Déjouer la répression lors d’actions directes non-violentes

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2008

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La peur infantilisante de la répression, fortement ancrée dans les têtes depuis le plus jeune âge, dissuade bien souvent le passage à la désobéissance civile. Pourtant, comme il est possible de désapprendre l’obéissance, il est également possible de réduire objectivement et subjectivement la crainte de la répression, de déjouer celle-ci, voire de jouer avec elle !

Xavier RENOU, Initiateur du Collectif des désobéissants, activiste et formateur à la désobéissance civile ; ancien chargé de campagne « désarmement nucléaire » à Greenpeace France ; auteur du livre La privatisation de la violence. Mercenaires et sociétés militaires privées au service du marché, Éd. Agone, 2006 ; gérant d’une micro-édition de jeux de société satiriques et rap militant : www.contrevents.com/.       Sur le Collectif des désobéissants, voir le site : www.desobeir.net/.   

Depuis l’enfance, l’être humain apprend à craindre la sanction. On lui enseigne l’obéissance, et on lui fait entrevoir la perspective de châtiments sévères en cas de déviance. À la maison, où les parents sont pour le jeune enfant la Vérité et l’Autorité faites chairs, puis dans les institutions, scolaires, professionnelles et autres, où maîtres, employeurs et hiérarques de tous ordres exercent encore bien souvent sur les âmes et les corps une contrainte toute-puissante. On fait partout dépendre le respect des normes et des conduites supposées justes d’une logique disciplinaire marquée par l’existence de régimes complexes de punitions. Dès lors, confronté à la répression d’État, celle des appareils policiers et judiciaires, l’individu est prédisposé à la craindre et à lui préférer le confort de l’obéissance.

Pourtant, le révolté qui s’engage dans la voie de la désobéissance pour faire valoir ce qu’il croit juste, et qui entreprend de désapprendre ce qu’on lui inculque depuis le plus jeune âge, sera surpris de la capacité qu’il aura bien souvent à déjouer la répression, voire à jouer avec elle. L’expérience des « désobéissants », le réseau de militants altermondialistes qui forme et accompagne nombre de projets d’actions non-violentes en France 1, peut éclairer ces différents aspects.

N’ayez pas peur !

Avant toute chose, la fonction de la répression est de dissuader l’action dissidente : la liste des délits inscrits au code pénal ne cesse de croître, les peines infligées sont réputées de plus en plus sévères, les conditions d’incarcération sont de plus en plus inhumaines. Quand malgré tout on décide d’agir, on craint la « fuite » qui compromettrait la réussite de l’action, ou de se heurter à la brutalité des forces de l’ordre. Pourtant, après des dizaines et des dizaines d’actions menées dans toute la France et quelques pays étrangers, force est de constater que ces peurs n’étaient pas fondées !

La répression, d’abord, est loin d’être systématique. Dans la plupart des cas, elle est même... inexistante ! La liste des actions non réprimées, ces deux dernières années, est très longue 2 : rassemblements sans autorisations et autres manifestations illégales, même devant l’Élysée, occupations de lieux privés (boutiques de grandes marques sponsors des Jeux olympiques de Chine cet été, galeries marchandes de supermarchés, concessionnaire Renault, agences immobilières, ventes aux enchères, restaurant MacDonald, compagnie aérien- ne Air China, sièges des sociétés Biogemma, EDF, Areva, Comité olympique français, etc.) et publics (Crous, Unedic — 3 jours ! —, toits du Medef ou de la Bourse, Drass de Marseille, plateforme de forage pour l’enfouissement de déchets nucléaires, musée de l’immigra- tion...), ou même de monuments nationaux (bassins du Trocadéro ou du Louvre, Palais des Papes...) ou d’ambassades (comme l’ambassade de Guinée pendant le sommet de la Françafrique), harcèlement démocratique de ministres, réquisitions de logements vides (à Paris, en province...), intrusions dans des sites militaires pour en perturber le fonctionnement ou empêcher des tirs de missiles nucléaires (bases militaires de Brest, de Büchel en Allemagne, siège de l’Otan à Bruxelles, Centre d’essais et de lancement de missiles des Landes...), blocages divers (ports de Brest et de Saint-Nazaire avec les anti-OGM, ferry en partance pour l’Algérie pour empêcher une expulsion, périphérique parisien avec les écologistes, train de déchets nucléaires normands ou routes de Bretagne pour des simulations d’accidents nucléaires avec les antinucléaires...), démontages de monuments municipaux (en soutien à la Palestine, sur Paris), dégustations publiques de nourriture dans les rayons de supermarchés (actions des Nouveaux précaires affamés), etc.

