Auteur

Jean-Pierre Dacheux

Année de publication

2014

Cet article est paru dans
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Tout citoyen vivant sur le sol français est tenu d’y respecter les lois, et doit être individuellement poursuivi s’il les refuse. Nos lois républicaines interdisent aussi d’accuser quiconque sans preuve de sa culpabilité. La Justice française a même instauré la notion de présomption d’innocence. Alors comment se fait-il que des médias et certains (ir) responsables politiques puissent impunément faire autant d’amalgames, de généralisations et d’insinuations au sujet « des » Rroms*. Le mal est profond, le malentendu tenace. J.-P. Dacheux donne ici un éclairage historique susceptible de faire tomber certaines œillères franco-françaises.

Les Rroms sont intégrés

Voici sept siècles que les Rroms vivent en Europe. Ils ont toujours cherché à s’y intégrer. Ils y sont souvent parvenus car ils auraient, sinon, totalement disparu. Alors, de quelle intégration parle-t-on quand on les invite, incite ou contraint à s’intégrer ?

Intégrer, dit le Grand Robert, c’est « faire entrer ». Pour qu’intégration il y ait, il faut donc que s’ouvre une porte. L’intégration, dit aussi le même dictionnaire, c’est « l’opération par laquelle un individu ou un groupe s’incorpore à une collectivité, à un milieu ». Incorporer ou s’incorporer, intégrer ou s’intégrer ? Si le verbe est transitif, intégrer devient indépendant de la volonté des personnes concernées ; si le verbe est pronominal, s’intégrer signifie vouloir prendre place dans une collectivité qui vous accepte et vous accueille. C’est tout différent !

La confusion tient en ceci : l’intégration passe par des phases ; elle est une opportunité, puis un processus puis un aboutissement. Il faut parfois plusieurs générations pour qu’une intégration soit achevée. L’étude des noms de familles témoigne de cette lente installation de familles dans un pays. Les Belkacem, Moscovici, Sarkozy, et autres Valls appartiennent à des lignées qui ne sont pas, d’un coup, devenues françaises !

Pour les Rroms, s’intégrer, (« vivre comme tout le monde ») signifie être considéré comme un humain, un concitoyen européen parmi d’autres ; cela ne veut pas dire pénétrer à marche forcée dans un ensemble où l’on n’est pas forcément bien reçu et où l’on a, du coup, peur d’entrer.

Mais ce n’est pas tout : les Français vivent, à présent, dans des familles monocellulaires. Il n’y a pas si longtemps, dans la France rurale, plusieurs couples vivaient sous le même toit. Ce n’est plus possible et nos habitats juxtaposent à présent les couples avec leur progéniture. Proposer aux Rroms une intégration dans des ensembles urbains où les familles larges ne peuvent plus cohabiter aboutit à détruire le mode de vie qui est le leur. Ils ne peuvent s’y résigner sans résistance. Et qui peut dire qu’ils ont tort ?

Rabâcher sans cesse, à propos des Rroms : « Il faut qu’ils s’intègrent » (et en une seule génération !), ne tient pas compte des diversités culturelles, si l’on attend des Rroms qu’ils adoptent les habitudes vestimentaires, alimentaires, sanitaires... des autres Européens. À la vérité, nous demandons constamment aux Rroms d’aller ailleurs, même si ailleurs, il leur sera tenu le même discours : « Allez vivre plus loin » ! C’est une condamnation à la mort lente ! C’est un ethnocide, eut dit Pierre Clastre, le célèbre anthropologue et ethnologue français (1934-1977).


L’intégration dépend d’abord du pays d’accueil

L’intégration de 20 000 personnes (moins que de communes en France, soit 0,0003 % des habitants de notre pays) ne peut être considérée comme une difficulté insurmontable, quand on mesure que des centaines de milliers, des millions d’Européens et d’Africains ont déjà fait souche sur notre territoire. C’est donc ailleurs qu’il faut rechercher la cause de ce rejet grandissant des étrangers rroms, comme celui, encore vivace, ne l’oublions jamais, des Français qui sont Tsiganes, Gitans, Manouches ou Yéniches !

