L'ambition d'un monde plus sûr : du désarmement à la régulation des armements

Auteur

Aymeric Elluin

Année de publication

2013

Cet article est paru dans
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Les nombreux traités et conventions pour réguler les armements, ou les interdire, sont mal connus. Leur existence part du principe qu’aucun État n’a le droit de s’attaquer à des populations civiles. Le droit international n’est pas à bouder, tant c’est là que se joue des décisions essentielles.

Parler de désarmement à notre époque pourrait sembler une gageure tant l’actualité nous abreuve jour après jour de la violence due à la circulation des armes. Les conflits armés en Syrie, au Soudan, en Colombie, au Mali…, les vagues de répression interne suite au Printemps arabe et ses suites comme en Égypte, les explosions de violences en Turquie et au Brésil, alimentent la pandémie de violence armée à laquelle nous assistons.

En cause : la disponibilité des armes classiques 1 et leur utilisation contraire au droit international. Les victimes : les populations civiles. Le constat : « Le nombre de morts attribuable à ces armes dépasse largement celui des victimes des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. De fait, au regard des carnages qu’elles provoquent, elles pourraient êtreassimilées à des “armes de destruction massives” » comme l’a déclaré Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies.

Pourtant, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les efforts de désarmement n’ont jamais cessé. Tous les types d’armement sont concernés ; avec plus ou moins de réussite. Tous les espoirs portent aujourd’hui sur le champ des armes classiques.

 

Les armes de destruction massive mises au ban

Les armes de destruction massive (ADM), nucléaires, biologiques ou chimiques (NBC), ont été bannies du champ de bataille. Un arsenal d’instruments internationaux plus ou moins abouti, fonctionne, rendant toute guerre au moyen d’ADM quasi impossible. 

Parmi le triptyque NBC, les armes biologiques et chimiques ont fait l’objet des efforts de désarmement les plus aboutis. Ces armes sont prohibées de façon absolue. D’une part via la Convention sur l’interdiction des armes bactériologiques ou à toxines (CIAB) de 1972 2 et par le biais de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) de 1993. La CIAB est le premier traité multilatéral de désarmement à proscrire une catégorie entière d’armes. 

Ces conventions sont de portée inégale. À l’inverse de la CIAC, la convention sur les armes bactériologiques ne prévoit aucun mécanisme de vérification pour garantir sa bonne mise en œuvre. Toutes les tentatives pour y parvenir ont échoué et les discussions sont dans l’impasse. De son côté, la CIAC est le traité de désarmement le plus réussi à ce jour du fait de l’existence d’un mécanisme de vérification géré par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), créée en vertu de la Convention. Près de 80 % des 71 196 tonnes des stocks mondiaux déclarés notamment par la Russie, les États-Unis et la Libye ont ainsi été détruits. 

Les avancées en matière de désarmement nucléaire sont plus relatives et contrastées. Le Traité de non-prolifération (TNP) de 1968 qui interdit l’arme nucléaire pour tous à l’exception des cinq puissances nucléaires dotées officiellement (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) n’a pas empêché la prolifération. Israël, l’Inde et le Pakistan ont l’arme atomique. Les efforts iraniens pour l’obtenir sont bien connus et la Corée du Nord s’est retirée du TNPdans les années 1990 afin de poursuivre ses ambitions. Malgré ses fragilités, le TNP a contenu la prolifération loin des prédictions du président J.-F. Kennedy qui déclarait en 1963 que le monde compterait 15 à 20 puissances nucléaires en 1970. Certains États ont même renoncé à l’arme nucléaire à l’instar du Brésil ou de l’Afrique du sud.

