Le Mouvement international de la réconciliation (Mir)

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2005

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Du scandale de la guerre à la promotion de la non-violence active. 

Guillaume GAMBLIN

Le Mir (Mouvement international de la réconciliation) est engagé en France depuis les années 1920 contre les guerres et pour la promotion d’une non-violence acti- ve inspirée de l’Évangile. Membre d’un mouvement international interreligieux, il intervient sur les thèmes de la lutte contre les injustices, de l’éducation à la non-violen- ce, ou encore du rapport entre les religions et la paix.

L’Ifor : une internationale non-violente

C’est face au scandale de la Première Guerre mondiale qu’est créée l’Ifor, International Fellowship of Reconciliation, en 1919, par des chrétiens de nationalités et de confessions différentes. Dès la fin de la guerre, l’Ifor s’oppose aux conditions humiliantes imposées à l’Allemagne par les pays vainqueurs et choisit une ligne internationaliste. Le mouvement est à l’origine majoritairement protestant, et s’inspire du témoignage de groupes tels que les Quakers.

Il ne cesse de s’étendre et de créer des branches en Europe et dans d’autres continents. Un engagement récurrent est pris dans la lutte pour la reconnaissance du droit à l’objection de conscience. Ce thème met le mo vement en situation d’opposition avec les États, avec une part importante de la société, et avec les Églises elles-mêmes. Le mouvement étend également sa réflexion à l’ensemble des violences et des injustices d’autres natures : économiques, sociales, politiques.

Les branches de l’Ifor s’engagent durant la Seconde Guerre mondiale auprès des victimes du conflit, puis dans les décennies qui suivent, contre le nucléaire et pour le désarmement. Un combat important est mené contre les discriminations raciales aux États-Unis, dès 1942, puis dans le mouvement des droits civiques auprès de Martin Luther King, membre de l’Ifor. La branche belge, avec Jean van Lierde, joue un rôle important dans la lutte pour l’indépendance du Congo en 1961.

Le mouvement s’est particulièrement développé dans l’hémisphère Sud durant la seconde moitié du XXe siècle, sur les cinq continents. Six membres de cette internationale, décédés ou vivants, ont reçu le prix Nobel de la paix : entre autres Martin Luther King, Mairead Corrigan, et Adolfo Perez Esquivel.

Actuellement, l’Ifor est présent dans plus de quarante pays sur les cinq continents. Il existe des groupes, des branches, ainsi que des organisations affiliées à l’Ifor, qui sont intégrés à divers degrés dans ses structures. On trouve des branches entre autres à Madagascar, au Zimbabwe, au Japon, au Bangladesh, en Palestine, en Israël, en Belgique, en France, en Suède, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, etc. ; des groupes entre autres en Croatie, en Lituanie, en Australie, au Tchad, en Afrique du Sud, au Népal, en Corée du Sud, aux Philippines, etc. ; et enfin des groupes affiliés dans nombre de ces pays ainsi qu’au Sri Lanka, en Thaïlande, au Chili, etc.

Tous les quatre ans se tient un Conseil international auquel sont délégués des membres de toutes les branches de l’Ifor, pour définir les grandes orientations du mouvement. Le Conseil international élit sur la base d’un consensus le Comité international. Celui-ci est censé représenter en son sein un reflet de la diversité du mouvement. Cette instance assure le fonctionnement du mouvement, elle n’a pas un pouvoir de décision mais est chargée d’appliquer les orientations prises lors du Conseil international. Ses membres désignent un secré- taire international chargé du suivi des différentes initiatives du mouvement, de la coordination entre les branches, et des relations extérieures.

Le siège du mouvement est situé pour le moment à Alkmaar aux Pays-Bas. L’Ifor dispose d’un statut consultatif à l’ONU et à l’Unesco.

