Auteur

Laure Noualhat

Année de publication

2011

Cet article est paru dans
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Augmenter en efficacité, en cohésion et coordination dans l’activisme non-violent devient possible grâce à des stages dédiés. A l’appui de témoignages pertinents, L. Noualhat justifie la mise en place de ces formations.

Depuis 2006, Xavier Renou, initiateur du Collectif des désobéissants (www.desobeir.net) organise des stages à l’action non-violente, où chacun apprend à désobéir pour promouvoir le bien commun.

Sous la bruine de Lorraine, une brochette de militants antinucléaires bloque l’entrée d’un centre de stockage de déchets radioactifs. Décontractée, la police dégage les militants en vingt minutes. Le tout dans la franche rigolade. Car ce jeu de rôles grandeur nature clôture un stage un peu spécial organisé par le « Collectif des désobéissants ». Inspirés par Henry David Thoreau et Gandhi, révoltés par la société de consommation, le réarmement nucléaire, les OGM, la pub, les bagnoles qui polluent, l’injustice sociale, la biométrie, bref, révoltés par le monde tel qu’il tourne, ces militants-stagiaires se perfectionnent à la contestation. On les a vus, dans les manifs altermondialistes, réinventer de nouvelles formes de luttes, ludiques, colorées mais déterminées.

Ainsi, la Brigade activiste des clowns a « karchérisé » la mairie de Neuilly-sur-Seine qui ne respectait pas les 20 % de logements sociaux imposés par la loi SRU. Ou encore, le « Collectif Jeudi noir » dénonce la crise du logement en débarquant, champagne en main, pour faire la fête dans des appartements à louer, généralement minuscules et hors de prix.

Atelier barbouillage de pub. Désobéir s’apprend. Voilà pourquoi le collectif (www.desobeir.net), créé fin 2006 par un ex-salarié de Greenpeace, prodigue des stages d’initiation et de perfectionnement à l’activisme non-violent.

Après une action semi-ratée contre le premier tir français de missile M51, Xavier Renou écrit un manifeste du désobéissant. « En rentrant à Paris, je me suis dit qu’il nous fallait plus de formation et, surtout, faire converger les luttes », raconte le fondateur d’un collectif qui rassemble des écologistes, des pacifistes, des intermittents du spectacle, des chômeurs, des salariés. Pour 45 euros, durant deux jours, les stagiaires fomentent des manifs contre les OGM, trament un barbouillage de pub, préparent un sit-in pacifiste. 

Sous une grange retapée, le stage se décline en divers ateliers. Celui consacré aux risques juridiques balaie ce qu’encourent les activistes. Ici, l’illégalité semble légitime. « Les problèmes que nous dénonçons sont tellement énormes (OGM, nucléaire...) qu’il faut employer autre chose que des moyens légaux pour se faire entendre », se défend Bénédicte. Avant toute chose, la désobéissance civile prônée ici est non-violente. Mais chacun a sa propre définition de la violence : consensus dans le groupe sur la violence physique, mais quid des violences symboliques et psychiques ? « Qu’est-ce qui est violent, l’action ou le ressenti ? », interroge un stagiaire. « Humiliation, séquestration, certains d’entre nous ne veulent pas exercer de violences psychiques », précise Xavier Renou.

 

« Travailler son style »


Si certains n'hésiteraient pas à bloquer la chaîne de montage d'une usine de 4x4, d'autres refuseraient catégoriquement de retenir le patron d'une firme de biotechnologies, ou de faucher des OGM sous les yeux de celui qui les a plantés.

Le stage enfonce quelques portes ouvertes, notamment sur la préparation des actions. Bien se préparer et avoir confiance dans les membres de son groupe constitue un rempart contre le raté. « Comme Arsène Lupin, il faut travailler son style, sourit Valérie. Et toujours, prévoir un plan B. » Audace, humour, ces militants sont des créatifs de la résistance. « Votre seule limite est votre imagination », prévient le formateur, avant de raconter l’histoire de ces Espagnols venus bloquer la base militaire nucléaire de Faslane (Écosse). En renversant des pots de peinture rouge sur leur combinaison, ils ont désarçonné les policiers écossais qui ne les ont pas touchés. Pourquoi ? C’est à eux qu’incombe la tâche de laver leur uniforme.

