Se réconcilier avec ses parents, c’est possible !

Auteur

Isabelle Filliozat

Année de publication

2005

Cet article est paru dans
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Quand les relations dans une famille sont détériorées, est-ce bien nécessaire de remuer le passé ? Une réconciliation ne peut faire l’impasse sur l’expression des souffrances mutuelles. La voie de l’authenticité peut être recherchée avec le concours d’une personne-tiers compétente. L’expérience montre qu’une nouvelle et belle relation peut alors surgir.

Isabelle FILLIOZAT, Psychologue-psychothérapeute.
Auteure de L’Intelligence du cœur, Paris, Éd. Lattès, 1997 ; Au cœur des émotions de l’enfant, Paris, Éd. Lattès, 1999 ; Le corps messager (avec Hélène Roubeix), réédité en 2003, Paris, DDB ; Je t’en veux, je t’aime, ou comment réparer
la relation à ses parents, Paris, Éd. Lattès, 2004.

« Je vous attends en bas. » Je m’éclipse délicate- ment et referme la porte derrière moi. La mère et la fille s’étreignent. Je respecte leur intimité retrouvée. Une fois de plus la magie a opéré. La relation qui semblait si conflictuelle et douloureuse s’est transformée en lien tendre et constructif. Depuis quelques années, il m’arrive de plus en plus souvent de recevoir les parents de mes clients pour des séances intenses en émotions. La première fois, c’était il y a plus de quinze ans. Une femme me disait son désarroi et son impuissance face à ses géniteurs. « Ils ne m’écoutent pas » disait-elle... « C’est facile pour toi de m’inciter à leur parler, tu n’es pas en face d’eux. Je veux leur parler en ta présence. » J’ai donné mon accord. Les parents ont eux aussi accepté. Et j’ai assisté à une des plus belles scènes de mon expérience de psychothérapeute. Nous avions bloqué deux heures pour avoir du temps. Son père et sa mère, venus de province pour l’occasion, l’ont écoutée... Ils ont parlé. Ils se sont dit ce qu’ils n’avaient jamais pu formuler à haute voix... Les larmes ont coulé. « Papa, j’ai quarante-cinq ans, c’est la première fois que je te vois pleurer... » Au bout d’une heure, ils étaient dans les bras les uns des autres. J’ai ainsi découvert la puissance de la présence d’un tiers facilitant dans ces rencontres familiales.

Pourquoi remuer le passé, pourquoi parler à ses parents de nos blessures d’enfant ? Laurence tente de me convaincre de l’absence de problème avec ses géniteurs : « Je ne les ai pas vus depuis trois ans. Je ne leur en veux pas du tout. Je n’ai pas envie de les voir, c’est tout. » Pour quelle raison n’aurait-elle pas envie de les voir si leur lien était aussi libre qu’elle le soutient ? En réalité, elle les craint. Elle a peur d’être jugée, dévalorisée. Elle préfère éviter de se confronter à eux, tant elle leur confère encore de pouvoir sur elle. Cette crainte est très répandue. De nombreux adultes nient l’importance de leur relation à leurs parents. Ils banalisent ou exagèrent, préfèrent laisser la question de côté. Certains se montrent prêts à faire des années de psychothérapie ou de psychanalyse, mais refusent de parler vrai à leurs parents. « Est-ce vraiment nécessaire de remuer le passé avec eux ? » Telle est la question qui revient, lancinante, lourde de craintes et de souffrances. Toutes les excuses sont évoquées, « mon père est un homme âgé », « il a changé » ou « il n’a pas changé », « ma mère a un cancer », « cela lui ferait trop de mal », certains annulent leur vérité : « Je n’ai pas de colère envers mes parents, je les aime. Je ne me vois pas leur parler », « Je n’ai pas besoin de me réconcilier, je ne suis pas fâchée », d’autres invoquent avoir déjà dépassé ce stade : « Inutile, j’ai déjà pardonné. » Il y a aussi les vengeurs : « Jamais, il m’a fait trop de mal, je ne veux pas qu’il s’en tire à si bon compte. »

Comme tous les dimanches, Jacqueline emmène son mari et ses enfants déjeuner chez ses parents. La conversation porte sur la nourriture, les maladies des absents et la météo. Parfois quelques discussions sur l’éducation (les jeunes ne sont plus ce qu’ils étaient) ou la politique (c’est la faute du gouvernement) passionnent les débats. Tout le monde s’ennuie un peu, mais personne ne remet en question ce rendez-vous obligatoire du dimanche midi. « Ce sont mes parents ! » dit Jacqueline d’un ton fataliste.