La base financière de l’Ifor est constituée par les apports conjoints des groupes nationaux. À partir de ces finances, outre le fonctionnement ordinaire de la structure et des différents programmes internationaux, des aides et soutiens spécifiques ou d’urgence peuvent être apportés à certains groupes en fonction de leurs situations respectives, de leurs difficultés et de leurs projets. Ainsi est mise en œuvre une solidarité concrète entre artisans de la non-violence au niveau international.

Le programme international « Femmes artisanes de paix », engagé depuis 1992, a pour but d’appuyer et encourager l’implication des femmes dans les processus de construction de la paix. Des formations à la non-violence auprès de femmes sont déjà mises en place au Timor Oriental, au Kenya, aux États-Unis, au Congo, etc.

Le Mir : branche française de l’Ifor

Le Mouvement international de la réconciliation est la branche française de l’Ifor. Il naît en 1923. Henri Roser en devient vite l’un des principaux animateurs ; il donne au mouvement une orientation décisive vers le combat en faveur de l’objection de conscience. Durant la Seconde Guerre mondiale, le pasteur André Trocmé engage la population de Chambon-sur-Lignon dans le sauvetage de milliers de juifs : il deviendra après la guerre secrétaire général du mouvement.

Par la suite, la branche française de l’Ifor s’engage dans le dialogue avec les pays de l’Est de l’Europe, dans la lutte antinucléaire et pour le désarmement, tout en poursuivant son engagement auprès des objecteurs de conscience.

Jean Goss voyage depuis les années 1950 jusqu’à sa mort en 1991, en tant que « secrétaire itinérant » de l’Ifor, pour promouvoir la non-violence active auprès de mouvements de résistance en Hongrie, à Prague, en Irlande, en Amérique latine (avec Dom Helder Camara, Mgr Romero, Adolfo Perez Esquivel...), au Liban, ou encore en Afrique du Sud.

Dans les dernières décennies, le mouvement s’est engagé contre la guerre du Vietnam, aux côtés des paysans du Larzac en lutte, dans les recherches pour une défense civile non-violente, dans les mouvements anti-Pershing, dans la formation à la non-violence active, contre les guerres du Golfe, dans la promotion d’une culture de non-violence, à travers l’éducation notamment, etc.

Actuellement, le Mir compte environ 200 adhérents en France, et un groupe local, à Lyon. Son siège est situé à Paris. Il comporte un secrétariat national et un comité national. Ce comité élit un bureau constitué d’un président (actuellement deux co-présidents), d’un tréso- rier et d’un secrétaire.

La participation au Mir peut se faire selon des modalités très diverses. On peut être, de manière non exclusive, adhérent, sympathisant, en soutenant financiè-rement le mouvement sans s’engager dans ses activités ; abonné aux Cahiers de la Réconciliation ; membre d’un groupe local ; membre d’une commission, en s’engageant pour le suivi d’un thème ou d’un partenariat particulier ; et enfin membre de la communion de prière, en portant dans sa prière les intentions et les actions du mouvement.

Le Mir, en tant que branche française, est à l’origine un mouvement chrétien multiconfessionnel qui axe sa réflexion et son action sur la non-violence et ses sources évangéliques. Des représentants de nombreuses confessions chrétiennes en sont membres, dans un esprit d’œcuménisme et de partage. Un statut de membres dits « associés » a été créé, qui permet à des personnes d’autres traditions religieuses de venir partager cet engagement non-violent.

Le Mir connaît quelques inquiétudes liées à une insuffisance de moyens financiers, et surtout à des difficultés de renouvellement générationnel : ce dernier point reste un défi important à relever pour le mouvement.

Résister, construire, approfondir

 

Le Mir conjugue trois grandes formes d’engagement complémentaires :

1) L’action

Le mouvement s’engage en réaction aux guerres, telles que l’offensive armée des États-Unis en Irak, par la participation à des manifestations et à des actions de protestation. Il s’engage également dans la résistance à la nucléarisation, et participe également aux campagnes d’Agir Ici. Les membres du Mir organisent des manifestations de sensibilisation, notamment lors de la journée de la paix du 21 septembre. C’est enfin dans le cadre de la Décennie de la culture de non-violence et de paix que le mouvement engage ses énergies.