Si ces actions, pourtant illégales, n’ont eu aucune conséquence judiciaire, ni ne se sont traduites par la moindre garde-à-vue, la moindre perquisition ou la plus petite amende, c’est d’abord parce qu’elles étaient strictement non-violentes, jusque dans l’image qu’elles don- naient d’elles mêmes : en choisissant finement le moment stratégique et le point faible de leurs adversaires, en faisant preuve néanmoins d’empathie envers ceux-ci, en soignant leur discours, en se dotant de médiateurs destinés à apaiser les tensions éventuelles sur place, en filmant les actions, autant pour la faire connaître ultérieurement que pour se protéger des violences policières, en convoquant finalement la presse pour qu’elle assure la publicité de l’événement, les activistes n’ont assurément donné aucun prétexte aux policiers pour les violenter. Au contraire, les industriels pollueurs, les laboratoires complices, les lobbies pernicieux, les militaires abrités derrière leurs secrets, les autorités prises en flagrant délit de contradiction avec l’intérêt général ont été convaincues de ne pas donner plus d’im- portance à l’action en la prolongeant par un procès.

Ces batailles non-violentes sont aussi des batailles de communication, et face à la bonne communi- cation des militants, les pouvoirs illégitimes ont souvent l’intelligence (malheureusement !) de faire profil bas, c’est-à-dire de refuser de communiquer, d’évacuer les activistes en renonçant à les interpeller, et de nier le cas échéant qu’un quelconque délit ait été commis... Ils n’aiment certes pas voir leurs turpitudes étalées dans les médias, ni perdre des clients, du temps, des heures de travail qu’il leur faudra néanmoins payer, à cause de nos actions militantes, mais ils sont généralement suffisamment puissants et sûrs de leur pouvoir pour leur survivre. À nous de multiplier ces pertes jusqu’au point de rupture, évidemment !

Si nous ne devons pas avoir une peur excessive de la répression, c’est parce que nous sommes aussi capables d’inspirer un certain degré de peur chez nos adversaires. Puisque nous portons nos coups sur leurs points faibles (leurs actes inavouables, leurs contradic- tions, leurs mensonges, leurs vilains secrets, leurs dépenses fastueuses...), et qu’ainsi nous entamons leur crédit aux yeux de leurs clients, de leurs électeurs, de leurs homologues d’autres pays, voire de leurs proches, ils se montrent souvent prêts à négocier la fin d’une action pour éviter d’avoir à lui donner plus d’importance encore en intervenant par la force. Aussi malhonnêtes fussent-ils, ils sont toujours contraints de donner le change à tous ceux qui croient en leur respectabilité. Et ils craignent pour leur poste ! Ce sont les policiers ou les journalistes qui nous le disent, pendant les actions, comme pendant l’occupation du Palais des Papes, en juin 2008 : « Là, c’est remonté jusqu’au ministre, “ils” (les niveaux inférieurs) ont tous ouverts le parapluie pour se couvrir ! » Dans un tel contexte, il est possible de négocier avec les autorités, d’exiger par exemple qu’aucune arrestation ne se produise, qu’il n’y ait pas de contrôles d’identités, que le matériel nous soit restitué (comme sur la plateforme de forage de Bure ou pour les drapeaux pro-Tibet utilisés à Air China, que la police voulait confisquer).

