Auteurs

Vincent C.T. Sung et Chris K.C. Chan

Localisation

Chine

Année de publication

2015

Cet article est paru dans
175.jpg

Ce compte-rendu critique a été écrit en anglais par Chris K.C. Chan et Vincent C.T. Sung pour le colloque de l'université d'Hokkaido au Japon le 28 février 2015. Vincent C.T. Sung l’a traduit en français en apportant de légères modifications. C'est une version réduite qui a été publiée dans le n° 175 d'ANV.

En 2014, le mouvement des parapluies a eu lieu pendant 79 jours à Hong Kong, l'une des régions administratives spéciales (RAS) sous le régime communiste en Chine. Le mouvement des parapluies, qui implique toutes les couches sociales, est complètement différent des mouvements de masse des décennies précédentes à Hong Kong, à la fois par ses méthodes de lutte pacifiques, sa spontanéité et la perturbation massive de l'ordre public.

Les chercheurs ayant travaillé sur cette question sont arrivés à des conclusions assez pessimistes sur les perspectives de démocratie à Hong Kong. So propose comme explication « la notion de puissance dépendante » et souligne que, historiquement, Londres et Pékin fixent les règles de la démocratisation à Hong Kong en niant aux habitants de Hong Kong leur rôle dans la détermination de leur propre avenir politique.[1] Le pouvoir des habitants de Hong Kong a également été considérablement affaibli par la lutte entre le camp pro-établissement et celui des démocrates. Pour Ma[2], c’est la faiblesse des ressources organisationnelles et l’absence de liaison horizontale dans les sociétés civiles et politiques qui rendent la réforme démocratique si difficile à atteindre à Hong Kong. Les organisations de la société civile et les partis politiques n’ont pas une confiance mutuelle pour former une alliance pour la démocratisation. L'échec du mouvement pour réaliser un système plus démocratique peut avoir prouvé la puissance de la contrainte structurelle de la politique de Hong Kong. Malgré son échec, la radicalisation de la nouvelle génération a créé un défi sans précédent pour la Chine et les gouvernements des RAS ; elle sera une force de résistance redoutable à la classe dirigeante (capitalistes pro-Pékin et oligarques) de Hong Kong et au Parti communiste chinois (PCC) à l'avenir.

Cet article développe les causes politiques et socio-économiques du mouvement ainsi que ses caractéristiques. En outre, il réfléchit aux stratégies de poursuite de la lutte pour l’installation de la démocratie à Hong Kong.

Les causes politiques

Les élections du conseil législatif «LegCo» (le parlement) et du chef de l’exécutif (à la tête de la RAS), au suffrage universel, font partie du programme principal des mouvements pro-démocratie depuis la cession de Hong Kong à la Chine en 1997.

La loi fondamentale, qui est appelée la mini-constitution de Hong Kong, pose que le chef de l’exécutif de Hong Kong sera élu au suffrage universel. Mais le gouvernement de Pékin a retardé l'échéance de sa promesse de mise en œuvre.

La campagne a été suggérée par le Dr Benny Yiu-Ting Tai, le professeur agrégé de droit à l'Université de Hong Kong en Janvier 2013. En mai 2013, une coalition, Occupy Central (OC), dirigée par le juriste Benny Thai, le sociologue Chan Kin-Man et le pasteur Zhu Yao Ming ont officiellement lancé leur plan de campagne pour une élection directe du chef de l’exécutif en 2017 et ont menacé d'organiser l'occupation du centre de Hong Kong (le centre commercial et financier) et de le paralyser si nécessaire. Tai prédit qu'au moins 10 000 citoyens se joindront à la manifestation pour reprendre l’occupation de la place centrale en juillet 2014, si les promesses faites par la République Populaire de Chine (RPC) pour le suffrage universel n’ont pas été tenues en 2017 pour l’élection du chef de l'exécutif et en 2020 pour les élections du conseil législatif.