La relation enfant/parent est par nature complexe

 

Que de résistances à rencontrer ces personnes qui ont été (et sont) nos parents ! Il est pourtant naturel et normal d’avoir besoin de faire des mises au point au cours d’une relation aussi longue et complexe que la relation parent/enfant. Qu’est-ce qui nous intimide tant ? La relation parent/enfant paraît naturelle. Cependant, si on y réfléchit bien, elle nécessite des capacités d’adaptation phénoménales ! Nous ne sommes pas les mêmes à deux mois, à quinze ans, à trente ans ou à soixante-dix. Nous n’avons pas les mêmes besoins tout au long de notre vie. Parce que les enfants grandissent et les parents vieillissent, la relation est naturellement en perpétuel déséquilibre et en recherche d’équilibre. Elle doit se modifier sans cesse pour respecter l’évolution des deux parties. On ne peut s’installer dans un schéma relationnel simple sans risquer d’enfermer l’une ou l’autre. Vivre ensemble génère obligatoirement nombre de conflits, chacun ayant naturellement des besoins spécifiques et parfois incompatibles. En lui-même le conflit est sain, il permet les indispensables ajustements pour que chacun trouve sa place dans le groupe. Les conflits entre parents et enfants sont non seulement inévitables, mais ils sont nécessaires et structurants d’une relation vivante et dynamique. Cependant, au sein de la famille, ils sont en général mal accueillis. Les dissensions sont assourdies, les révoltes enfantines sont matées, les plaintes sont dévalorisées, les demandes peu écoutées.

S’il est bien sûr des familles où chacun est écouté, respecté et valorisé, de par notre méconnaissance cu turelle du processus émotionnel, une véritable écoute mutuelle est rare. Nombre de parents, peu confortables avec la colère notamment, n’ayant jamais appris à l’ac- cueillir, usent de leur pouvoir pour l’interdire à leurs rejetons. Certains, carencés par leur histoire, sont dépendants de la reconnaissance de leur descendance. Ils ont du mal à supporter les mouvements de colère et peuvent avoir tendance à les interpréter comme des ruptures d’amour. De leur côté, les enfants bien que devenus adultes restent terrifiés à l’idée d’entrer dans une véritable opposition avec leurs géniteurs. Ils craignent de perdre leur amour, de leur faire du mal, voire de les tuer ! Tant de la responsabilité du parent que de celle de l’enfant devenu adulte, les conflits ne sont pas résolus, ils sont étouffés, évités ou niés.

La peur de perdre l’amour est d’autant plus forte qu’il y en a eu peu. Paradoxalement, certains vont préférer vivre très loin de leurs parents et les voir le moins possible pour ne pas risquer de les perdre en se confrontant à eux ! Philippe n’a pas vu ses géniteurs depuis onze ans. Il ne leur a même pas annoncé la naissance de son fils. « Quand je ne les vois pas, je souffre moins de leur indifférence à mon égard » souffle-t-il.