Au niveau de la solidarité internationale, le mouvement relaie les campagnes de l’Ifor, et agit pour soutenir les initiatives de paix prises dans certains pays du Sud, comme dans l’Afrique des Grands Lacs (voir encadré).

Concernant le conflit israélo-palestinien, des rencontres ont été organisées avec des militants non-violents palestiniens et israéliens. Un pèlerinage de paix européen et oecuménique a été organisé par Hildegard Goss-Mayr, présidente d’honneur de l’Ifor, en avril 2001 en Israël-Palestine, qui a permis de rencontrer et soutenir de nombreux acteurs de paix sur le terrain. Le Mir est par ailleurs membre du collectif Chrétiens et Proche-Orient et a été l’un des initiateurs de l’appel Une autre voix chrétienne.

2) La formation

C’est l’une des activités les plus importantes du Mir. Des sessions de formation à la non-violence évangélique, à la gestion des conflits, à la médiation, ou encore des stages de formation de formateurs sont régulièrement organisés, parfois à l’initiative du Mir, et parfois à la demande.

Il s’agit la plupart du temps de demandes émanant d’institutions ou de groupes religieux : formation sur les fondements de la culture de paix et de non-violence pour le CCFD, sur « Non-violence et Bible » pour le consistoire de l’Église réformée, intervention sur « Pardon et non-violence » dans une pastorale régionale, présentations diverses de la non-violence et de la récon- ciliation dans des paroisses, des aumôneries, des associations, des rassemblements religieux.

Deux formateurs se sont rendus en République démocratique du Congo en 2003 pour trois sessions de formation sur la non-violence auprès d’une congrégation religieuse, et François Dietz, co-président du Mir, est allé animer des rencontres autour de la non-violence et l’Évangile en Haïti en 2002.

3) La réflexion

Les différentes commissions sont des lieux de réflexion théorique ou appliquée sur des thèmes précis. C’est dans leur cadre que sont élaborées les orientations du mouvement et les perspectives d’action.

Le Mir porte ses convictions, ses réflexions et ses questionnements auprès de l’opinion publique, à travers des conférences portant généralement sur la culture de non-violence, la réconciliation, ou les sources bibliques et évangéliques de la non-violence. Mais également par l’organisation de colloques, tels que celui sur le thème Face à la violence : fondements et pratiques de la Réconciliation organisé en 1996.

Enfin, on le verra, un organe essentiel de la diffusion des informations et de la réflexion du mouvement est la revue trimestrielle Les Cahiers de la Réconciliation.

Un mouvement aux bases religieuses

 

Un aspect important de cette activité d’approfondissement humain face aux violences, outre la réflexion, est l’activité spirituelle : une communion de prière est proposée aux adhérents pour soutenir, personnellement ou collectivement, l’action du mouvement ici et à l’étran- ger. Il s’agit de soutenir une fois par mois une attention de prière commune, en faveur de la justice ou de la paix, en lien avec les autres branches de l’Ifor.

Des relations sont entretenues avec les différentes Églises chrétiennes : des contacts ont lieu avec les responsables de la Fédération des Églises protestantes de France, et le Mir est membre de la commission Église et société de la Fédération protestante de France. Il a été l’un des organisateurs des assises de la Fédération en 2004, qui ont eu pour thème « Surmonter la violence ».

Le mouvement est également présent dans les médias, à travers une participation à l’émission religieuse de France 2, « Agapè », des contributions dans des journaux tels que La Croix et Réforme, et une émission mensuelle animée par des membres du Mir sur Fréquence protestante depuis une vingtaine d’années.

Une représentation est encore assurée au Collège cévenol, dont le mouvement est l’un des fondateurs. Le Mir travaille enfin en relation demande avec des organisations d’origine confessionnelle comme lui telles que le CCFD, la Cimade ou l’Acat. Il constitue véritablement un lieu d’interaction et de dialogue privilégié, parmi l’ensemble des organisations non-violentes françaises, avec l’ensemble des instances chrétiennes et des acteurs religieux.

