?

Quel est l’objectif visé ?

 

L’enseignant qui prend la décision d’informer régulière- ment les parents des faits, ou plus sûrement des méfaits de leur enfant, affirme chercher à responsabiliser la famille, et aussi « mettre la pression sur l’élève ». De fait, il s’agit la plupart du temps, de l’apprentissage de la peur du gendarme. Mais quelle est sa responsabilité à lui, l’enseignant ?

Si la transgression est un message de la part de l’enfant, et que ce message est adressé à l’école, quelles conditions doivent être requises pour une transmission aux parents ? De quel ordre est la question : pédagogique ? comportementale ? affective ? Pourquoi émerge-t-elle à l’école ? Qu’attend le jeune ? Pourquoi la sanction scolaire ne suffit-elle pas à clore l’histoire ?

Si l’objectif est le soutien à la parentalité, est-il efficace de renvoyer, à travers le carnet de liaison par exemple, une image seulement négative de l’enfant à ses parents ? Confirmer l’échec parental risque de se retourner contre l’enfant : reproches, abandon, culpabilisation plus grande... Est-il judicieux de passer par l’écrit avec toutes les familles ? Ce carnet est-il aussi rempli des progrès et aspects jugés positifs de leur enfant ? Nous avons chacun tendance à développer en nous ce que les autres nous renvoient, par leur regard sur nous. Alors, que risquons-nous à encourager, de fait, ce qui est bon chez l’enfant ?

Certains parents paraissent « résistants » au discours de l’école, sans doute pour se protéger, préserver une image d’eux-mêmes. Ils renvoient à leur tour la responsabilité de l’échec sur l’école, pour fuir la culpabilité et le sentiment d’impuissance.

Quelle est la motivation de l’enseignant qui va au-devant des parents ? Réparer l’enfant ? Faire la morale aux parents ? Exprimer implicitement son désarroi ou sa colère face à un élève qui le « dé-narcissise » ? Imposer un modèle éducatif ? Refuser la prise en compte de la réalité en culpabilisant élèves et parents ? « Ah ! Si seulement ils étaient autrement, comme je serais un bon enseignant ! »

Quelles peuvent être les conditions d’un partenariat parents-enseignants ?

Le partenariat suppose, pour s’exercer, une certaine égalité. Quelle est la parole de l’enfant ? des parents ? Où est-elle écoutée, entendue ? Si certains parents ont l’impression d’emblée de ne pas être bons, ou que leur enfant n’est pas un bon, peuvent-ils avoir envie de venir à l’école, d’entendre, de collaborer ?

L’enseignant qui prend la décision d’informer régulière- ment les parents des faits, ou plus sûrement des méfaits de leur enfant, affirme chercher à responsabiliser la famille, et aussi « mettre la pression sur l’élève ». De fait, il s’agit la plupart du temps, de l’apprentissage de la peur du gendar- me. Mais quelle est sa responsabilité à lui, l’enseignant ?

Si la transgression est un message de la part de l’enfant, et que ce message est adressé à l’école, quelles conditions doivent être requises pour une transmission aux parents ? De quel ordre est la question : pédagogique ? comportementale ? affective ? Pourquoi émerge-t-elle à l’école ? Qu’attend le jeune ? Pourquoi la sanction scolai- re ne suffit-elle pas à clore l’histoire ?

Si l’objectif est le soutien à la parentalité, est-il efficace de renvoyer, à travers le carnet de liaison par exemple, une image seulement négative de l’enfant à ses parents ? Confirmer l’échec parental risque de se retourner contre l’enfant : reproches, abandon, culpabilisation plus grande... Est-il judicieux de passer par l’écrit avec toutes les familles ? Ce carnet est-il aussi rempli des progrès et aspects jugés positifs de leur enfant ? Nous avons chacun tendance à développer en nous ce que les autres nous ren- voient, par leur regard sur nous. Alors, que risquons-nous à encourager, de fait, ce qui est bon chez l’enfant ?

Certains parents paraissent « résistants » au dis- cours de l’école, sans doute pour se protéger, préserver une image d’eux-mêmes. Ils renvoient à leur tour la res- ponsabilité de l’échec sur l’école, pour fuir la culpabilité et le sentiment d’impuissance.

