Auteur

Txetx Etcheverry

Localisation

France

Année de publication

2017

Cet article est paru dans
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Txetx (prononcez « Tchètche ») n’est pas un homme de l’ombre, loin s’en faut ! Mais il a la modestie de ceux qui savent ce qu’ils doivent à l’autre, aux autres.

Comment, né Jean-Noël Etcheverry au mitan des années soixante, devient-il Txetx, co-fondateur du mouvement Bizi ! (Vivre !) et d’Alternatiba ? Comment passe-t-il de la nécessaire clandestinité du mouvement séparatiste basque à la non moins nécessaire transparence du 8 avril 2017, jour J du désarmement de l’ETA ?

C’est ce qu’il a accepté de nous confier de sa voix chaude et rocailleuse lors d’un long entretien.

ANV. Nous ne pouvons pas commencer cette interview sans que tu nous rappelles ton cheminement...
 

TXETX. J’ai commencé à militer quand j’étais adolescent. Je viens de la campagne basque et ne suis pas issu d’un milieu militant ; mes parents étaient de droite. Assez jeune, j’ai pris conscience de l’injustice du monde, en particulier de la situation du Tiers monde. J’ai compris que les gens ne crevaient pas de faim parce qu’il faisait chaud dans leur pays mais que c’était dû à un échange non équitable, à la colonisation, au capitalisme. À la même époque, je rentre dans le mouvement basque Abertzale que vous appelez « nationaliste » mais que je n’ai jamais vécu comme ça ! Le mot français « nationaliste » sonne très mal à mes oreilles, il semble vouloir privilégier sa nation par rapport aux autres. Nous préférons le traduire par Arbasoen Herriaren Zainzaleak, c’est-à-dire « les gardiens du pays des ancêtres ». Cette définition, étymologique, est belle parce qu’effectivement elle fait apparaître le devoir de transmettre ce qu’on a reçu aux générations à venir.

L’abertzalisme affirme le côté souveraineté locale, alimentaire, énergétique, la relocalisation en même temps que la reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique du monde. C’est en agissant à petite échelle qu’on fait les choses les plus solides.

Dans les territoires où il y a une identité collective forte, les gens se disent qu’ils veulent y vivre en tant que citoyens du monde, mais pas en tant que « nomades » qui n’en auraient rien à faire de là où ils habitent. Les gens veulent préserver l’endroit où ils vivent. Cette attitude entraîne des comportements différents à l’échelle d’un territoire, mais également d’un quartier. Ce sentiment d’appartenance et l’identité de communauté, très dénigrés aujourd’hui en France, n’induisent pas du tout des sentiments de repli sur soi mais peuvent au contraire induire des sentiments d’intégration, de solidarité et de défense du collectif face à un système qui veut uniformiser et individualiser. Tout dépend ce qui anime ce sentiment d’appartenance et d’identité. Ne laissons pas ce terrain à l’extrême-droite qui le fait dévier vers des phénomènes nationalistes xénophobes. Si ce sont les progressistes qui l’animent, cela va dans la direction inverse, vers plus de solidarité et de paix. Comment permettre que demain les flics traitent avec beaucoup plus de respect et avec beaucoup plus de normalité les jeunes des banlieues ? Est-ce aller leur péter la gueule? Ou est-ce aller organiser les jeunes des banlieues, y faire des actions non-violentes qui auront le soutien des masses, soutenir des recours juridiques, équiper tout le monde de caméras et aligner de plus en plus de situations scandaleuses tout en ayant l’opinion avec soi parce que, justement, on est irréprochable par rapport aux tentatives de criminalisation ou de marginalisation des pouvoirs publics ? On peut faire reculer les plus puissants par la non-violence, je le constate tous les jours.

 

ANV. Tu es devenu un stratège reconnu de l’action non-violente, comment cela s’est-il construit ?


TXETX. C’est un processus progressif et collectif. Quand j’étais jeune, on ne se posait pas de questions entre violence et non-violence! Tout jeune militant basque était pour la lutte armée. J’ai commencé à batailler dans la fin des années 70. L’ETA bénéficiait d’une lé- gitimité énorme, c’était l’organisation qui avait résisté au franquisme, qui avait flingué l’amiral Carrero Blanco, successeur désigné du dictateur Franco, qui avait empêché l’implantation de la centrale nucléaire de Lémoiz. C’était une stratégie qui nous semblait effi- cace et légitime, elle avait un soutien populaire très important. Le débat n’était pas violents/non-violents mais de quelle organisation armée tu étais le plus proche.