Lorsque par exception des poursuites sont engagées, la sanction judiciaire n’est pas toujours garantie. Sur les centaines de faucheurs volontaires poursuivis devant les tribunaux français, combien ont-ils été effectivement condamnés, et quelle est la tendance ? Contrairement à une idée répandue, la tendance est de plus en plus à la compréhension de la part des tribunaux, les autorités évitant soigneusement d’envoyer en prison des militants qu’elles ne veulent pour rien au monde transformer en martyrs... Il est vrai que les activistes n’appartiennent pas en général aux catégories socio-professionnelles les plus exposées à la rigueur de la loi. Avec une justice « de classe », et une magistrature à la peau blanche et à l’origine sociale relativement favorisée, les peines sont plus sévères à mesure que l’écart grandit entre l’origine sociale du prévenu et celle de son juge. L’appartenance de nombre d’activistes à la classe moyenne éduquée, et la possibilité qu’ont nombre d’activistes de convoquer des ressources culturelles (maîtrise des nuances du langage, des codes de conduite, meilleure compréhension des arcanes de la Justice, meilleure connaissance du droit, qui permet de refuser la comparution immédiate), financières (collectes d’argent auprès de membres de la classe moyenne) et politiques (capacité à médiatiser leur situation) les protègent relativement.

Aussi, quand la sanction tombe, elle peut être très compréhensive (un euro symbolique pour un panneau publicitaire barbouillé), indulgente, avec une peine de sursis, ne pas être inscrite au casier judiciaire, etc.

Ces constats sont évidemment moins valables en ce qui concerne les luttes de défense des migrants : on y compte logiquement un plus grand nombre de militants issus de la population stigmatisée des étrangers non européens. Et le racisme, important dans la police 3, et latent dans une magistrature encore très blanche de peau, aug- mente les chances d’endurer la brutalité policière (comme pour les désobéissants qui occupaient l’entrée du camp de rétention de Rennes) ou la sévérité des juges.

Pas de paranoïa...

Pour tordre le cou à l’idée d’une police qui sait tout et peut tout, il faut évoquer à présent les nombreux dis- fonctionnements des forces de répression. D’abord, les maîtres du monde, sûrs de leur impunité, ne pensent pas toujours à se protéger. Ils peuvent marcher seuls dans la rue, n’être accompagnés que d’un simple assistant, ou d’un ou deux policiers. Il est donc facile de les interpeller (X. Darcos, V. Pécresse), de leur remettre le « prix Nobel de la guerre » (Rumsfeld), de leur verser du liquide rouge sur la tête pour dénoncer leur complicité dans le génocide des Tutsis du Rwanda (H. Védrine).

Lorsque les policiers interviennent, pour prévenir une action ou pour y mettre fin, il est remarquable de voir avec quelle confusion il leur arrive d’agir : contrôles d’identité qui oublient la moitié des militants (Drass de Marseille), incapacité de 400 gendarmes et autant de policiers (DST...) à stopper une vingtaine de militants désireux d’empêcher un tir de missile nucléaire, blocage d’un convoi de véhicules blindés par 3 activistes anti-G8 l’été dernier, etc. Il arrive même qu’ils nous facilitent la tâche, comme le 7 avril dernier, pour le passage de la flamme olympique à Paris : interpellés pour un contrôle d’identité dans les fourgons de la police, après une première action qui venait de contraindre la sécurité chinoise à faire éteindre la flamme, nous sommes libérés... sur le parcours de la flamme, juste avant son arrivée ! Du coup nous repartons à l’assaut...

Alors bien sûr, la police va essayer de savoir ce que nous faisons. Pas besoin de sombrer dans la paranoïa, nous ne sommes pas Ben Laden et ils le savent... du coup, les moyens sont à proportion. Et le risque que nous courons est plus minime, aussi. Ce qui nous importe, au fond, c’est simplement d’avoir un temps d’avance sur nos adversaires afin de réussir nos actions, d’avoir par exemple le temps de nous enchaîner, d’entrer sur site, de grimper sur le toit pour déployer la banderole, etc. Quelques sages précautions, quelques comportements réflexes peuvent réduire considérablement le risque de voir ses actions empêchées par la police.