L’atelier médias retient toute l’attention des stagiaires. Signe des temps, les actions sont pensées pour informer et donc pour «plaire» aux médias. « L’image compte beaucoup quand on cherche à atteindre l’opinion publique », poursuit Xavier Renou. Ce qui est le cas du fauchage volontaire, idéalement formaté pour la télé et qui a permis de faire entendre la cause des opposants aux OGM. Mais pour faire une image, il faut durer. L’atelier sit-in file des trucs et astuces pour enquiquiner les forces de l’ordre : faire un bon poids mort, s’assembler en tortue (groupe de minimum cinq manifestants aux membres savamment entremêlés). Puis on apprendra à bricoler le fameux arm-lock, un tube en acier très utile pour s’auto-enchaîner à des voies ferrées ou à des engins de chantier. Les désobéissants l’apprécient d’autant plus qu’il oblige les forces de l’ordre à recourir à un outillage spécial, ce qui prend du temps. 

 

Témoignages 


Guy Wan der Pepen, 73 ans, ancien agriculteur, militant altermondialiste participe à ce stage. Il ne faut se fier ni à son âge ni à ses yeux bleu piscine. Ce gars aux allures de vieux scout est un récidiviste, condamné à deux mois de prison avec sursis et à 1 500 euros d’amende pour avoir fauché des cultures OGM en 2005. Comme Guy a remis ça en 2006, il risque désormais trois mois ferme. Mais il ne regrette rien. Pire, il est prêt à recommencer. Ce week-end, il était à Verdun-sur-Garonne avec ses copains faucheurs, une seconde famille devenue son « moteur » au fil des années de lutte. « J’ai connu l’Occupation pendant la Seconde Guerre mondiale. À cette époque-là, on n’a pas hésité à résister, plutôt violemment d’ailleurs. Même s’il est difficile de faire l’analogie avec 39-45, je pense qu’il faut entrer en résistance contre la dictature économique. D’année en année, on perd nos droits, on assiste à une régression sociale et à l’enrichissement des forces financières. Aujourd’hui, la misère remplace la pauvreté. » Le stage lui a permis de partager sa détermination :

« On peut gagner avec la non-violence. »

Concrètement, ce militant a appris qu’il valait mieux garder le silence, une fois au poste de gendarmerie. « C’est dur, on a tellement envie de leur expliquer les raisons de nos actes. Parfois, j’ai senti que certains étaient de notre côté. » Il a désobéi pour la première fois à Namur en 2001 en fauchant une parcelle OGM. Issu d’une famille d’agriculteurs très croyants, Guy a été aviculteur pendant vingt ans à Hestrud (Nord) jusqu’en 1975. « Au début des Trente Glorieuses, j’ai investi dans l’agriculture industrielle. » Ses milliers de poules pondaient agglutinées les unes aux autres. Insatisfait de leur sort, il adhère aux Paysans travailleurs, l’ancêtre de l’actuelle Confédération paysanne, puis las, devient ambulancier jusqu’à sa retraite, prise il y a onze ans.