Quelle est la motivation de l’enseignant qui va au- devant des parents ? Réparer l’enfant ? Faire la morale aux parents ? Exprimer implicitement son désarroi ou sa colère face à un élève qui le « dé-narcissise » ? Imposer un modèle éducatif ? Refuser la prise en compte de la réalité en culpabilisant élèves et parents ? « Ah ! Si seulement ils étaient autrement, comme je serais un bon enseignant ! »

L’expérience montre que si les parents sentent leur enfant heureux de venir à l’école, ils se sentent mieux eux-mêmes, et viennent plus volontiers rencontrer les enseignants. Un dialogue peut alors doucement s’engager, des voies à explorer peuvent ensuite se dégager, mais il faut parfois du temps. N’oublions pas que les difficultés des enfants réveillent très souvent les souffrances anciennes des parents à l’école.

Une maman s’était promis de ne plus jamais aller à une réunion de parents d’élèves, après celle du début du CP, car elle n’y avait rien compris. Certains parents ne viennent pas à l’école, parce qu’ils s’y sentent perdus culturellement, exclus, ou a contrario, parce qu’ils font une confiance « aveugle » à l’école, car dans leur pays d’origine, on laisse le maître faire son métier sans le déranger.

Sur un plan psychologique, est-il bon pour l’enfant que ses parents sachent tout sur lui ? L’école a mission d’instruction, elle a aussi mission d’éducation du citoyen clairement — définie dans les instructions offi- cielles de 1989 —, c’est-à-dire qu’elle doit contribuer, aider, favoriser la « sortie » de l’enfant de sa famille. L’école a une fonction de « loi séparatrice » par rapport à la famille, et sert, de fait, de tremplin pour entrer en société. En ce sens, elle doit éviter le « tout savoir », et le « tout faire savoir » sur l’enfant. C’est une des conditions pour que l’enfant puisse grandir, se développer et apprendre à être responsable de lui et de sa vie. Le renvoyer constamment, surtout s’il a fait une bêtise, sous le regard de ses parents, c’est le condamner à rester soumis à ceux-ci, puis par extension à toute figure parentale, c’est mettre des obstacles, des freins à son désir et besoin d’autonomie. Cela peut de fait conduire à une intégration du système de domination-soumission, au grand confort des adultes d’ailleurs, mais également à plus de révolte ou de souffrance. Derrière les « informations » aux parents se pose donc en profondeur et avec acuité la question : comment permettre à l’enfant d’accéder progressivement à un pouvoir suffisant sur sa vie ? Plus on a de pouvoir sur sa propre vie, plus il devient inutile, pour exister, de piétiner le pouvoir des autres.

Des occasions positives pour faire connaissance

Il serait souhaitable de promouvoir des occasions de rencontre centrées sur d’autres préoccupations que les problèmes scolaires ou de comportement de leurs enfants, et sans attendre les situations de crise. Certains ne comprennent pas toujours ce qui se passe à l’école. Ce travail d’explication devrait se faire de façon plus efficace et conviviale, dans les villages ou les quartiers, où des représentants des établissements scolaires pourraient se déplacer à la rencontre de petits effectifs, où les questions pourraient être réellement entendues. Les fêtes, les expositions de travaux d’élèves, les réunions autour de préoccupations communes — orientation, diététique, tabac, drogue, sida, etc. —, sont autant d’occasions de faire ensemble, de s’apprivoiser mutuellement. Elles sont à soutenir. Par ailleurs, quels sont les projets où les parents peuvent exprimer leurs compétences, par- fois grandes et complémentaires de celles des enseignants, devant leurs enfants et devant les autres adultes : partage de savoirs, aide à des travaux d’aménagement, échanges culturels... ? Les relations avec d’autres éducateurs (éducateurs sportifs, animateurs des centres sociaux), permettent en plus de découvrir les différentes facettes et ressources d’un jeune, au-delà de ce qu’il en montre en famille ou au lycée.

