Auteur

François Vaillant

Localisation

Afghanistan

Année de publication

2011

Cet article est paru dans
161.png

L e 3 juillet 2012, c’est-à-dire bientôt, l’Algérie va fêter les cinquante ans de son indépendance, l’heureuse conséquence d’une guerre qui dura sept ans et demi. Cette guerre a engendré d’innombrables meurtres, douleurs et désirs de vengeance. Mais les oublis foisonnent encore des deux côtés de la Méditerranée.

Ce numéro d’ANV ne prétend nullement rapporter et commenter la guerre d’Algérie. Il existe déjà de nombreux livres sur le sujet, et d’autres vont certainement encore voir le jour en 2012. Nous pouvons craindre toutefois que l’oubli de la mémoire portera encore sur les Français qui ont osé dire « non » à la guerre d’Algérie, en se déclarant insoumis, déserteurs ou objecteurs de conscience. Ils ont résisté et dit « non », chacun à leur façon, à la pacification, à la torture, aux répressions, aux camps d’internement, aux violations des droits de l’homme. Honneur à ces jeunes gens ! Ils ont préféré rester fidèles à leur conscience et à leurs valeurs au milieu de la fournaise. Oui, honneur à eux, qu’ils aient été mus par l’anarchisme, l’Évangile, l’antimilitarisme ou tout autre force. Ils ont écrit de fabuleuses pages de l’action non-violente, encore trop souvent ignorées des deux bords de la Méditerranée. Ils ont connu, au moment de la guerre d’Algérie, brimades et séjours implacables en prison, sans parler du désaveu fréquent de leurs proches.

Les mémoires demeurent encore ambivalentes, contradictoires, opposées, dès que l’on parle de la guerre d’Algérie. L’heure est cependant venue de passer d’une mémoire douloureuse à l’histoire accomplie, de la blessure à l’apaisement. Rejouer une guerre du passé n’a aucun sens. L’Algérie est et restera indépendante.

Mais qu’en est-il de la violence en Algérie depuis son indépendance ? Qu’a vécu ce si beau pays, avec une jeunesse si débordante de vitalité, depuis sa guerre d’indépendance ? Ce numéro d’ANV partage la thèse d’historiens, comme Benjamin Stora et Gilbert Grandguillaum, pour qui, depuis 1962, rarement une société aura vécu si longtemps en dehors du droit. La violence de la guerre de libération s’est mue en oppression contre le peuple algérien, tout en servant quelques bénéficiaires qui se sont érigés en représentants politiques de la société, avec l’aide de l’armée. À force de vanter la violence des combattants durant la guerre de libération, ces responsables politiques ont perpétué une « culture de guerre » qui a généré des automatismes redoutables dans la police, l’armée, chez les profiteurs de la manne pétrolière, dans une partie des jeunes générations qui n’a pas connu cette guerre. On ne peut pas impunément vanter que le principe de la lutte armée est central dans l’édification d’une nation et s’étonner ensuite de sa reprise dans la réalité sociale et politique. Pour sortir de la violence, il n’existe que le choix de la non-violence, pour la justice contre la corruption, pour la paix contre la privation des libertés fondamentales. À force de faire croire que seule la violence permet d’obtenir une revendication, l’Algérie a connu le drame d’une guerre civile dans les années 1990 avec l’AIS (Armée islamique du salut) et le GIA (Groupe armé islamique).

Un travail de mémoire reste à promouvoir pour que la France et l’Algérie se réconcilient véritablement. En France, il n’est toujours pas bien vu de rappeler les exactions et les violences de la colonisation, puis durant la guerre d’Algérie ; les archives officielles s’ouvrent cependant, alors qu’elles restent encore fermées en Algérie. Aucun tableau n’est ni tout blanc ni tout noir. Ce n’est qu’en reconnaissant chacune leurs propres violences que la France et l’Algérie sauront construire un avenir fondé sur le respect mutuel, sans oublier toutefois que c’est la France qui a colonisé et qui fut la première à user de violence.


Article écrit par François Vaillant.

Article paru dans le numéro 161 d’Alternatives non-violentes.