Une des revendications de Occupy Central était d’organiser un « référendum citoyen », en-dehors des autorités officielles, pour laisser le peuple choisir entre trois modes de désignation des candidats à l'élection du chef de l'exécutif au suffrage universel en 2017. Les propositions étaient les suivantes :

  • Désignation de candidats soit obtenir le soutien d’au moins 1 % des électeurs inscrits dans les conscriptions électorales, soit s’assurer du soutien d’un parti politique ou d’une coalition des parties politiques qui ont reçu au moins 5 % du nombre total de votes valides lors de la dernière élection du conseil législatif. Ensuite, le comité de nomination (c’est le système actuel) doit approuver ces candidats qui satisfont aux obligations légales.
  • Désignation de candidat par le comité de nomination qui a été constitué de tous les députes et conseillers de district qui sont élus au suffrage universel direct.
  • Désignation de candidat soit par obtenir le soutien d’au moins 1 % des électeurs inscrits dans les conscriptions électorales, soit s’assurer du soutien au moins du 8 % des membres du comité de nomination qui a été constitué de tous des députes qui sont élus au suffrage universel direct.

La première proposition a été choisie à la majorité. Près de 800 000 personnes y ont participé en votant en ligne ou dans des bureaux de vote. La proposition pour chaque citoyen de Hong Kong de se présenter comme candidat par le public, le comité de nomination et les parties politiques à l’élection du chef de l'exécutif, a été choisie à la majorité.

En août 2014, le comité permanent de l’assemblée populaire nationale (CPAPN) de la RPC décidait que les électeurs n'auraient que le choix parmi une liste de deux ou trois candidats après une sélection par un comité de nomination formé par l'actuel comité électoral (qui est actuellement responsable de « l'élection » du chef de l'exécutif).

Le comité électoral est composé de 1 200 personnes, qui sont des capitalistes pro-chinois, des politiciens... L'actuel chef de l'exécutif, CY Leung, a été « élu » par la clique de ce comité antidémocratique en 2012. Il est l'un des plus purs et durs soutiens de Pékin et est largement considéré comme un membre discret du PCC.

Le 22 septembre, la fédération des étudiants de Hong Kong (FSHK qui est formée par les syndicats de huit instituts d'enseignement supérieur) a appelé à une grève étudiante de cinq jours. Scholarism, un groupe militant de lycéens dont le leader est Joshua Wong, a appelé les lycéens à rejoindre la grève.

Le 26 septembre, ils ont lancé une manifestation afin d'occuper la place «civique» (Civic Square), qui est proche du QG du gouvernement central, après que CY Leung et d'autres dirigeants ont refusé d'accéder à leurs revendications. La police a réprimé le mouvement et arrêté deux dirigeants de FSHK ainsi qu'un de Scholarism, Joshua Wong. Mais de plus en plus de gens les ont rejoints sur la place pour les soutenir. Lorsque les dirigeants clés de FSHK et Scholarism ont été arrêtés par la police, 18 syndicats et ONG de base se sont unis pour former une Alliance de la société civile pour le soutien des étudiants et former un mouvement massif de désobéissance. L’Alliance a travaillé en étroite collaboration avec les étudiants pour gérer les sites occupés pendant la manifestation.

Ce n'est qu'à partir de là que les trois leaders du mouvement ont annoncé le lancement de OC, quelques jours avant ce qui était prévu dans leurs plans à cause de la poussée de l'action de masse. De manière inattendue, ils ont été hués par une partie des manifestants, alors que les protestataires étaient sortis du parc pour demander à la police de relâcher les trois représentants étudiants.

La police a utilisé du gaz au poivre et finalement du gaz lacrymogène pour disperser le rassemblement le 28 septembre. La brutalité policière sur des étudiants pacifiques a initié une vague de colère débouchant sur un mouvement de masse. Des milliers de personnes sont sorties pour soutenir les manifestants mais les routes menant à la place «civique» étaient bouclées par la police. Les protestataires étaient coincés près de l'Amirauté (Admiralty), bloquant les routes et montant, spontanément, des barricades. Les protestations se sont aussi étendues à Mong Kok de Kowloon et Baie de Causeway (Causeway Bay) à l’île de Hong Kong.

Les classes populaires ont été émues par l'esprit de sacrifice que montraient les étudiants pour le futur de Hong Kong. Elles leur ont constamment fourni de l'eau, de la nourriture et autres provisions. Elles ont protégé les étudiants quand des membres de la mafia ou des laquais pro pékin (qui ont certainement été enrôlés par des partisans de CY Leung) ont attaqué les manifestants, harcelé sexuellement certaines femmes, détruit les barricades, les stands et les tentes. La police n'est pas intervenue, elle s'est contentée de regarder.

