Olivier Berland a participé bénévolement, en tant que pilote de « zodiacs » pour Greenpeace (GP), à une opération Search And Rescue de sauvetage en mer des migrants, co-organisée par Médecins Sans Frontières (MSF), et GP en décembre 2015. Ci-dessous, son récit.
Lesvos1, la douche froide des réfugiés
Olivier Berland2 a participé bénévolement, en tant que pilote de « zodiacs » pour Greenpeace (GP), à une opération Search And Rescue de sauvetage en mer des migrants, co-organisée par Médecins Sans Frontières (MSF), et GP en décembre 2015. Ci-dessous, son récit.
Décembre 2015, court message de GP sur ma boite mail : « On cherche des boat-drivers pour une mission conjointe MSF-GP, d’assistance aux réfugiés en Grèce. Durée mini, 2 semaines » … Janvier 2016, me voilà à Lesbos, grande île grecque enchâssée dans la côte ouest turque et bien loin d’Athènes, à 12 heures de ferry. De par les voies terrestres fermées, c’est devenu un des chemins de souffrances pour les migrants, des plus « prisés » pour entrer en Europe. C’est aussi un très juteux filon pour les passeurs : 1000 € la traversée, alors qu’avec des papiers, sur un ferry c’est 20 €.
Imaginez-vous n’ayant jamais navigué, serré à 70 personnes sur un bateau gonflable de contrebande de 10 mètres, avec au mieux un faux gilet de sauvetage qui ne vous sauvera pas, mais ça vous ne le savez pas. Il fait froid, il y a de « la mer », vous prenez l’eau, le barreur ne sait pas manipuler le petit moteur hors-bord, qui parfois cale. Les femmes et enfants ont été regroupés au milieu sur le plancher du bateau. Ils baignent dans 30 cm d’eau. Les gardecôtes turcs ont cerclé à pleine vitesse avec leur gros bateau autour de vous, faisant monter très haut le stress de vos co-passagers.
Vous voyez ce gamin qui commence à être tout bleu et cette dame allongée de tout son long dans l’eau. Mais personne ne peut tenter quelque chose dans ce satané enfer, ça bouge, on est trop serré, cela fait au moins trois heures que l’on avance doucement sur l’eau menaçante. Vous avez froid, faim, peur, et êtes extrêmement fatigué, résigné.
Un petit bateau d’apparence militaire s’approche rapidement. Remontée de stress. Il reste à distance. Une personne de son bord parle en arabe, demandant si « tout va bien ? ». Ils expliquent qu’ils sont là pour aider, que c’est MSF et GP, qu’ils vont vous guider vers la côte et qu’a terre, nourriture et vêtements secs nous attendent. Ils ne peuvent pas nous embarquer à leur bord, car les autorités grecques ne le tolèrent pas. Un de vos compagnon d’infortune finit par dire « un enfant est bleu et une femme ne bouge plus ! ». Le bateau les récupère et s’éloigne vers la côte, laissant un autre bateau nous guider. Vous arrivez sur une plage. Les gens vous attendent, vous aident. Vous bénissez le ciel de ne pas avoir sombré comme nombre d’autres avant. Et vous apprenez aussi que l’enfant et la femme sont morts… de froid. MSF mène des missions humanitaires d’urgence auprès des réfugiés, efficaces, avec une logistique, des process et des équipes très rodés. Mais MSF méconnaît la mer, c’est pourquoi il a été fait appel à GP. Ces deux semaines m’ont profondément remué, d’avoir croisé autant de destins terribles, d’avoir touché concrètement la conséquence morbide, sans âme, ignoble, de la froide machine géopolitique internationale. J’y repense souvent…@olivberland
1. Lesbos en français
2. Militant écologiste, indigné par la marche du monde