Ainsi va-t-on privilégier les contacts directs, pour parler de choses sérieuses, plutôt que les conversations téléphoniques ou Internet qui laissent des traces. Dans ces rendez-vous, nous éloignons nos téléphones portables, ou les éteignons en retirant leurs batteries, pour être certains qu’ils ne nous épieront pas. Si l’on craint des micros ou un canon à son, il faut mettre de la musique et écrire plutôt que dire l’essentiel. Nos rendez-vous d’action ne sont jamais très proches des cibles visées, ce qui fait que les éventuels policiers présents au rendez-vous n’en sont guère plus avancés. Ils auront beau nous suivre, une fois le départ donné, ils seront bien en peine de nous devancer.

Grâce au fonctionnement horizontal de notre collectif, et grâce aux stages de formation, les désobéissants nouent entre eux des liens forts de confiance et d’amitié. Ils forment des groupes affinitaires. Du coup, ils ont moins peur d’agir et peuvent moins facilement subir les infiltrations ponctuelles d’agents des renseignements généraux. C’est comme cela qu’il nous fut facile de repérer la jeune femme des RG qui s’était mêlée à une centaine de faucheurs volontaires qui occupaient le port de Saint-Nazaire, en juillet 2007. Pour autant, le choix de l’ouverture et de la transparence n’interdit pas les infiltrations plus longues. Cela nous est arrivé au moins une fois, de la part d’un jeune trentenaire de la Direction des renseignements militaires, qui s’étant inscrit à un stage, avait pu gagner notre confiance, à force de gentillesse et d’enthousiasme, jusqu’à participer à l’organisation du festival « désobéissant » Peace and Landes II, à Biscarrosse. Comme à chaque édition de ce festival pacifiste, une action de pénétration dans le Centre d’essais des missiles nucléaires M51 avait eu lieu, et notre espion y avait même participé, afin d’en comprendre la structuration. Quelques semaines plus tard, confondu, il avait reconnu une partie des faits avant de disparaître. Qu’avait-il appris que les journalistes ne sachent pas à propos des désobéissants : rien du tout ! Quelles conséquences pour les désobéissants ? Aucune !

À cette occasion, un autre type d’infiltration avait eu lieu : une fausse équipe de documentaristes télé avait souhaité interviewé les organisateurs supposés de l’action contre les M51 afin de connaître leurs intentions... la ficelle était trop grosse, il a suffi de demander aux deux mystérieux documentaristes de se faire envoyer un fax de confirmation de leur employeur, en vain, pour que la ruse soit éventée... ils se contenteront de déclarations d’une banalité affligeante...

Préparez-vous, protégez-vous !

Le militant qui s’apprête à commettre un acte de déso- béissance civile sait ce qu’il risque : il a pris soin, avec son groupe, de consulter un avis expert sur la question. Et du coup, il a choisi le risque légal qu’il était prêt à assumer, et s’y est préparé au mieux. D’abord, en cher- chant à crédibiliser son discours, à le rendre audible du plus grand nombre, pour montrer sa légitimité. Pas question à ce moment de culpabiliser le public. La colère n’a pas non plus besoin de l’agressivité pour être entendue. Mettre les rieurs de son côté, en sabrant par exemple le champagne dans une agence immobilière qui abuse de ses clients, peut réduire la probabilité de voir l’adversaire vous poursuivre au risque de sombrer plus encore dans le ridicule. L’empathie avec l’adversaire, dont on distingue l’humanité, respectable, de la fonction sociale, néfaste, est de ce point de vue essentielle. Délicatesse, maîtrise de soi, approche ludique de l’action : autant de manières de protéger les militants contre la répression, pendant ou après l’action.

Jouez sur l’image et la médiatisation, sur le nombre

Nos adversaires tiennent à leur image, à cause de leurs consommateurs, de leurs électeurs... Ils préfèreront laisser partir les militants plutôt que d’augmenter la visibilité de l’action. Il est donc possible de créer un rapport de forces qui permette par exemple aux « nouveaux précaires affamés », comme autrefois aux militants d’Agir contre le chômage, de manger ce qu’ils trouvent dans les rayons des supermarchés, en toute transparence et sans payer. Il faut alors prévoir de prendre « nos images », en attribuant la tâche de filmer et diffuser l’action à des vidéoactivistes. Ces images précieuses ont ainsi sauvé la mise d’un intermittent accusé à tort de violences sur agent par des policiers pendant l’occupation de l’Unedic. Attention aux stratégies d’évitement de nos adversaires, qui peuvent dresser des bâches, comme au Carrefour de Montreuil, en région parisienne, pour empêcher précisément la prise d’images.