Le FSHK, Scholarism, Occupy Central, l'Alliance de la société civile et les partis politiques dans le camp pro-démocratie ont essayé de travailler de plus en plus ensemble pendant l’occupation. Des réunions au coup par coup ont eu lieu entre les représentants de cinq partis pour échanger des idées et prendre des décisions. La possibilité de former une alliance plus large pour diriger le mouvement avait été discutée. Cependant, les étudiants ont tendance à être plus radicaux que la génération plus âgée et plus déterminés dans la lutte.

Des tensions sociales et économiques

Selon une enquête menée par deux chercheurs Edmund Cheng et Samson Yuen[3], la plupart des occupants se sont identifiés comme provenant de la classe moyenne inférieure et des classes inférieures. La longue accumulation de mécontentement des habitants de Hong Kong concernant le système socio-économique les a amenés à joindre ou soutenir le mouvement d'occupation, qui visait le gouvernement pro-capitaliste existant et a cherché à changer le statu quo injuste.

Selon un rapport de l'ONU de 2008-2009, Hong Kong est la région qui connaît les plus grandes inégalités économiques entre les riches et les pauvres de tous les pays capitalistes développés depuis une dizaine d'années.[4] Un rapport du Credit Suisse Research Institute de 2010-2011 a montré que 1,2 % de la population détient 53 % du patrimoine de Hong Kong[5]. La plupart d'entre eux sont des magnats de l'immobilier et des oligarques financiers. Le gouvernement de Hong Kong a rarement pris des mesures effectives pour limiter les problèmes de polarisation sociale.

La moitié des sièges du LegCo (le parlement) sont des électeurs désignés plus par leur secteur économique que par le suffrage universel. De manière générale, ces membres du parlement se sont toujours et avec véhémence opposés au suffrage universel. D'un autre côté, ils opposent régulièrement leur veto à tout projet de loi qui pourrait protéger le droit du travail et les gens ordinaires. Ils préfèrent soutenir les projets de loi visant à privatiser les services publics pour l'intérêt des consortiums.

« L'hégémonie des promoteurs immobiliers » est un problème social sensible à Hong Kong. L'énorme oligarchie des promoteurs, qui monopolise le marché immobilier, pratique des prix de vente et des loyers très élevés.[6] Selon le FMI, en 2013, la hausse du prix de l'immobilier à Hong Kong est la seconde du monde.[7] Il est désormais quasiment impossible, pour un jeune couple, d'acheter un petit appartement. Une autre conséquence désastreuse de ces prix démentiels est la spéculation immobilière, qui est principalement due à l'afflux de capitaux de Chine.

Cette oligarchie des promoteurs n'a pas seulement dominé le marché immobilier, elle domine aussi les autres secteurs d’activités, notamment les petits commerces pour les biens domestiques, etc. Les conditions de vie de la classe ouvrière se sont détériorées car leurs bas salaires ne peuvent compenser une inflation galopante. Les petits commerçants ont été expulsés des quartiers à cause de l'envolée des loyers au profit des chaînes de supermarchés, de fast food, etc.

En mars 2012, la grève de 40 jours des dockers, une des plus grandes grèves qu'ait connue Hong Kong ces dernières décennies, appelée par le syndicat des dockers de Hong Kong (affilié à la Confédération des syndicats de Hong Kong), a obtenu un large soutien populaire, avec des actions de solidarité des jeunes. Elle visait à obtenir des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Les grévistes travaillaient pour des filiales de Hutchison Whampoa Ltd qui appartient à l'empire économique de l'homme le plus riche d'Asie, Li Ka-shing (qui est aussi un symbole coupable de l'hégémonie des promoteurs).

Les caractéristiques du mouvement

  • La participation active de la jeune génération

En général, les médias de Hong Kong se référent au mouvement Occupy Central (OC), campagne initiée une année auparavant par les trois figures politiques mentionnées ci-dessus. Même si FSHK et Scholarism avaient rejoint la coalition OC, ils ont organisé leur propre campagne de manière indépendante. Les jeunes étudiants sont la force motrice du mouvement et ils ont fait attention à garder leurs distances vis-à-vis des trois leaders de OC et d'autres courants pan-démocrates. Ils ne font pas confiance aux partis dans les mouvements pan-démocrates traditionnels.