Donner aux parents plus démunis des occasions de parole et des repères

Les parents qui semblent se désintéresser de leurs enfants et de leur réussite sociale et scolaire sont le plus souvent dans des stratégies de survie. Ils sont peut-être enfermés dans le cercle vicieux où s’entrecroisent difficulté, silence, culpabilité, angoisse, fuite... Parler est pour eux aussi vital qu’inimaginable ! Il serait souhaitable d’encourager des groupes de soutien mutuel, par le biais de propositions d’activités ou de rencontres techniques : ateliers de couture ou d’informatique, réunions d’économie sociale et familiale. Les demandes d’aide y sont plus identifiables et plus avouables, elles peuvent s’exprimer dans une dynamique d’échanges réciproques de savoirs. Si les parents pouvaient y trouver des animateurs compétents en écoute active, en régulation des conflits, cela les aiderait à reconstruire des repères et une cohérence éducative, tenant compte des valeurs culturelles de leur environnement passé et actuel.

Afin de construire les liens entre l’école, la famille, le quartier, il est intéressant de mettre en place un maillage de personnes intervenant dès l’école maternelle et primaire sur le quartier : des assistants sociaux, mais aussi, comme il en existe dans certains quartiers, des adultes-relais qui pourraient surtout être des parents-relais, des aides-éducateurs. Le soutien financier des collectivités locales pourrait porter sur le fonctionnement, sur la mise à disposition de locaux judicieusement situés au cœur des parcours quotidiens, et aussi sur la formation des intervenants.

La formation des parents d’élèves relève bien sûr des fédérations de parents. Il conviendrait d’encourager ces formations et d’y donner accès à des parents d’origines sociales plus variées, afin de rendre effective et efficace la représentativité des parents dans les instances scolaires, de la maternelle au lycée.

Répondre aux transgressions et lutter contre la violence est un travail d’équipe

Les adolescents ont un grand besoin d’adultes réfé- rents, mais ceux-ci n’ont pas tous la même fonction. Personne ne peut tout faire à lui tout seul. En fonction de son statut, le pompier doit éteindre le feu, le juge doit juger, l’arbitre arbitrer, le psychologue écouter, le média- teur faciliter la communication, le médecin soigner, le surveillant ou le policier assurer la paix sociale, les éducateurs aider à grandir, les enseignants enseigner, les chefs diriger, etc. Mais qui peut, au nom de son statut, abdiquer de sa citoyenneté, ou de son humanité ? Les questions de secret professionnel, de signalement, d’obéissance aux instructions, d’application des règles, le fait de se cantonner à sa mission ou bien de choisir de « s’ingérer », doivent être balisées par des procédures précises. Elles restent néanmoins des questions de conscience. Les acteurs réalistes essaient plutôt de répondre aux questions : jusqu’où dire ou se taire, jusqu’où intervenir ou laisser faire ?

Il ne s’agit pas d’occulter les difficultés, souvent liées à des facteurs extérieurs qui rendent les situations plus complexes. Sur certains sites, il convient de tenir compte, plus qu’ailleurs, de causes multiples, à la fois sociales, économiques, urbaines, culturelles, familiales, telles que les concentrations de populations en situation de plus en plus précaire. Et il reste très difficile de trouver des solutions pour endiguer l’absentéisme et la déscolarisation de certains jeunes présentant des troubles graves du comportement.

Mais il faut souligner qu’un des facteurs de réussite dans la lutte contre la violence en milieu scolaire est sans doute la qualité des équipes de direction capables de mobiliser et de solidariser tout l’établissement autour des problèmes de violence. Un autre facteur important est la stabilité des équipes professionnelles. Les établissements qui réussissent le mieux ont l’habitude du travail en équipe et d’une approche pragmatique des problèmes de violence. Ils ont amélioré la situation en construisant des relations avec les familles, les associations et le quartier. Ils font corps avec leur environnement, travaillent à l’élaboration de programmes locaux bien ciblés et construisent à partir des orientations nationales des stratégies d’établissement, dans une dynamique partenariale. Les conventions départementales entre l’Éducation nationale, la police, la gendarmerie et la Justice, associées aux contrats locaux de sécurité et à des conventions avec les conseils généraux, ont permis, en de nombreux endroits, de développer et de mieux structurer les relations entre le milieu scolaire et tout son environnement. ■


Article écrit par Élisabeth Maheu.

Article paru dans le numéro 132 d’Alternatives non-violentes.