Dire des contes dans les maisons de retraite

Auteur

Anne Kovalevsky

Année de publication

2012

Cet article est paru dans
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Le conte stimule le plaisir et le rêve. Le conte peut raviver des souvenirs, faire émerger une mémoire ancienne, une histoire. Parfois le retour à la parole de la personne âgée se fait par ce biais.

Depuis cinq ans...


« Depuis cinq ans, je prends l’ascenseur jusqu’au 7e étage. 7e étage, 7e ciel... Dans le couloir, je frappe aux portes, et je n’attends pas toujours qu’on me dise d’entrer. J’entre, je m’approche du lit. Dans le lit, il y a un vieux, ou une vieille... Je suis là pour leur raconter des histoires. Et les histoires, c’est comme les femmes enceintes. Elles portent la vie en elles... Alors bien sûr, j’ai raconté, mais les vieux et les vieilles aussi ont raconté... »

Ainsi débute le spectacle « Une pomme oubliée sur le buffet » où récits de vie et contes se mêlent. Pour que, le temps d’une histoire, ces vieux et ces vieilles soient remis debout.

J’ai effectivement raconté au pied du lit pendant cinq années dans un service de gériatrie. Temps de partage, d’émotions, de joies, de colère parfois... Ce sont ces moments-là, ce temps entre parenthèses dont j’ai voulu témoigner dans ce spectacle.

Les personnes âgées, alitées et dépendantes s’isolent trop souvent derrière un mur de silence. Bien sûr, ils sont vieux, ils sont ridés, ils ne sentent pas bon... Et après ? On oublie que ces hommes, ces femmes, ont aimé, vibré, travaillé. Ils ont eu de saines colères. Ils ont été des hommes et des femmes debout, ils ont été jeunes, ils ont été beaux. Les souvenirs sont leur présent. Ce sont eux qui les façonnent et les font ce qu’ils sont.

Pourquoi proposer des contes au pied du lit ? Il ne s’agit pas de soigner les personnes âgées, mais d’apporter un mieux-être, une respiration. La spécificité du conte est qu’il ne demande rien à son auditoire : ni connaissance, ni participation, ni effort. Qu’importe si l’on s’endort, si l’esprit vagabonde... Le conte auprès des personnes âgées est la seule activité où on ne leur demande rien, ni de parler, ni de chanter, ni de peindre ou dessiner. On leur laisse la liberté de ne rien faire ; et simplement d’accueillir ou même parfois de refuser !

On ne raconte pas de la même façon à des enfants et à des personnes âgées


Dans notre culture, les contes sont très souvent associés à la petite enfance. Raconter aux personnes âgées ne doit pas être assimilé à une infantilisation. On ne raconte pas de la même façon à des enfants et à des personnes âgées. Le conte merveilleux raconte le trajet de vie d’un héros, avec ses embûches, ses obstacles à surmonter, ses solutions, ses rencontres... Il parle de la vie, il parle de la mort... Les contes ont le pouvoir de mettre à distance, en faisant exister nos craintes et nos angoisses. On peut raconter des histoires de la mort marraine à des personnes âgées, parce que, elles, elles savent que la mort fait bien partie de la vie...

Le conte stimule le plaisir, le rêve. Les personnes âgées ont la possibilité de faire des allers et retours entre l’histoire du conte et leur histoire personnelle. Le conte est un serviteur de la vie. Une fenêtre ouverte qui permet de voyager de rêver, d’aimer sans papier ni frontière. Parce que les mots sont la porte de la mémoire, le conte peut raviver des souvenirs, faire émerger une mémoire ancienne, une histoire. Parfois le retour à la parole de la personne âgée se fait par ce biais.

Après un conte soufi sur le grain de blé qui devient pain, un ancien boulanger d’origine tunisienne m’a raconté comment après avoir enlevé sa cousine à un mari et un mariage dont elle ne voulait pas, il s’est retrouvé sur les quais de Marseille... Comment il a été recueilli par un boulanger qui passait par là puis il est devenu boulanger...

Une femme qui n’aimait pas les gens ; c’est elle qui le disait... m’a finalement dit à la fin d’une histoire, « tu sais, ce n’est pas forcément les gens que je n’aime pas, c’est juste que je ne sais pas comment leur dire que je les aime un peu... »

Il y avait ce vieux monsieur qui me réclamait des histoires de princesse, parce qu’il aimait les princesses. Il disait que la médecine devrait faire des recherches pour faire des perfusions de princesses...

Le conte peut simplement donner le désir d’aller plus loin, d’aller jusqu’à demain. Les contes traditionnels ont appris de la sagesse du temps, de cette sagesse dont les personnes âgées sont souvent riches.

L’art du conte est un art éminemment populaire, c’est peut-être pour cela qu’il est parfois méprisé. Mais la force d’un art se mesure à l’émotion qu’il provoque. En racontant à partir du cœur, on touche les gens au cœur, et là la magie du conte opère et du lien se tisse entre le conteur et celui qui écoute. En racontant, on ne s’adresse pas à l’intelligence, mais à l’émotion. La parole conteuse tend à la communion, « être avec » parce que le conte est un temps privilégié, un temps à part ou la vie est plus forte que tout le reste.

L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit d’offrir une parole à des gens qui ne parlent plus guère et pour qui le désir d’aller jusqu’à demain n’est pas toujours là.


Article écrit par Anne Kovalevsky.

Article paru dans le numéro 162 d’Alternatives non-violentes.