Le cambriolage, un des beaux-arts de la non-violence ?

Auteur

Guillaume Gamblin

Localisation

Suisse

Année de publication

2016

Cet article est paru dans
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Cambrioler, une forme d'action non-violente ? Il y a une bonne dose de provocation dans cette question, tant le cambriolage est associé à l'univers du crime organisé et de la délinquance, un monde de violence et d'armes à feu. L'histoire témoigne bien des cambriolages sociaux de quelques groupes anarchistes mais on n'était pas dans la non-violence pour autant. C'est pourtant ce qu'affirme avoir pratiqué Chaïm Nissim durant plusieurs années, en Suisse, dans son livre-testament publié en 2015, Les chemins de la liberté.

C'était déjà animé d'intentions non-violentes qu'il s'était rendu célèbre en 1982 pour avoir tiré avec un bazooka sur le chantier du réacteur nucléaire de Malville, afin de prouver sa vulnérabilité à une attaque terroriste. Action assez cafouilleuse et qui avait obligé son groupe à rentrer en lien avec des vendeurs d'armes peu recommandables...

Faire tomber des marchands d'armes

Depuis, le militant assurait s'être « retiré », étant devenu père de famille et élu au Grand Conseil (parlement genevois). Cependant il révèle aujourd'hui que parallèlement, il n'a jamais cessé de pratiquer l'action illégale. Avec un groupe de camarades objecteurs de conscience, ils ont organisé de nombreux cambriolages chez des marchands d'armes. Le but était de récupérer des documents compromettants et de les divulguer ensuite. Afin de permettre l'inculpation par la justice de ces « profiteurs de guerre », ou au moins de les affaiblir en leur faisant perdre des contrats d'armement. Une fois les documents emportés en l'absence du propriétaire du logement, il leur fallait les analyser longuement, avant de publier leurs révélations dans un journal anonyme distribué gratuitement à Genève et intitulé... Le Ramoneur !

Chaïm Nissim raconte également, anecdotes à l'appui, comment se déroulait la préparation des cambriolages : « En moyenne, nous passions six mois dans l'intimité d'un marchand d'armes. Six mois à le suivre, à épier ses conversations téléphoniques, à lire son courrier avant lui ».

Pourquoi choisir ce mode d'action ? « Il nous fallait une action concrète, directe, non-violente et efficace ».

Une action non-violente ?

Non-violente ? « L'un des graves problèmes de la clandestinité, admet-il, c'est qu'elle ne peut être démocratique. Elle échappe au débat démocratique, elle isole ses membres, elle les rend fous, ce qui fait que souvent, ils recourent à la violence ». Le contraire, en somme, de ce à quoi tend justement une action non-violente : démocratie dans sa réalisation, action inclusive, tissage de liens et d'alliances, refus du mensonge...

Parmi les motivations de ces actions, Nissim reconnaît également l'attrait du risque, l'euphorie de l'action clandestine, la montée d'adrénaline qui vient donner de la densité à l'existence. Les résultats obtenus sont intéressants : un marchand d'armes emprisonné, les contrats d'un autre ruinés, etc. Une campagne politique contre le commerce des armes aurait-elle été moins efficace ? Inutile de préciser que ces cambriolages sont pratiqués sans armes et sans usage de violence. Mais que se serait-il passé si par erreur une rencontre malencontreuse avait eu lieu ?

Nissim revendique explicitement l’influence sur lui de Gandhi, Luther King et... Mandela. Nul doute donc que ces cambriolages de marchands d'armes ont été réalisés dans une visée pacifiste, sans violence, avec une inspiration non-violente. De là à en faire des actions non-violentes, il y a un pas que nous ne pouvons franchir !

Pour aller plus loin:


Article écrit par Guillaume Gamblin.

Article paru dans le numéro 178 d’Alternatives non-violentes.