Sommes-nous condamnés à la perspective de la maison de retraite ?

Auteur

Dominique Varin

Année de publication

2012

Cet article est paru dans
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Il n’existe pas que le maintien à domicile et la maison de retraite pour que la personne âgée vive ses dernières années. Des alternatives voient le jour, elles mériteraient que les pouvoirs publics s’y intéressent véritablement.

Poursuivre sa vie comme on l’a toujours vécue, choisir son lieu de vie au moment de sa retraite est le souhait de chacun. Bien vieillir à domicile, c’est une réalité que connaît la plus grande partie des personnes vieillissantes. Selon l’Insee, les personnes âgées de plus de 65 ans représentent plus du cinquième de la population française. Pour la plupart, elles vivent seules dans leur logement (18 % des sexagénaires, 30 % des septuagénaires et 40 % des octogénaires). Ces personnes sont en général propriétaires (70,7 %) et résident en ville. 

L’objet de cet article est de faire un rapide tour d’horizon sur les alternatives possibles, même si celles-ci sont à ce jour rarement explorées (la raison n’en est que trop simpliste : pourquoi investir une réflexion de fond sur une population qui va disparaître ?)

 

Nos politiques publiques prévoient actuellement trois dispositifs


  • Le soutien à domicile, quel que soit le lieu, permet aux personnes de plus de 60 ans de bénéficier d’une présence et d’une aide pour des besoins quotidiens. Je ne m’étendrai pas sur ce dispositif bien connu de tous, même si tout ne va pas de soi dans cette proposition (notamment le risque d’isolement fort lorsqu’il devient difficile de sortir de chez soi).
  • La maison de retraite, dite Ehpa ou Ehpad dans notre jargon administratif, est un lieu d’hébergement et non de domicile. Cette possibilité reste celle du choix par défaut, fonctionnant la plupart du temps comme une « institution totale », niant l’autonomie des personnes. Je ne m’étendrai pas plus, cette formule étant assez lisible pour tous.
  • Le placement familial est un dispositif qui permet de vivre au sein d’une famille, d’être « chez soi chez les autres ». Il est question d’un accueil payant chez l’assistante familiale qui a fait la démarche de se faire habiliter pour recevoir une personne vieillissante. Une pièce est mise à sa disposition, avec cabinet de toilette. La personne vit dans la famille, prend ses repas et participe aux activités et tâches quotidiennes, dans la mesure de ses possibilités. Cette alternative semble intéressante lorsque l’adéquation valeur de vie/personnalité/donnant-donnant est possible. Des liens se tissent, un attachement se crée. Mais cela nécessite une vraie préparation, une approche individuelle personnalisée pour appréhender cet avenir inconnu qu’il va falloir partager le plus longtemps possible. Cette formule n’existe qu’en petit nombre car elle présente cependant des inconvénients. 

 

Pour la famille qui accueille : pas de répit, ni jour de congé. À tout moment du jour ou de la nuit, elle peut être sollicitée. Rien n’est prévu par les pouvoirs publics pour que la famille d’accueil puisse s’absenter, il n’y a pas non plus de suivi pour aider les transitions à se faire. C’est un engagement qui se signe sans connaître ni la durée ni le type de tâches à effectuer. Accepter d’élargir sa famille en y incluant une personne vieillissante engage aussi ses proches jusqu’à la mort de cette personne. 

Pour la personne accueillie : c’est choisir une famille qui n’est pas la sienne tout en étant « comme ». Quelle place reste-t-il alors dans ce contexte pour sa propre famille ? Quelle garantie a la personne d’être respectée jusqu’au bout ? Comment établir une relation équitable aidant/aidé tout en étant dans une situation de subordination ? 

Faudrait-il, parce qu’on devient vieux, se satisfaire de ces solutions porteuses chacune de gros inconvénients ?

 

Autres perspectives possibles


En France, les pouvoirs publics ont structuré l’offre à partir du pôle hébergement collectif (logique de protection), et du pôle domicile individuel (logique d’autonomie). Mais d’autres pays européens ont développé des alternatives, comme par exemple la Suisse, l’Allemagne et la Belgique. Marginales à ce jour dans notre pays, ces expériences sont le fruit d’initiatives privées, mais porteuses de possibilités encore trop peu explorées.

  • L'habitat participatif, autogéré ou groupé : plusieurs personnes ou familles font le choix de vivre dans une proximité géographique pour favoriser des liens qui permettent un mieux-vivre au quotidien. Les personnes prennent leur vie en main et sollicitent la solidarité. Il s’agit, dans un groupement de maisons ou dans un immeuble, d’avoir s so on n domicile à coté d’autres domiciles, ce qui permet des échanges pour mieux faire face aux contraintes du quotidien : l’un va faire les courses de l’autre ; une fois par semaine à tour de rôle un repas est préparé et pris avec les habitants volontaires, une journée par mois est réservée aux petits bricolages d’entretien, une pièce commune peut être prévue à usage de lingerie, de cuisine, de salle de télévision… Les habitants fixent les règles entre eux (utilisation des communs…) et gèrent leur quotidien. Entre conflits et solidarité, le groupe doit apprendre à vivre ensemble. S’il s’agit de personnes vieillissantes, les unes pourront combler certains déficits des autres et/ou se faire soutenir par des aides à domicile, dont le coût pourra alors être supporté par plusieurs personnes (c’est le cas des « Babayagas » à Montreuil). Les pouvoirs publics n’ont pas encore saisi en quoi cette formule représente un formidable moyen de prévention de la dépendance (et donc de limiter les dépenses publiques de santé) par l’obligation qu’ont les personnes de décider pour elles-mêmes, de se soutenir entre elles. 
  • L’habitat kangourou : nombre de personnes vieillissantes vivent seules dans un domicile devenu trop grand pour elles, souvent le logement où elles ont vécu en famille. Cet espace leur permet maintenant d’héberger d’autres personnes : un étudiant, un couple, une famille, une personne en panne de logement. Elles peuvent échanger contre un loyer modique quelques services qui facilitent le quotidien. Cette initiative est développée en Belgique où le gouvernement se met en position de tiers, dimension indispensable pour la réussite : un salarié reçoit les propositions d’habitat kangourou, met en lien les offres et les demandes de logement, accompagne les accords conclus entre les personnes pour garantir l’équité des échanges. Il s’agit d’introduire la sphère citoyenne au sein des situations domestiques pour dépasser les conflits interpersonnels.

Il est nécessaire et urgent que les pouvoirs publics se saisissent de cette problématique. L’avancée dans la vie devrait permettre à chacun de susciter un style de vie décent jusqu’au bout de son existence. Le vieillissement n’est ni une maladie (objet de soins) ni une marchandise (objet de profit). Il peut être une formidable occasion de développement citoyen. 


Article écrit par Dominique Varin.

Article paru dans le numéro 162 d’Alternatives non-violentes.