La force du ressentiment

Ce n’est pas parce qu’on ne se dispute jamais qu’il n’y a pas de colère. Lorsque nous avons été blessés, que nous ayons enterré ou non la conscience de notre blessure, nous conservons du ressentiment envers celui qui nous a blessé. Cette rancœur est souvent inconsciente, il est fréquent d’entendre des adultes dire « j’adore mes parents, je ne leur en veux pas du tout » et de les voir traiter ces derniers avec mépris, se montrer agressif, refuser de les voir ou simplement s’ennuyer avec eux, ne rien avoir à leur dire. Or l’ennui est un symptôme de refoulement émotionnel. Quand le sentiment d’amour est fragile, le besoin d’appartenance se satisfait d’une relation superficielle que nous appréhendons de menacer. Quel dommage ! Car un véritable lien d’amour peut le plus souvent se reconstruire. Et si la haine est destructrice, la colère en revanche permet d’assainir le lien, de rétablir un équilibre perdu, de se libérer du ressentiment et de nombreuses peurs.

Lors d’un stage, ce jeune homme de vingt-trois ans, grand gaillard maigre et voûté, replié sur lui-même, d’une extrême timidité, évoque par bribes sa solitude, sa détresse, son humiliation quotidienne devant un patron qui le maltraite et une compagne dont il est le quasi- esclave. Le lendemain matin, il n’est pas là. Je m’inquiète. À 11 heures, il arrive, sourire aux lèvres. Il a grandi d’au moins dix centimètres et rayonne littéralement. Quand il prend la parole, nous sommes tous surpris par sa voix chaude et ferme. La transformation est spectaculaire. Tao nous conte les raisons de son retard. De retour chez lui, il est allé parler à sa mère. Au tout début, sa mère s’est jus- tifiée. Il a su la stopper net par ces mots : « Non, maman, tu ne te justifies pas, tu m’écoutes, moi. Arrête de te centrer sur toi. » Puis elle s’est mise à pleurer, usant de son système de défense habituel. Mais ses larmes n’avaient plus le pouvoir d’apitoyer Tao. « Tu arrêtes de pleurer, maman, je ne suis pas là pour écouter tes larmes, c’est toi qui m’écoutes maintenant. Je suis en train de parler de moi et je te demande de m’écouter. Tu me regardes dans les yeux. Tu ne te culpabilises pas, tu m’écoutes ! » Il a bataillé pendant une heure sur ce mode jusqu’à ce qu’elle soit enfin à l’écoute. Alors ils ont parlé, de cœur à cœur. Et elle lui a confié : « Non Tao, je ne te battais pas parce que tu faisais des bêtises. Je te battais tous les jours, comme ça, sans raison. Il y avait une force en moi, je cherchais à te faire mal, à te détruire. Ce n’était pas ta faute, c’était en moi. » Après avoir manifesté son empathie pour le petit garçon qu’il avait été, elle lui a parlé de son enfance à elle, de ses souffrances, des tortures subies. Non plus pour se disculper... Simplement pour partager. Ils ont parlé longtemps. Depuis quelques temps déjà, sans savoir comment aborder Tao, elle désirait se débarrasser de cette souffrance qui la séparait de son garçon et qui manifestement, elle le voyait, empêchait Tao de s’épanouir et de devenir l’adulte qu’il méritait d’être.

Tous les parents ne sont pas aussi ouverts que cette maman, tous les enfants n’ont pas la puissance de Tao. Un chemin psychothérapeutique est souvent nécessaire pour y arriver, sinon, les parents peuvent être tentés de nier, d’accuser, de culpabiliser... et nous de reculer, de douter.

« Mon père me dit qu’il ne m’a jamais frappée, alors du coup, je doute, je ne sais plus ce qui est vrai et ce qui est faux. Est-ce que je me fais des idées ? » a ra porté Sophie après sa première rencontre avec son père. Nous avons une fâcheuse tendance à estimer la mémoire de nos parents comme plus fiable que la nôtre. Pourtant, altérée par le sentiment de culpabilité, la leur a de bonnes raisons de leur faire défaut. Comme la plupart des violences ont pour objectif de maintenir inconscientes des émotions... les violences elles-mêmes sont souvent enfouies sous la chape de l’inconscience. En sus, quand un parent est violent, il perd le contrôle, il est hors de lui. S’il ne se centre pas sur l’enfant, il oublie ensuite facilement ses actes. D’autant plus qu’il y a des choses que l’on préfère oublier...