Les jeunes constituent la force motrice du mouvement, la plupart d'entre eux sont nés après 1990. Selon l'enquête par Edmund Cheng et Samson Yuen citée ci-dessus, la plupart des militants de coordination sont des jeunes, plus de 70 % des personnes interrogées sont âgées de 18 à 39 ans, environ 30 % d'entre eux sont des étudiants, près de 60 % sont des employés de bureau, des professionnels et des travailleurs indépendants[8]. Ils sont plus militants et osent s'opposer aux contrôles des manifestations par la police.

Cette jeune forme de militantisme remonte, à peu près, au mouvement de 2010 contre une ligne à grande vitesse pour les TGV entre Hong Kong et Guangzhou néfaste pour l'environnement mais conforme aux intérêts des promoteurs, quand les manifestants ont bloqué le Parlement pour empêcher les partisans du projet de sortir.

  • Marqué par le militantisme, la spontanéité, la décentralisation et l'autonomie

Les médias locaux ont d’ailleurs mal interprété le mouvement OC. Ils l’ont présenté comme conçu par les trois leaders et accepté par la masse. Alors que en réalité, le mouvement est parti de la base et a été récupéré ensuite par les trois leaders, mais ils n’ont pas réussi à prendre le contrôle du mouvement.

Au contraire, un mouvement massif a rapidement jailli des protestations étudiantes après que la police a utilisé des grenades lacrymogènes. C'est une sorte de désobéissance civile, avec des caractéristiques importantes comparées aux précédents grands mouvements sociaux de Hong Kong, basée sur la spontanéité et la décentralisation des méthodes de luttes. Les manifestants ont fait preuve d'une autonomie exceptionnelle dans leurs luttes.

Le mouvement a été surnommé « la révolution des parapluies » par les médias étrangers. Ce n'est clairement pas une révolution, la logique de ce mouvement n’est pas de renverser le gouvernement comme le printemps arabe. Le symbole du parapluie a été une belle coïncidence. À l'origine, les manifestants utilisaient le parapluie pour se protéger tant du soleil que de la pluie, mais ils s'en sont aussi servis pour se protéger des gaz au poivre. Ils ont aussi utilisé des équipements standards comme des lunettes de protection ou des foulards.

C'est donc un mouvement de masse spontané, les manifestants ont fait preuve d'auto-discipline dans les sites occupés, comme le ramassage et le tri des déchets, le nettoyage des rues. Des nombreuses discussions ont eu lieu pour voir comment soutenir financièrement les petits commerçants afin d'obtenir leur appui, particulièrement pour les plus pauvres habitants à Mong Kok qui est un quartier déshérité du centre-ville où vivent beaucoup de gens ordinaires.

  • Une augmentation émergente du sentiment de droite locale

Comme les protestataires ont une autonomie importante, ils s'opposent à la construction d'une estrade et à la formation de piquets par peur d'une récupération du mouvement dans certains quartiers occupés. Malheureusement, la droite locale peut prendre avantage de cette peur de la récupération et distribue déjà des tracts contre les militants de la gauche alternative avec des slogans comme « Méfiez-vous des idiots gauchistes ! ».

L’action des droites locales s’est faite autour du rejet de l’influence croissante des chinois qui suscitent des sentiments négatifs des hong-kongais. Ils prétendent défendre le mode de vie et la culture locale, menacés par l’arrivée massive des continentaux chinois ces dernières années. Cela a aggravé la haine entre la population locale et les continentaux chinois. Les effets négatifs du programme de visite individuelle (IVS - Individual Visit Scheme), qui permet aux chinois du continent de visiter plus librement Hong Kong, ont amené à des conflits entre les habitants de Hong Kong et les continentaux chinois aux habitudes sociales différentes. Les continentaux chinois ont acheté de nombreux biens domestiques, comme des biens pour nourrissons, cela a causé beaucoup de désagréments à la population locale et, début 2013, le gouvernement a finalement restreint les quantités de biens que les voyageurs peuvent ramener. Ce tourisme déformé par l'IVS a entraîné des situations paradoxales ainsi, dans certains quartiers, on compte plus de bijouteries que de boulangeries

La droite locale appelle les continentaux chinois « sauterelles » et attaquent de la même manière les militants de gauche. Certains des plus extrêmes à droite défendent même l'indépendance voire le retour sous le règne de la colonisation britannique. Ils ont réussi à attirer quelques jeunes, désabusés par le gouvernement, dans leurs rangs.