Les partenaires du Mir

 

Des liens réguliers sont entretenus avec les autres mouvements non-violents tels que l’Arche, le Cun ou le Man, avec lesquels de nombreuses actions communes ont été menées contre le nucléaire ou encore pour l’objection de conscience. Le Mir fait partie des membres fondateurs de Non-Violence XXI, et est l’un des principaux animateurs de la Coordination française pour la Décennie (voir page 50). Le mouvement garde la volonté de maintenir son identité de chrétien non-violent au sein des autres organisations non-violentes.

De par son affiliation à l’Ifor, le Mir jouit d’un réseau international de première importance et entretient des relations uniques et privilégiées avec de nombreux acteurs de paix dans le monde. C’est là incontestablement une immense richesse pour la réflexion et l’action du mouvement et un atout considérable pour une construction de la paix au niveau mondial qui passe par le dialogue et l’enrichissement mutuel des pratiques.

CARTE D’IDENTITÉ

Mir : Mouvement international de la réconciliation. Branche française de l’Ifor (International Fellowship of Reconciliation).
Fondé en 1923.
Statut : association loi 1901. Coordonnées :
Mir / Cahiers de la Réconciliation 68, rue de Babylone, 75007 Paris Tél. 01 47 53 84 05 mirfr@club-internet.fr www.multimania.com/mirfr

 

Encadré : Une présence active dans l’Afrique des Grands Lacs

La branche française du Mir soutient le travail impressionnant entrepris par Alfred Bour au Rwanda et dans les pays avoisinants pour la formation à la non-violence. Ancien président du Mir, prêtre, Alfred Bour réside depuis 1995 au Rwanda où il effectue un travail de formation et d’enracinement de la non-violence acti- ve dans ce pays profondément meurtri par les violences. Il travaille dans le cadre du Bureau pour le service de la non-violence du diocèse de Butaré au Rwanda, mais intervient également au Burundi et en République démocratique du Congo.

Son action comporte deux axes essentiels :

• la formation à la non-violence active. Cette dernière ne se réduit pas à des techniques d’action, mais intègre les aspects quotidiens, relationnels, éducatifs, philosophiques de la non-violence, et ses racines religieuses et spirituelles. Cette activité consiste essentiellement dans la formation de personnes-ressources capables de transmettre cette culture de non- violence active. Alfred Bour a délivré jusqu’à aujourd’hui plus de deux cents certificats habilitant des jeunes de niveau universitaire à être formateurs et formatrices à la non-violence active : pour cela deux années de vie de groupe, d’étude de la non-violence et de formation sont exigés. Plusieurs groupes, comptant entre trente et cinquante personnes, sont nés de ce travail. Des formations et animations plus ponc- tuelles sont organisées également auprès de religieux et de laïcs de toutes confessions.

• la diffusion de la non-violence évangélique active à travers des documents de promotion, de formation ou d’information. Alfred Bour est l’auteur entre autres du manuel Oser la non-violence, publié en français et en kinyarwanda. Un effort important a été fait pour la traduction du best-seller de Martin Luther King La force d’aimer en kinyarwanda.

La revue bilingue Le prix de la paix / Ikigazy Lyamahoro paraît depuis cinq ans, elle est publiée à deux mille exemplaires. Elle est un instrument essentiel de réflexion et de promotion de la culture de non-violence au Rwanda. Cet effort de diffusion de la non-violence est relayé à son tour par les jeunes formés : ainsi le groupe Jean-Goss a rédigé un lexique non-violent en kinyarwanda.

Le Mir apporte un soutien essentiel à cette action de longue haleine entreprise dans cette région ; au niveau moral, spirituel, et financier. ■

 


Article écrit par .

Article paru dans le numéro 134 d’Alternatives non-violentes.