Quand Lucie tentait de dire son vécu à son père, ce dernier s’exclamait « tu inventes », et rajoutait volontiers : « Tu es vraiment dérangée ma pauvre petite fille, qu’est-ce que tu vas chercher là ?... » Après quelques mois de thérapie, de clarification de ses blessures et de décharges émotionnelles, Lucie est retournée vers son père. Cette fois, il changea de stratégie : « Je t’ai tripoté les seins ? Oui. C’était pour te décoincer ! » Il ne niait plus, mais tentait de redéfinir positivement son comportement. Lucie ne l’entendit pas de cette oreille. Son travail en thérapie lui avait donné de l’assurance. Elle savait ce qu’elle avait vécu. Elle avait traversé la colère bien sûr, mais aussi la peur, et la rage, la douleur... Le geste de son père ne la faisait plus souffrir. Elle pouvait désormais l’évoquer sans être envahie par ses émotions de l’époque. Consciente d’elle-même, plus en contact, elle n’était plus vulnérable à ses manipulations. Elle confronta de nouveau son père, sans agressivité, les yeux dans les yeux : « Papa, ça ne m’a pas aidé à me décoincer, bien au contraire... » Contre toute attente, il l’écouta.

Écrire, c’est déjà dire

Pour commencer à dire sa colère à ses parents, on peut leur écrire. L’écriture est moins brutale que la parole. Le scripteur pèse davantage ses termes, prend le temps de choisir le mot juste. La distance imposée par le stylo aide à prendre conscience d’éventuels restes d’émotion parasite (collection de timbres, substitution...). De plus, écrire permet de dérouler le fil de sa pensée sans être interrompu. Et il est rare que la curiosité n’incite pas le destinataire à lire jusqu’au bout la missive. Du côté du destinataire, les avantages sont nombreux. Comme vous n’êtes pas présent, il ne se sent pas dans l’obligation de se composer un visage ou de dissimuler ses sentiments. Il n’a pas à répondre immédiatement et peut prendre du temps pour assimiler et préparer sa réponse.

Il est certes tentant de se venger des souffrances subies par une lettre assassine, de « rendre » à ses parents la blessure. Mais la vengeance laisse un goût amer et éloigne la guérison. Il n’y a pas de violence justifiable et « œil pour œil ne fera que rendre le monde aveugle » disait Gandhi. Nous cherchons au contraire à éclairer, à restaurer la lumière de l’amour. La non-violence nécessite davantage d’énergie et de courage que la violence, mais elle est tellement plus gratifiante.

Écrivez sans censure tout ce que vous avez à dire et brûlez vos lettres dans la cheminée tant qu’elles sont encore pleines de souffrance et de haine. Une émotion refoulée depuis vingt-cinq ou trente ans s’est chargée de toutes sortes de sentiments qui l’alourdissent. Parler sans préparation risque de faire émerger « tout le paquet » et de laisser les parents pantois et impuissants. Laissez « le paquet » dans le cabinet de votre psy et exprimez à vos parents la juste émotion à laquelle ils pourront réagir.

Nos parents ne sont qu’humains, ils ne savent pas forcément décoder notre souffrance derrière des accusations. On peut dire des choses très fortes sans jugement. En réalité, nos phrases auront d’autant plus de force et de puissance qu’elles seront exemptes de tout jugement.

Une mère, toute retournée par la lettre qu’elle venait de recevoir, s’est précipitée chez sa voisine : « Voyez la lettre de Géraldine. Vous rendez-vous compte de ce que ma fille ose m’écrire ! » La voisine a tranquillement lu la lettre, a planté ses yeux dans ceux de la mère de Géraldine et s’est exclamée : « Quelle belle lettre d’amour ! » La maman, interloquée, a relu les mots réellement écrits. Ce qui a valu à Géraldine un coup de fil commençant par « Madame Yves m’a dit que tu m’avais écrit une très belle lettre d’amour... » Oncles, tantes, cousins ou amis consultés, lisent en général avec davantage de distance. Moins concernés, ils aideront souvent vos parents à lire avec plus d’objectivité.