Quelle est la prochaine étape après le mouvement des parapluies ?

Le mouvement des parapluies a pris fin après 79 jours d’occupation. Alex Chow, secrétaire général et leader étudiant de la FSHK, a déclaré aux médias qu'aucune autre occupation ne commencera à court terme, mais a exprimé la nécessité de réfléchir à d'autres types de tactiques de mouvement y compris la grève générale et le boycott de classe après la fin de l’occupation des sites.

Interrogé par les médias lors de la préparation du boycott de classe en Septembre, Alex Chow a déjà mentionné que les grèves sont une tactique possible pour la lutte. Cependant, très peu de gens croient que la grève politique pourrait se produire à Hong Kong. Le 28 septembre, tandis que Chow sort du commissariat de police, la FSHK, la Confédération des Syndicats de Hong Kong (CSHK, Hong Kong Confederation of Trade Unions), le Syndicat des Enseignants Professionnels de Hong Kong (SHKPE, Hong Kong Professional Teachers' Union) et d'autres associations ont appelé à une grève générale. Nous ne pouvons pas savoir combien de travailleurs ont vraiment participé à la grève, mais des milliers de travailleurs sociaux ont participé à des assemblées de grève le 29 septembre. Beaucoup de professeurs d'université ont également rejoint le boycott de classe. Le syndicat général des employés de Swire Beverages (Hong Kong) dont les membres sont les ouvriers, a lancé une grève de deux jours sur ce sujet.

Au cours des trois derniers mois, en marchant à l'intérieur des sites occupés à Hong Kong, on croirait que les gens ne sont pas nécessairement égoïstes comme dans le capitalisme, la démocratie directe et la gestion collective sont possibles. Des milliers de citoyens et les touristes ont été sur les sites occupés pour participer à la protestation ou pour montrer leur soutien. Nous savons que ce moment est de courte durée et il disparaîtra un jour, ainsi les gens chérissent chaque œuvre d'art, création et action altruiste dans les sites occupés. Mais Alex Chow a rappelé que la future stratégie de lutte doit ajouter la grève générale, car l’occupation seule n’est pas suffisante, pas efficace. Nous devons explorer d'autres moyens de lutte pour un changement politique structurel.

Cette expérience à Hong Kong n’est pas unique, Occupy (occuper) est devenu un type plus commun de lutte dans la nouvelle ère. En Amérique, l'Europe, le Moyen-Orient, Taïwan et même en Chine continentale, il y a eu des luttes par l’occupation de l'espace public. Le mouvement Occupy Wall Street en Amérique, ciblant le capitalisme, est le mouvement le plus influent, qui a balayé le monde en 2011, ce mouvement était également parti de la base. En Chine, de nombreuses protestations de travailleurs migrants ont occupé les routes principales au cours des dix dernières années. Au cours des dernières années, les citoyens urbains en Chine ont aussi occupé les routes et bloqué la circulation, ou entouré les ministères dans le mouvement pour la protection de l'environnement.

Sans aucun doute, le mouvement d’occupation dans la nouvelle ère a un sens progressiste. Il vise à briser l'ordre actuel, mais sans utiliser des moyens militaires et entrer ainsi dans une guerre ouverte avec la puissance en place. Le mouvement des parapluies tente de faire pression sur le pouvoir en brisant l'ordre social existant. L'ordre social actuel est de protéger les intérêts des privilégiés, mais en exploitant et en supprimant le reste. C’est une relation de classe injuste. La classe dirigeante cherche à protéger ses intérêts à travers un discours pour convaincre les gens que leurs intérêts (ceux de la classe dirigeante) sont les intérêts publics. À Hong Kong, le discours qui a le plus de succès, profondément enraciné, est la « règle de droit ». Le mouvement des parapluies a dévoilé la nature de classe de la « règle de droit » dans le discours officiel. Vers la fin de l'occupation, le pouvoir a obtenu de la cour suprême l’autorisation de faire évacuer par la force, par la police, les sites occupés. La « règle de droit » ayant été considérée comme une valeur fondamentale de Hong Kong pendant une longue période, mais pour la population les jugements par la cour suprême favorisent la classe dirigeante et protègent ses intérêts et donc aussi l'ordre social actuel.

