Un jardin pour cultiver l’art de vivre ensemble

Auteur

Sylvaine Molli

Année de publication

2014

Cet article est paru dans
141.png

Entre des barres d’immeubles, un jardin potager et son entretien est venu peu à peu changer le mode de relation entre les habitants. Une personne, une seule, est à l’origine de ce phénomène.

Entre des barres d’immeubles, un jardin potager et son entretien est venu peu à peu changer le mode de relation entre les habitants. Une personne, une seule, est à l’origine de ce phénomène.

« Il fallait trouver le moyen de renverser la vapeur » explique Solange Veyre, gardienne d’immeubles, dans le XIXe arrondissement de Paris, au coin de la rue du Maroc et de la rue de Tanger. Un ensemble HLM réunit là 120 logements. Il y a encore trois ans, de gros problèmes de voisinage empoisonnaient la vie des locataires. « Les affrontements devenaient parfois très violents, se souvient la gardienne. Il y avait des rivalités incessantes entre les familles africaines, chinoises et occidentales. Les nombreux enfants étaient livrés à eux-mêmes dans les parties communes. Le bruit incessant, les dégrada- tions avaient fini par créer un climat de querelles permanentes. » Les conflits dérapaient pour un rien dans cette cité où les familles d’origine africaines sont les plus nombreuses. La plupart de ces conflits avaient pour origine l’utilisation des cours d’immeubles comme terrains de jeux par les enfants. « Il faudrait réagir positivement ! », confie alors la gardienne à ses proches.

C’est alors que Solange eut l’idée d’un « jardin partagé », avec fruits et légumes à cultiver. Ce bout de femme s’est alors lancée, avec une infinie patience, dans cette opération peu commune, en plus de son travail aussi prenant que délicat. Son raisonnement était simple : les conflits dégénèrent en violence parce que les habi- tants de la cité ne se connaissent pas vraiment, ne se ren- contrent que pour se chamailler. S’ils avaient une activité commune, visible de tous, soulevant en fin de compte l’estime, les conflits se résoudraient peut-être plus souvent par le dialogue, dans le respect de chacun.

Les événements s’enclenchent alors. L’association Asmae 1 de sœur Emmanuelle soutient le projet de jardins potagers au pied des tours. La Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) met à disposition des terrains à côté des immeubles. La gardienne parvient à mobiliser plusieurs mères de familles africaines. Ces femmes, d’origine rurale, ont depuis leur enfance un lien étroit avec la terre ; toutes cultivaient au pays un lopin de terre qui nourrissait la famille et apportait des revenus supplémentaires. Ces mères de famille africaines comprennent d’emblée que s’occuper de jardins potagers serait facteur d’intégration, de dialogue, de respect, et de plaisir !

L’association Vivre ensemble à Maroc-Tanger 2 se démène pour trouver les premiers outils et plants, après que des jardiniers de la ville de Paris ont retourné une bonne fois la terre promise à la culture potagère. « Les femmes africaines se sont alors emparé des outils », se rappelle la gardienne. Bien qu’elles aient une bonne connaissance du travail agricole, les jardinières africaines ont rencontré des difficultés la première année à cause des variations importantes entre la culture en cli- mat sec et celle en climat tempéré. Un apprenti jardinier entre alors en scène. Séduit par la démarche initiée par Solange la gardienne, il propose d’échanger avec les mères africaines des astuces et savoir-faire qui leur permettent d’acquérir de nouvelles techniques de jardinage, à leur rythme, sans qu’elles se sentent jugées ou infé- rieures. Devant le succès du premier jardin potager, il est décidé d’en créer un autre, juste à côté du premier, réservé aux enfants. Quoi de plus éducatif qu’une plante que l’on entretient et qui donne sa récolte ? Respect de ce qui est fragile, attention régulière pour le sarclage et l’arrosage, joie d’observer grandir une plante alors que l’on grandit et évolue soi-même !

Il reste cependant à établir le noyau dur qui allait s’engager à porter le projet à travers les années. Les mères et les enfants ont besoin d’une cabane pour remiser le matériel. Une locataire, Zraïda, présente Joël à l’association. Il est habile de ses mains. Il met en place avec des adolescents un atelier de fabrication d’où va sortir la cabane pour les outils et même des bancs ! Au printemps 2004, les activités du jardin redémarrent. Étienne suit une formation d’horticulteur. Avec le soutien de son centre de formation, il prépare des plants, notamment à partir de graines fournies par les femmes africaines. Peu à peu, les balcons et coursives des immeubles se fleurissent. Le végétal devient de plus en plus objet de respect et d’émerveillement Des repas, ouverts à tous, se met- tent en place où les légumes du potager sont dégustés. Chacun sait que la tomate ou la courgette que l’on a soi- même produite est la meilleure du monde, qu’elle révèle ce petit quelque chose qui fait dire que la vie est décidément agréable à vivre.

Renouveau de la vie sociale

Grâce aux rencontres suscitées par le jardin potager — il est de grande taille, avec plusieurs allées —, les locataires apprennent peu à peu à faire connaissance et à s’accepter, au-delà des préjugés. Comme l’association Vivre ensemble à Maroc-Tanger ne veut pas s’arrêter au jardin, la logique de l’entraide fait boule de neige. Des ateliers de cuisine et de couture voient le jour, des goûters collectifs et des projections de films sont organisés le samedi en été, des sorties sont programmées, le soutien scolaire est mis en place.

Il y a toujours des difficultés à vaincre, mais les mères de famille ont confiance en elles, au point de se sentir sur un pied d’égalité avec les bénévoles de l’Asmae qui les conseillent dans toutes ces initiatives, et parfois les accompagnent à la demande. Les projets ne manquent pas : création d’un « conseil de village » invitant les parents à se rencontrer pour échanger et résoudre les inévitables petits conflits, instauration de Journées de l’enfance dans le quartier, cours de familiarisation avec l’ordinateur, sorties, camps pour les ados. Car depuis que le jardin potager existe, l’atmosphère change peu à peu : les habitants se parlent davantage, les petits conflits — et il y en aura toujours comme dans toute société humaine — se régulent sans violence.

Alors qu’une maman dépose exceptionnellement son tout-petit à la loge de la gardienne, le temps d’un cours d’alphabétisation, et que l’on demande à Solange pourquoi elle fait tout ça, elle répond toute souriante : « Je crois à l’entraide. Tous les voisins en conflit devraient créer une association pour générer des rencontres. C’est simple et réellement utile pour le quotidien. »

Pour Solange, l’entraide comme la non-violence sont une question de bon sens. Ce qu’il faut retenir du processus qu’elle a mis en route, c’est tout d’abord l’exis- tence de l’association Vivre ensemble à Maroc-Tanger qui gère l’aventure du jardin et les autres activités éduca- tives et sociales, antidote aux gros conflits et à la violence. La sagesse de cette association est aussi d’avoir su demander et accepter l’aide de bénévoles qualifiés d’une autre association, celle des amis de sœur Emmanuelle. Comme quoi, en non-violence, on ne fait rien tout seul.

Sylvaine MOLLI *

* Journaliste.

1) Asmae, 26, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris (tél. 01 44 52 11 90) www.asmae.fr/.

2) Vivre ensemble à Maroc-Tanger, 26 rue du Maroc, 75019 Paris (tél. 01 40.34 28 22). Courriel : vivreensemble2@wanadoo.fr/. Les dons sont acceptés et bienvenus.


Article écrit par Sylvaine Molli.

Article paru dans le numéro 141 d’Alternatives non-violentes.