N’oubliez pas que, comme le soulignait le Mahatma Gandhi, « la fin est dans les moyens ». Les moyens que vous utilisez déterminent vos résultats. Vous désirez être respecté ? Utilisez un vocabulaire respectueux tant de vous-même que d’autrui. Votre intention dans cette lettre est d’être lu et entendu, éventuellement de recevoir réparation. Il ne s’agit plus de se libérer d’un trop plein de rancœurs. Le trop plein, vous l’avez évacué en séance de thérapie, reste ce qui est à exprimer aux parents pour retrouver une certaine harmonie dans la relation. Vous allez donc porter une grande attention à la formulation de vos phrases : pas de jugement, pas d’agressivité, pas de culpabilisation. Les parents se culpabilisent déjà à la moindre suspicion, il est inutile d’en rajouter. En général, quand on a suffisamment expulsé les émotions qui étaient bloquées, le vocabulaire, le ton, s’en ressent. Vous pouvez d’ailleurs utiliser l’écriture pour mesurer votre guérison. Écrivez ce que vous avez à dire... puis relisez. Chaque jugement, chaque généralisation, chaque émotion excessive ou se substituant à une autre, indiquent qu’il n’est pas encore l’heure de vous adresser à vos parents, et qu’une ou plusieurs émotions restent encore bloquées en vous.

Ne plus avoir peur

Il peut être trop difficile de se confronter seul à ses parents. Certains ont peur de ne pas savoir s’exprimer, de ne pas réussir à formuler tout. D’autres craignent que leurs parents ne les écoutent pas, ne les comprennent pas, nient ou les agressent verbalement, voire physiquement. D’autres encore sont tout simplement trop intimidés par la perspective d’une telle intimité : « Je n’ai jamais eu ce type d’échange avec mes parents, je n’arrive pas à le concevoir, je ne veux pas être seul devant eux. » Dans ma formation, j’avais appris qu’un bon psy est un psy qui n’a pas peur des parents de ses clients. J’ai toujours retenu cette idée. Pour que nos messages positifs à nos clients puissent être entendus, ils doivent être émis avec une puissance supérieure à celle des parents. Si le psy a peur des parents de ses clients, principalement parce qu’il n’a pas encore pu confronter les siens, ses messages n’auront pas la puissance requise pour vous aider à guérir.

Comme je l’ai indiqué dans l’introduction, après qu’une de mes clientes m’a invitée à rencontrer ses parents sur le mode « Vas-y toi, si c’est si facile », il m’est arrivé de plus en plus fréquemment de recevoir dans mon cabinet des enfants et leurs parents. Pas des enfants tout jeunes, loin de là. L’enfant le plus âgé venu discuter avec un de ses parents vivant avait soixante-quatre ans. Sa mère en avait quatre-vingt-cinq. Nous avons travaillé au rez-de-chaussée, dans mon petit bureau et non dans ma salle habituelle de travail. Inutile d’obliger cette dame à gravir les deux étages de ma maison 1.

« Mes parents n’accepteront jamais » est une phrase que j’entends souvent. Les enfants hésitent à proposer ce rendez-vous. Pourtant, à ma connaissance, deux parents seulement ont refusé de venir. Une mère, catégoriquement : « Il n’en est pas question. » Et un père : « Nous n’avons pas besoin d’une personne extérieure pour parler entre nous. Si on ne peut plus se parler en famille, où va-t-on ! » Il va sans dire que ce père est tout à fait incapable d’écouter son enfant.

L’aide d’une tierce personne

La simple présence d’un tiers non jugeant facilite l’écoute mutuelle. Les règles sont simples : ce qui se passe entre nous est soumis au secret professionnel, pas de violence, pas de jugement, chacun écoute l’autre et sera invité à reformuler ce qu’il a entendu. Mon rôle ? J’accompagne mes clients, les enfants, dans l’expression de leurs émotions et de leurs besoins. Et j’accompagne leur(s) parent(s) dans l’écoute et l’accueil de ces émotions. Éventuellement, je les accompagne jusqu’à la réparation.