Les journalistes servent aussi de témoins, et leur présence rappelle aux policiers ou aux vigiles qu’ils n’ont pas toute latitude pour violenter les activistes. C’est aussi le cas des personnalités qu’on aurait invitées à se joindre à l’action, comme Denis Beaupin pour l’installation d’un carré de verdure sur le périphérique parisien, ou Olivier Besancenot et José Bové lors de l’action ratée devant l’Élysée, qui devait permettre l’arrestation du Premier ministre d’alors, Dominique de Villepin, pour violation du Traité de non-prolifération. Leur présence attire les médias, et réduit la probabilité d’avoir ensuite des suites judiciaires. Le nombre des activistes est une autre façon de réduire le risque de brutalités et de poursuites.

Réduisez les risques non voulus

Aappelons deux choses : d’abord toutes les actions directes ne sont pas nécessairement illégales. L’action directe non-violente est une pédagogie en actes, elle doit donc prendre en compte le degré de sympathie pour notre cause du public, sa capacité à accepter le prin- cipe de la désobéissance. On peut jouer avec les vides juridiques, en perturbant une salle de travail sans empêcher formellement les gens de travailler, en éteignant les manettes pompier de magasins allumés toute la nuit, avec le clan du néon, en plaçant des banderoles immenses dans des endroits improbables (château de Fougère, pont de Crozon, place du Trocadéro...), en procédant à un harcèlement démocratique de décideurs quelconques que l’on veut faire céder, et dont on perturbe systématiquement les apparitions publiques, qu’elles aient ou non un rapport avec ce qu’on leur reproche, etc.

Deuxième chose : une action de désobéissance civile mêle activistes « arrêtables », c’est-à-dire plus exposés à la sanction car directement coupables de l’acte de désobéissance, et activistes « non arrêtables », qui participent certes à l’action, la rendent possible en trans- portant les activistes, en faisant le guet ou le contact avec la presse, la permanence téléphonique ou le suivi juridique, mais qui ne commettent rien d’illégal et qui, pour être néanmoins complices, sont de fait rarement poursuivis. Ils sont pourtant indispensables, il y a donc de la place pour tous les types d’engagement !

Lorsqu’on est « arrêtable », on peut encore décider de ne pas être arrêté... si ce n’est pas utile à la force politique de l’action. Les désobéissants ont une conception peu orthodoxe de la désobéissance, qui n’implique pas pour eux la nécessité de subir la répression si celle- ci n’est pas utile politiquement. Ils sont en cela très proches de l’historien et activiste non-violent Howard Zinn 4, ou des fauchages d’OGM la nuit, des barbouillages clandestins de panneaux publicitaires. Les activistes chargés d’actes plus risqués, comme la découpe d’un grillage pour rentrer sur un terrain militaire, ou la coloration en rouge d’un bâtiment public pour dénoncer ceci ou cela, ne sont nullement tenus de se faire prendre : ils peuvent disparaître sitôt leur geste accompli, sans participer au reste de l’action. C’est aussi la logique des actes de désobéissance commis à l’étranger, chez nos voisins européens (blocage de la base de Faslane en Écosse, de l’Otan en Belgique...), parce que le risque est plus faible pour les étrangers (européens). On peut finalement favoriser le turn over chez les militants des postes « arrêtables », pour éviter la récidive.

Utilisez la présence policière pour atteindre vos objectifs

Eh oui, c’est possible ! Si vous souhaitez obtenir d’un magasin (Adidas) ou d’une administration (Unedic) qu’ils ferment leurs portes prématurément, mais que vous ne voulez pas assumer le risque de dommages et intérêts pour le magasin, ou d’une condamnation pour infraction à la liberté du travail, il vous suffit de pénétrer à l’intérieur des bâtiments et d’y faire un scandale. Rapidement, la police viendra isoler la scène en bloquant les accès... ce qui contraindra les structures en question à renvoyer le personnel et fermer !