À la vérité, la cause de la montée de cette vague de haine, qui déborde parfois jusque dans les propos de maires et de ministres, doit être recherchée dans cette incompréhension de ce qu’est l’intégration véritable, laquelle n’a rien à voir avec « l’intégration » qu’on reproche aux Rroms de ne pas accepter, qu’ils soient Rroms de France ou Rroms en France. Les Tsiganes de France, quel que soit le nom qu’on leur donne, ne sont pas encore nos compatriotes à part entière puisqu’ils sont soumis à des législations d’exception pour peu qu’ils vivent en habitats mobiles regroupés. La loi de 1969 les concernant, dont on retarde sciemment l’abolition, continue d’en faire des Français qui ne sont pas comme les autres ! Pour eux aussi, l’intégration véritable est loin d’être achevée. En sont-ils responsables ? La confusion faite en 2010 par le précédent Président de la République, entre les étrangers (Roumains et Bulgares) et les Français (dits « Gens du Voyage ») n’est pas effacée. Sous elle se cache, encore et toujours, cette inacceptation d’une vie non conforme au référentiel majoritaire.

L’intégration ne dépend donc pas de la seule volonté des intéressés. Elle ne peut s’accélérer. Elle demande du temps. Elle concerne aussi des Français marginalisés, tout aussi pauvres, et plus nombreux que les Rroms eux-mêmes. L’intégration des Rroms, enfin, ne résulte pas seulement de leur installation réussie dans les limites de notre pays ! C’est le résultat d’un double mouvement auquel la France, admettons-le, est mal préparée.

D’une part, la République française est isolée en Europe, et quasiment la seule à ne pas reconnaître les minorités culturelles. L’intégration de la plus nombreuse des minorités culturelles d’Europe ne dépend pas que du bon vouloir d’un seul État-membre. Le sort des Rroms est davantage lié à l’avenir politique de l’Europe qu’à la pérennité des États-nations.


L’européanité des Rroms concourt à leur intégration

Les Rroms, qui depuis le XIVe siècle sont devenus des Européens (et ceci bien avant que les États allemand, italien, et bien entendu roumain, n’aient été constitués), ne sont que dans un second temps les ressortissants et les citoyens des pays où ils sont installés. Le pays des Rroms, finalement, c’est l’Europe tout entière et pas uniquement cette Union européenne où la France elle-même semble ne pas... s’intégrer tout à fait !

Bref, l’intégration dont veulent bien aujourd’hui les Français (sous peine d’exclure les intéressés), c’est l’intégration au sein d’une nation à la française sur laquelle, d’un bout à l’autre de l’éventail politique, se crispent les tenants d’une identité nationale intouchable et close, mais obsolète. L’intégration dans la seule République française ne se fera pas, non pas parce que les Rroms s’y refusent, mais parce que l’État français n’en crée pas, actuellement, les conditions.

Les Rroms sont des marqueurs de l’espace européen. Il n’y a pas d’Europe possible sans l’intégration effective des Rroms mais aussi de leur apport à notre histoire commune. L’intégration des Rroms d’Europe, c’est la mise en œuvre d’une concitoyenneté sans frontières telle qu’elle a commencé à se penser au niveau du Conseil de l’Europe avec ses 47 États.

Puissent les débats prochains qui vont s’engager en France pour les élections municipales et, en principe, dans les 28 États de l’Union pour les élections européennes, permettre de contribuer à l’élimination des idées fausses sur ce qu’est une intégration véritable, laquelle ne s’accorde ni ne se décrète, mais se construit et se déploie dans chacun des pays de notre très petit continent.


Le terme « Rroms » est emprunté à la langue rromani. Les deux orthographes « Rroms » et « Roms » sont utilisées


Article écrit par Jean-Pierre Dacheux.

Article paru dans le numéro 170 d’Alternatives non-violentes.