Physiquement, je m’installe en général plus près du parent. Comme pour lui signaler que je suis à ses côtés. Pour qu’il se sente en confiance, il est important de rééquilibrer la situation. En effet, son enfant, mon client, est dans son élément, il me connaît, maîtrise les règles de la thérapie, il a l’habitude de la salle et il est le demandeur, il s’est préparé à la rencontre. Le parent en revanche découvre tout, la salle, moi, le style d’intervention, et (souvent) le monde des émotions. Je fais l’inférence que se déplaçant jusqu’à mon cabinet pour réparer sa relation à son enfant, le parent accepte mes confrontations sur son attitude et quelques plongées dans son histoire. Je prends toutefois soin de lui demander la permission de m’approcher de lui, de lui poser certaines questions, de le toucher éventuellement. Il m’arrive de demander à l’enfant de sortir de la pièce pour établir une relation de confiance avec son parent, pour donner à ce parent toute l’empathie dont il a besoin pour pouvoir la donner à son tour à son enfant. Nombre d’adultes d’aujourd’hui n’ont jamais été écoutés et ne savent pas du tout comment s’y prendre. Ce n’est pas de la mauvaise volonté ou un manque d’affection, ils ignorent tout simplement le monde des émotions et se sentent maladroits et mal à l’aise face aux demandes de leur enfant. Je prends alors du temps pour les rassurer sur leurs possibilités, leur expliquer les besoins de leur enfant. Je leur demande parfois la permission de les guider vers des gestes de réparation.

La règle de reformulation invite à entendre ce que l’autre a voulu dire. La règle de non-jugement évite les agressions et oblige à une communication au niveau des émotions. Pas de pensée sur l’autre, pas de raisonnement, pas de leçon de morale... Juste un partage d’émotions, de sentiments et de besoins. Lors d’une première séance, souvent la seule en ma présence, le dialogue est rétabli. Certains poursuivent seuls leurs échanges, d’autres préfèrent continuer de se parler chez moi. Le simple fait que les parents, parfois âgés, accep- tent de se rendre à une consultation du psy de leur enfant devenu adulte montre leur intention positive à son égard, sinon leur amour, tout au moins leur désir de l’aimer. C’est déjà immense pour l’enfant.

Pendant des siècles, on a prôné un soi-disant respect des parents. Ce respect n’était en réalité que peur et soumission. Il était au service du maintien des traditions, de l’ordre établi, du pouvoir des ancêtres. Sur le plan de l’évolution, n’est-il pas paradoxal de craindre davantage le jugement de ses parents que celui de ses enfants ? Il n’est qu’à voir l’état de notre planète pour constater où cette attitude nous a menés.

Des dizaines de parents sont venus me consulter, des centaines ont reçu des lettres de leurs enfants. La plupart des parents ont exprimé à leur enfant : « Je n’imaginais pas que tu avais souffert à ce point... J’aurais aimé en prendre conscience plus tôt... Je n’aurais pas fait ce que j’ai fait, comment puis-je réparer ? » J’ai vu dans mon cabinet des parents fantastiques. Ils entraient rigides, terrifiés, énervés, distants... Ils ressortaient attendris, à l’écoute, chaleureux et aimants... Je peux compter sur les doigts d’une main ceux qui ont refusé d’entendre leur enfant, ceux qui sont restés insensibles et centrés sur eux-mêmes.

On peut évoluer énormément sans remettre en cause ses parents, sans accéder à l’émotion de l’Enfant en soi. On peut améliorer sa vie affective, sa vie professionnelle, acquérir de la confiance, de l’aisance sociale... Mais il reste en nous une zone de fragilité, une zone inauthentique. ■

1) Je vivais et travaillais à l’époque dans une maison en banlieue parisienne.

Alternatives n

 

 


Article écrit par Isabelle Filliozat.

Article paru dans le numéro 137 d’Alternatives non-violentes.