Négociez, puis défiez la répression !

Une façon de se prémunir contre une répression non désirée est d’obliger l’adversaire à négocier avec vous. Par exemple, en menaçant, au risque de votre vie, de monter plus près des lignes de 400 000 volts du pylône que vous occupez si les agents d’EDF prétendent vous délo- ger. Ou, moins risqué, en coulant vos bras, protégés, dans une cloche de béton posée devant le siège régional d’EDF à Rennes, toujours pour protester contre la construction du réacteur nucléaire EPR. Impossible de vous déloger, il faut négocier. Et si par la suite la police vous appelle pour vous « entendre », négociez la date et l’heure avec un délai suffisant pour prévenir vos amis de votre éventuel placement en garde-à-vue, et cachez ce qui doit l’être. Aux mains de la police, une seule réponse à toute question au-delà de l’état civil : « Je n’ai rien à déclarer. » C’est le seul moyen de laisser toute latitude à votre avocat pour bâtir ultérieurement une défense digne de ce nom...

En cas d’arrestation, justement, il est toujours intéressant d’avoir prévu l’appel à mobilisation devant le commissariat, ou, à défaut, sur le lieu du délit, histoire d’accélérer votre libération.

Reste que la logique de la désobéissance civile veut que dans un certain nombre de cas sinon dans tous, on défie la répression, ce qui veut dire qu’on s’y expose mais dans des termes qu’on a au préalable choisis. Obliger l’adversaire à déployer des moyens largement disproportionnés pour protéger telle ou telle réunion des maîtres du monde (OMC, G8, etc.), c’est déjà gagner, en rendant visible le caractère problématique au minimum, illégitime en fait, de ces événements. Obliger les autori- tés à interdire les randonnées et l’accès aux plages, comme à Biscarrosse quand nous menons nos intrusions contre les tirs du M51, c’est augmenter la visibilité de l’événement et de son message. Obliger les autorités à nous arrêter avant que l’acte délictueux ne soit commis (mais de manière visible sinon c’est inutile !), c’est donner aux médias une occasion de parler du problème que vous voulez rendre intelligible sans encourir trop de risque, puisque le délit n’est même pas réalisé.

Lorsque le procès arrive, il peut servir de formidable tribune aux revendications que vous avez portées lors de l’action. Il est l’occasion de convoquer une nouvelle fois la presse, d’appeler à un large soutien, d’obliger les personnalités un peu tièdes à se prononcer et donc éventuellement à vous soutenir. À l’occasion du procès intenté par Hubert Védrine contre deux militants du collectif Génocide Made in France (dont l’auteur de ce texte), le 5 novembre, il est prévu de diffuser massivement un appel à soutien, assorti d’un petit film révélant l’ampleur de la complicité française dans la préparation du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, et le rôle particulier de l’ancien chef de cabinet de François Mitterrand à l’Élysée. Le risque est gros, mais pas seulement pour les militants poursuivis... 

1) Le collectif des désobéissants est né en novembre 2006 de la volonté de militants pacifistes et antinucléaires de poursuivre une campagne que Greenpeace venait d’abandonner, contre le réarmement nucléaire de la France. Après une première action « à la Greenpeace » pour empêcher le tir d’essai du nouveau missile nucléaire français, le M51, dans les Landes, les militants décident de se former à l’activisme, et de diffuser dans les milieux militants les techniques et méthodes de l’action directe non-violente, qui leur semblent plus efficaces. Une quarantaine de stages se tiendront partout en France, ainsi que, en parallèle, un engagement des « désobéissants » dans plus d’une cinquantaine d’actions de tous types, en France et à l’étranger.

2) Ces actions sont recensées et décrites dans la rubrique « actualité » du site des désobéissants, www.desobeir.net/.

3) Philippe Bataille, Le racisme au travail, La Découverte, 1997, Paris.

4) H. Zinn, L’impossible neutralité, Agone 2006, Marseille ; et H. Zinn, Nous le peuple américain... Agone, 2006, Marseille.


Article écrit par .

Article paru dans le numéro 149 d’Alternatives non-violentes.