Bien que le mouvement d'occupation a apporté des perturbations à l'ordre social, ce n’étaient que des perturbations mineures. Le système économique a continué à fonctionner. Le Shanghai-Hong Kong Stock Connect a été lancé pendant le mouvement et les prix des actions à Hong Kong et Shanghai ont été toujours à la hausse au cours du mouvement. Le mouvement pourrait avoir affecté certaines petites et moyennes entreprises. Il a perturbé la circulation des gens et le transport des marchandises, mais ne constitue pas de menace pour les grands groupes d'intérêts de Hong Kong et les magnats du continent. Pendant le mouvement, de nombreux chercheurs et centres de recherche ont effectué des enquêtes et sondages dans les sites occupés. Les résultats montrent que les participants n’étaient pas seulement les étudiants, mais aussi de jeunes travailleurs en col blanc bien formés qui pourraient être étiquetés comme « la classe moyenne inférieure ». Ils travaillaient la journée et allaient sur les sites occupés pour soutenir le mouvement dans la nuit. Incontestablement, ce type d'action ne peut pas perturber l'ordre social dans le domaine de la production.

L'atmosphère et les conditions extérieures à la grève générale le 29 septembre étaient présentes, mais il n'y avait pas à la base une organisation assez puissante pour déclencher la grève générale. L'appel à la grève du SHKPE et CSHK a une signification symbolique car même si le SHKPE et CSHK ont une quantité considérable de membres, leur capacité de mobilisation politique est limitée. Bien que les raisons soient compliquées à expliquer dans cet article, un point clé est que les travailleurs et l'organisation en milieu de travail sont toujours négligés dans les mouvements démocratiques et sociaux.

Les dirigeants du mouvement démocratique dans les trois dernières décennies représentent la classe moyenne, les professionnels et les élites sociales. Ils sont avocats, universitaires, médecins, travailleurs sociaux et ainsi de suite, qui utilisaient leurs connaissances et leurs compétences professionnelles pour essayer de changer la société, mais seulement un petit nombre d'entre eux serait conscient que Hong Kong a besoin de la solidarité de la classe ouvrière pour lutter efficacement pour l’instauration de la démocratie. Sans le soutien de la base ouvrière et d'une organisation sur le lieu de travail, il est difficile de mobiliser même si les dirigeants politiques appellent à une grève.

Les intellectuels et les jeunes étudiants de la Corée du Sud dans les années 1980 avaient choisi une autre stratégie. Après la répression de l’insurrection de la région de Gwangju dans les années 1980, la protestation est entrée dans la clandestinité. Les étudiants ont choisi de travailler dans les grandes usines et ont développé un syndicalisme clandestin basé sur les réseaux de travailleurs.[9] En 1987, avant que le gouvernement militaire utilise le Jeux olympiques pour présenter leurs réalisations économiques, beaucoup d'anciens leaders étudiants ont conduit les travailleurs dans la rue et ont lancé une grève générale. Des centaines de syndicats indépendants et démocratiques ont été établis par la suite. L'année 1987 a construit une base importante pour le mouvement démocratique et le développement socio-économique en Corée du Sud.

Le discours d'Alex Chow est un rappel puissant pour Hong Kong. Si les gens ne veulent pas suivre le chemin de l'ancienne génération, ils doivent envisager d'autres moyens de lutte comme des grèves visant à perturber l'ordre de la production économique, lorsque des occasions se présentent. Pour se préparer à cela, la nouvelle génération de militants doit mettre en place une organisation dans les écoles, sur les lieux de travail, et dans les quartiers à l'avenir. Mais il est encore peu probable que la mise en place d’une organisation de base sera à l'ordre du jour principal des militants prochainement.