L’échec du TNP repose sur l’incapacité de ses États parties à répondre à l’obligation qui leur est faite d’entamer des négociations en vue de parvenir à un désarmement nucléaire général et complet. Malgré les efforts des ONG pour inciter au désarmement nucléaire, la Conférence du désarmement (CD) 3 , unique organe multilatéral de négociation en la matière, est bloquée depuis plus de dix ans. La prise de décision au consensus paralyse son fonctionnement. Le projet de traité destiné à interdire la production des matières fissiles pour la fabrication d’armes nucléaires est ainsi renvoyé aux calendes grecques. Récemment, la Russie a rejeté la proposition américaine de relancer l’entreprise de réduction bilatérale de leurs arsenaux nucléaires entamée en pleine guerre froide. La seule touche positive dans ce tableau vient sans doute du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (1996) qui, bien que n’étant pas entré en vigueur, est respecté par la communauté internationale dans son ensemble, à l’exception notable de la Corée du Nord.
 

Limitation et désarmement dans le champ des armes classiques

Le droit du désarmement a également marqué le champ des armes classiques. Dans un premier temps, la communauté internationale a agi de façon à limiter ou à prohiber l’emploi d’un certain nombre d’armes causant des souffrances inhumaines et ayant des effets non discriminants sur les civils. La Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination de 1980 a ainsi été renforcée concernant les mines antipersonnel ou encore les armes à laser aveuglant dans le courant des années 1990 puis au sujet des restes explosifs de guerre (2003). 

D’autres avancées sont intervenues. Elles viennent cette fois interdire de façon absolue deux grandes catégories d’armes obligeant les États à désarmer. C’est tout d’abord l’adoption en 1997 de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel et sur leur destruction. Puis, en 2008, la Convention d’Oslo sur les armes à sousmunitions. En 2012, le seul État ayant eu recours à ces deux types d’armes est la Syrie ! Deux points majeurs sont à retenir. En premier lieu, ces conventions ont été adoptées hors du système onusien à la suite de l’action des ONG et ensuite, l’interdiction de ces armes a connu des prolongements inédits avec la sensibilisation du secteur financier à la question de leur interdiction. En France par exemple, cela s’est traduit par l’exclusion de toutes formes de financement d’entreprises faisant la production ou le commerce de ces armes, de la part des plus grands groupes bancaires et d’assurance. Qui plus est, Amnesty Internationalaux côtés d’Handicap International aobtenu du gouvernement français qu’il clarifie la portée de la Convention d’Oslo : « Toute aide financière directe ou indirecte, en connaissance de cause, d’une activité de fabrication ou de commerce de bombes à sous-munitions constituerait une assistance, un encouragement ou une incitation tombant sous le coup de la loi pénale.»

Outre le cas des armes inhumaines, la question du commerce des armes classiques et de leur trafic a émergé comme une des priorités mondiales à traiter au sortir de la guerre froide, en réponse au constat énoncé par Kofi Annan. La multiplication des conflits alimentés par une dissémination incontrôlée des énormes stocks d’armes classiques accumulés par les deux blocs appelle à trouver une solution pour mettre fin aux souffrances humaines engendrées. En République démocratique du Congo, par exemple, on estime que plus de cinq millions de personnes sont mortes de causes indirectes liées au conflit armé depuis 1998. Et il n’y a pas que les morts. Pour chaque personne tuée dans un conflit armé, il faut compter toutes celles qui sont blessées, torturées, maltraitées, soumises à des disparitions forcées ou prises en otage dans le cadre de conflits et de la violence armée. Sans compter les conséquences indirectes : effondrement de l’économie, infrastructures de santé et de sécurité dévastées, augmentation des maladies et famines.

 

Le Traité sur le commerce des armes classiques : un espoir considérable

Le Traité sur le commerce des armes classiques (TCA), à défaut de les interdire car légales au regard du principe de légitime défense posé par l’article 51 de la Charte des Nations unies, constitue une avancée historique. En effet, il comble un vide juridique abyssal et offre un nouveau bouclier aux droits humains en étant le premier texte à réguler le commerce mondial des armes classiques. Adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 2 avril 2013, les ONG comme Amnesty International ont assisté avec enthousiasme à l’aboutissement de la campagne « Contrôlez les armes » lancée en octobre 2003. L’espoir est aujourd’hui à la hauteur de l’enjeu. Le TCA est le seul instrument à ce jour imposant aux États de prendre en compte le respect du droit international humanitaire et pénal ainsi que celui relatif aux droits humains par le pays récipiendaire, avant d’autoriser tout transfert d’armes. Les intérêts économiques et géopolitiques passent après et ne pourront plus être invoqués comme une « vache sacrée ».