La maturation de l’idée non-violente a été très longue.Tout un groupe de gens s’est petit à petit convaincu que la lutte violente était une impasse stratégique. Elle peut gagner des batailles tactiques à court terme, comme la lutte contre la centrale nucléaire de Lémoiz qui a coûté 11 morts mais qui n’a jamais démarré alors qu’elle était entièrement construite ! Tout cela donnait une impression que la lutte armée est gagnante, que la complémentarité des tactiques violentes et non-vio- lentes serait efficace. L’opération « César » à Notre-Dame-des-Landes a récemment donné la même impres- sion à certains. L’enseignement que nous avons tiré au Pays basque, c’est qu’avec la lutte armée, on a pu gagner des batailles tactiques, surtout dans le contexte de la dictature franquiste ou du climat quasi insurrectionnel de la période post-franquiste, mais cette même stratégie violente s’arrête 30 ans plus tard sans avoir atteint ses objectifs stratégiques et avec des centaines de prisonniers politiques basques incarcérés pour très longtemps. Et la dynamique souverainiste est à son sommet... en Catalogne, qui elle n’a pas emprunté la voie de la lutte armée.

Dans la fin des années 90, à l’occasion du processus dit de LizarraGarazi issu d’une trêve unilatérale de l’organisation armée ETA qui aura duré 16 mois, des stratégies civiles non-violentes se sont mises en place à large échelle. Par exemple est née une assemblée de toutes les mairies et élus abertzales, véritable institution parallèle. Sont nés aussi les premiers mouvements importants de désobéissance civile comme les Demo en Pays basque Nord. En 16 mois, nous avons assisté à une véritable explosion sociale de la revendication basque, ce qui nous a confortés dans la stratégie non-violente. Quand ETA a rompu sa trêve, nous avons pensé que c’était une erreur stratégique et nous avons plus que jamais appuyé les voies non-violentes. Pendant des années se sont côtoyées deux stratégies, la stratégie armée qui s’est terminée dans une impasse complète et la stratégie non-violente qui a permis par exemple de gagner la bataille sur la Chambre d’agriculture alternative du côté Nord. La stratégie non-violente s’est imposée petit à petit comme la stratégie gagnante.

La lutte armée posait d’autres problèmes que celui de son efficacité, au-delà de l’aspect moral et du coût humain : par exemple, elle limite forcément le fonctionnement démocratique du mouvement social qui la porte. La lutte armée impose de cacher un certain nombre de données importantes, ne serait-ce que par mesure de sécurité. Une poignée de dirigeants possède alors des clés stratégiques dont ne peut pas disposer la base. Un autre problème, c’est la culture politique que la lutte armée va peu à peu produire chez les gens. J’ai vu la mentalité changer entre les générations qui avaient porté la lutte armée dès ses débuts, et au bout d’années et d’années, quand le conflit s’enkyste, quand tu baignes dans cette violence tout le temps, l’esprit des nouvelles générations se militarise. D’un mouvement populaire, fortement ancré dans les luttes sociales, ayant les réflexes d’humour, de vie, de créativité, d’impertinence, tu arrives à des mouvements militarisés qui cultivent d’autres choses bien moins agréables. Plus qu’ailleurs, la tendance est au « Tu me critiques, tu fais le jeu de l’ennemi ». Cela devient alors très difficile de dire qu’on se plante, que la stratégie violente n’est pas la bonne...

 

ANV. Tu te dis non-violent radicalo-pragmatique... Ça veut dire quoi pour toi ? 

TXETX. Être radical est relativement facile, c’est à la portée de tout le monde. Détester la police, faire un cocktail Molotov, avoir un discours pur, ultra-radical, c’est vite fait ; mais n’est pas radical celui qui le dit... La véritable radicalité, consiste à mettre en place des stratégies et des tactiques qui affaiblissent le système, qui permettent de le transformer réellement, qui changent le rapport de force entre la population et l’État, qui changent les niveaux de conscience de la population, sa capacité d’auto-organisation. Pour moi, il y a alors du radicalisme parce que ça change la situation à ses racines, en profondeur, et qu’elle te met dans une position de rapport de force où tu peux commencer à demander des choses encore plus ambitieuses. C’est facile de traiter l’autre de « réformiste de service », moi je suis pragmatique, je juge donc aux actes et aux résultats concrets sur des stratégies développées sur dix ou quinze ans.


Article écrit par Txetx Etcheverry.

Article paru dans le numéro 184 d’Alternatives non-violentes.