En tant que leader étudiant, Chow a proposé une orientation à long terme. En tant qu'organisation, cependant, ni FSHK ni Scholarism n’ont une vision claire sur ce qu'il faut faire dans l'étape suivante. Il est possible que FSHK lance un appel pour un autre mouvement de protestation lorsque le gouvernement déposera le projet de loi de réforme politique fondée sur la décision de CPAPN le 31 Août 2014 pour le Conseil législatif. Mais à ce moment, Alex Chow et d'autres leaders étudiants auront fini leurs mandats. Il est toujours très difficile pour une organisation d'étudiants de mener une lutte politique à long terme car le temps des études est assez court et les leaders changent souvent. Or, une lutte politique de ce genre demande du temps. Les trois leaders d’Occupy Central ne croient plus que la mobilisation à grande échelle soit une bonne solution pour installer la démocratie car le mouvement a totalement échappé à leur contrôle. Les partis politiques pro-démocratiques vont très probablement utiliser leur droit de veto dans le LegCo pour s’opposer au nouveau choix proposé par le gouvernement de Hong Kong pour l’élection du chef de l’exécutif en 2017 sous le cadre de la CPAPN. Selon la Loi fondamentale, le changement du système électoral doit être adopté à la majorité des deux tiers et les démocrates détiennent plus d'un tiers des voix. Certains militants s’apprêtent à être candidats à l'élection des conseils des districts locaux dans la seconde moitié de 2015, les autres continuent de promouvoir l'éducation démocratique dans les communautés de base. Il faut du temps pour observer la réalisation de ces nouvelles initiatives.

Conclusion

Pour résumer, ce mouvement a des dimensions sociales et économiques. La signification est que des jeunes se révoltent contre les injustices sociales, comme l'hégémonie des promoteurs, les inégalités sociales et la main mise du capital de la Chine (ils pensent que tous ces problèmes sont liés à un système non démocratique). Ils ne peuvent pas imaginer leur futur dans une telle société.

Néanmoins, la seule spontanéité du mouvement ne peut pas le faire avancer. La stratégie et l'organisation doivent être prises en compte quand les manifestants affrontent un appareil d’État aussi puissant (soutenu par le PCC), et il est indispensable d'obtenir le soutien de la classe ouvrière. Pendant ce temps, la droite locale cherche toujours à opposer les habitants de Hong Kong aux continentaux chinois pendant que les médias pro-Pékin labellisent ce mouvement comme étant « sous influence étrangère ».

Le PCC est certainement heureux de voir ce mouvement se transformer en campagne contre les continentaux chinois. Donc il est nécessaire pour la gauche radicale locale (étudiants, syndicats...) de prendre la direction du mouvement et de se lier aux chinois du continent pour soutenir ce mouvement.

Le mouvement apporte une expérience importante aux gens en les libérant du poids du « respect de la loi » et en leur donnant des opportunités de s'enrichir politiquement au travers des nombreux forums et réunions. Quelque soit le résultat final, ces jeunes pacifiques et astucieux ont gagné le soutien de la majorité du peuple de Hong Kong. Ce qui est sûr, c'est qu'à l'avenir il y aura une fantastique force de résistance à la classe dirigeante de Hong Kong (les capitalistes pro-Pékin et les oligarques) ainsi qu'au PCC.

 

[1] So, A. (1999) Hong Kong’s Embattled Democracy. Baltimore, Maryland: The Johns Hopkins University Press.

[2] Ma, N. (2007) Political Development in Hong Kong: State, Political Society and Civil Society in Hong Kong. Hong Kong: Hong Kong University Press.

[3] Ces chiffres sont extraits d’un article en Chinois dans la revue mensuelle de Hong Kong 《21世紀評論》« XXIe siècle », févr. 2015, n° 147.

[6] Poon, A. (2011) Land and the Ruling Class in Hong Kong. Singapore : Enrich Professional Pub.

[8] Ce sondage a ses limites car il a été fait seulement dans le site occupé de l'Amirauté.

[9] Koo, H. (2001) Korean Workers: the Culture and Politics of Class Formation. Ithaca, N.Y.: Cornell University Press.

 


Article écrit par Vincent C.T. Sung et Chris K.C. Chan.

Article paru dans le numéro 175 d’Alternatives non-violentes.