Sa femme et sa fille préféreraient le voir biner son potager, mais Guy ne désarme pas. « Nous devons reconquérir notre citoyenneté, devenir des grains de sable dans les rouages de l’économie libérale. » Depuis 2002, il vote blanc ou nul : « Je ne peux pas donner ma voix à des traîtres qui sont à la botte des puissances économiques. »

Stéphane Didelot, 34 ans, professeur de menuiserie, et Fanny Exertier, 28 ans, psychologue, témoignent. Venir au stage semblait tout naturel à Fanny et à Stéphane. Cette petite brune est issue d’une famille militante antinucléaire qui a défilé à Creys-Malville en 1977. « Moi, c’est l’élection de Sarkozy qui a déclenché le truc. Je me suis dit qu’il fallait s’engager. » Ils ont tous les deux créé un groupe anti-nucléaire dans les Vosges, à Épinal. Le stage de désobéissance leur a révélé leurs limites. Séquestrer un patron dans ses bureaux, faucher une parcelle OGM en présence de l’agriculteur, autant d’actions que le couple fraîchement pacsé n’est pas sûr de pouvoir assumer. « Le stage m’interroge sur ma capacité à devenir activiste. Je ne veux pas rester dans le confort de notre petite vie, ne rien faire, mais je me demande comment vivre notre engagement politique », interroge la jeune psy.

Leur casier judiciaire est vierge et ils tiennent tous deux à ce qu’il le reste. « Sur certaines actions, on se contentera de tenir les banderoles et d’informer les gens ! » prévient Stéphane qui, contrairement à Fanny, n’a pas eu de parents militants. « Agir, manifester, s’engager, c’est déjà se marginaliser un peu face à l’entourage », plaide-t-il. En tant que délégué CGT dans son lycée, il reconnaît les limites de l’action syndicale traditionnelle, et l’atelier sur les médias l’a particulièrement intéressé.

« Les tracts à l’ancienne, c’est fini. Il faut inventer de nouvelles façons d’attirer l’attention des médias, sinon, on passe inaperçus. » 

Valérie Marinho de Moura, 38 ans, intermittente du spectacle. « Pour vivre ses idées, il faut être dans l’action. » Sous des airs angéliques, Valérie cache une détermination sans faille. Cette comédienne a grandi dans une famille écolo « plutôt de droite ». Au menu de son enfance, quelques manifs contre la torture animale, mais un point de vue pronucléaire. Elle a cherché longtemps une justification au positionnement politique de ses parents, à leur « vision colonialiste du monde ». Sa mère, aujourd’hui décédée, se disait pour l’Algérie française tandis que son père pilotait des avions de chasse sous la dictature de Salazar, au Portugal.

En 1998, ses interrogations la conduisent à l’association Survie qui milite en faveur de l’assainissement des relations franco-africaines. Elle s’ouvre à d’autres causes : les sans-papiers, les chômeurs. Elle co-anime les stages de désobéissance civile et se consacre à ses engagements politiques. L’action militante lui permet de ressentir ce qu’elle a lu (François-Xavier Verschave sur la « Françafrique », Edgar Morin, Patrick Viveret, Alain Denault).

« L’organisation de la pensée doit rester en mouvement et l’action non-violence de désobéissance permet de faire circuler les idées. »

Jusqu’au début de l’année, Valérie travaillait dans des sociétés de production audiovisuelle. « J’y ai vu et entendu des choses qui me déconcertent, notamment de la part de gauchos embourgeoisés, malhonnêtes, aux discours bien pensants à des années-lumière de ce qu’ils vivent. » Elle « récupère », découvre la joie profonde de vivre en cohérence avec ses idées, parmi des gens qui la rassurent. Elle collabore avec une compagnie de théâtre qui monte des spectacles pour Chaillot. Comédienne, elle a joué dans des pubs, « ce qui ne [lui] viendrait même plus à l’idée ». Dans une fausse manif de droite, organisée par les Désobéissants, déguisée en « pétainiste », elle scandait « la solidarité, c’est dé-pa-ssé » ; elle s’est coiffée d’un bonnet phrygien, pour jouer une Marianne sanglante, pendant une action dénonçant le rôle de la France dans le génocide rwandais. « Je crée mes propres héros, je joue ce qui me fait vibrer. »

 

ANV reproduit ici un article paru dans Libération le 30 août 2007.


Article écrit par Laure Noualhat.

Article paru dans le numéro 160 d’Alternatives non-violentes.