Le traité interdit formellement tout transfert dès lors que les États exportateurs savent que ces armes serviront à commettre ou à faciliter un génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. La Russie ne pourrait donc plus fournir la Syrie en toute impunité ni la Chine le Soudan, si ces pays exportateurs devenaient parties au traité. Au-delà, les États doivent évaluer avant chaque exportation si les armes exportées pourraient servir à commettre ou faciliter des violations graves des droits humains, du droit international humanitaire, à commettre un acte terroriste ou relevant de la criminalité transnationale organisée… Les États devront adopter un régime national de contrôle s’appliquant à leur transfert d’armes, de munitions, de pièces et de composants. À ce jour, seul une poignée d’États en dispose, comme la France.

Toute la chaîne de transfert des exportations aux importations, en passant par le transit, le transbordement et le courtage est couverte par le TCA. Et les États doivent lutter contre les risques de détournement d’armes. Une mesure d’importance puisque 80 % des flux d’armes illicites proviennent de transferts licites à l’origine. Le traité couvre les principales catégories d’armes classiques offensives, ainsi que les armes légères et de petit calibre qui prolifèrent dans les pays touchés par des conflits de faible intensité ou par une violence armée endémique comme c’est le cas en Somalie ou encore en Afghanistan… Le TCA réglemente les munitions, les pièces et les composants servant à l’assemblage d’armes, même si ces éléments échappent à certaines dispositions. Dernier point important à souligner : le traité pourra être amendé et donc potentiellement amélioré tandis que la Conférence des États parties aura pour tâche de réévaluer périodiquement la liste des armes couvertes par le traité. Si les ONG n’ont pas obtenu tout ce qu’elles voulaient, comme toujours dans ce type de négociations, soulignons qu’un traité n’est jamais figé dans son texte même. Son interprétation, le développement de bonnes pratiques et sa mise en œuvre concourront au renforcement de sa portée. Cinquante ratifications sont nécessaires pour que le traité entre en vigueur. La société civile mettra tout en œuvre pour que cela arrive le plus rapidement possible afin de désarmer les auteurs des pires atrocités 4 .

La dynamique du désarmement et ses approches complémentaires (maîtrise des armements, limitation, régulation…) est lourde, fastidieuse et étroitement liée à l’état des relations internationales. Ce qui explique le temps long pour parvenir à des résultats. Plus que jamais, le rôle des ONG est indispensable pour pallier aux incapacités chroniques des États. Surtout à l’heure où le développement de l’armement semble toujours avoir une longueur d’avance sur le droit comme en témoigne le développement de la cyber-guerre ou encore des armes autonomes… L’adoption du TCA dès lors montre que tous les espoirs restent permis.


1) L’ensemble des armes autres que les armes de destruction massive. Il s’agit généralement d’engins conçus pour tuer, blesser ou provoquer des dégâts et de leurs vecteurs. Leurs effets sont dus généralement, mais pas uniquement, à des explosifs brisants, des armes à énergie cinétique ou des dispositifs incendiaires.

2) Bien que la Convention n’interdise pas elle-même l’utilisation d’armes bactériologiques, elle exige cependant des États parties qu’ils adhèrent au Protocole de Genève de 1925, qui prohibe l’emploi en situation de guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques.

3) La CD (et les organes qui l’ont précédé) ont négocié certains des traités les plus importants : le TNP, la CIAB, la CIAC…

4) À l’heure où cet article est rédigé : 79 États ont signé le TCA (dont la France) et 2 l’ont ratifié.

 


Article écrit par Aymeric Elluin.

Article paru dans le numéro 168 d’Alternatives non-violentes.