Portrait : Lanza del Vasto et la non-violence

Auteur

Alain Refalo

Année de publication

2021

Cet article est paru dans
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Lanza del Vasto (1901–1981) est une personnalité marquante de l’histoire de la non-violence en France, par son engagement et sa pensée. Il a consacré beaucoup de temps et de pages à définir la non-violence, à préciser ce qu’elle n’est pas et ce qu’elle est, dans une vi- sion à la fois gandhienne et chrétienne. Cet article présente les principales fa- cettes de la non-violence que le fonda- teur de la Communauté de l’Arche a développées dans ses nombreux écrits.

Dans Le Pèlerinage aux sources (1943), Lanza del Vasto expose la vision de la non-violence de son maître, Gandhi, qu’il a rencontré en Inde en 1937. Celui que le libérateur de l’Inde surnomma Shantidas (serviteur de paix) témoigne que l’ahimsa (Gandhi la traduira par « non-violence ») est à la fois « une bienveillance émerveillée à l’égard de tout ce qui vit » et « une arme de com- bat » pour la justice. « Comme méthode révolutionnaire, écrit-il, l’ahimsa est une révélation presque sans précédent, l’événement le plus singulier qu’ait connu notre époque troublée et pleine d’aventures inouïes »1. Plus tard, il écrira que la non-violence est « la découverte du siècle »2.

Récusant l’expression « résistance passive » qui colle encore à cette époque à l’image du combat de Gandhi, il présente son action comme une « résistance non-violente plus active que la résistance violente ». « La résistance non-violente, écrit-il, demande plus d’intrépidité, plus d’esprit de sacrifice, plus de discipline, plus d’espérance. Elle agit sur le plan des réalités tangibles et agit sur le plan de la conscience. Elle opère une trans- formation profonde de ceux qui la pratiquent et parfois une conversion surprenante de ceux contre lesquels on l’exerce »3. Cette première définition contient déjà toutes les déclinaisons de la non-violence que Lanza del Vasto développera par la suite.

Une lutte active

Lanza del Vasto, dans ses écrits, n’aura de cesse d’insister sur le caractère actif de la non-violence, tout en précisant ce qu’elle n’est pas : « impuissance, iner- tie, résignation à la fatalité, acceptation de l’injustice, concession, accommodement, complicité du silence »4. La non-violence n’est pas un état de paix, mais se situe sur le registre de la lutte.

La non-violence, écrit-il dans Vinôbâ ou le nouveau Pèlerinage (1954), « est un refus actif qui se manifeste dans l’engagement »5. Elle est à l’opposé de « la paresse, l’indifférence et la neutralité ». La non-violence ne s’exprime que dans le conflit, là où elle peut être véritablement éprouvée.

C’est pourquoi il réaffirme, après Gandhi, que la non-violence implique un certain courage. Faire le choix de la non-violence, c’est s’exposer aux autres, aux violents, sans reculer, sans se taire, sans faiblir. Très souvent, Lanza del Vasto utilise des termes peu courants dans le langage « spirituel ». Ainsi, dans son introduction au livre Gandhi et Marx (1957), il souligne le caractère actif et offensif de la non-violence en précisant qu’elle « attaque » et qu’elle « riposte ». « La non-violence, écrit-il, défend sa cause avec une implacable ténacité, avec un calme provocant, et parfois elle attaque. [...] Elle riposte au mensonge par l’inlassable et précis rétablissement de la vérité, elle riposte aux manoeuvres par la simplicité et la droiture [...] »6

Une force de justice

La justice « est la substance de toutes les vertus », nous dit Lanza del Vasto dans Les quatre fléaux (1959), car « toute vertu sans justice, l’amour sans justice, le courage sans justice deviennent des aberrations et des défauts »7. La justice est toujours un combat, jamais un état permanent et définitif. C’est pourquoi « notre premier devoir est d’observer la justice, et notre second devoir de ne pas tolérer qu’on la viole ». Dans la lignée de Gandhi, Lanza del Vasto considère que lorsque la justice est violée, c’est un devoir de désobéir ouvertement aux lois injustes. C’est pourquoi la justice a besoin d’une force juste qui est la force de la non-violence. « La force de la justice, affirme-t-il, telle est la définition correcte de la non-violence »8. Cette force a le pouvoir d’absorber la violence adverse. « À toute force du mal, la non-violence oppose non une force de même nature, mais une force de nature op- posée et qui la compense »9.

Il est intéressant de souligner que Lanza del Vasto distingue la non-vio-lence de l’amour (sentiment), une distinction que Gandhi n’a pas toujours clairement faite selon lui. « Pour éviter la confusion de la non-violence avec l’amour, écrit-il, il suffit de considérer que l’amour implique la violence presque aussi sûrement que l’implique son contraire la haine, car ce sont les pôles alternatifs d’un même sentiment »10. Il précise : « On ne peut donc pas rattacher la non-violence à l’amour, [...] elle n’est pas de la même nature, si tant est qu’elle appartienne à la Nature. La non-violence ressortit à quelque chose qui presque toujours s’oppose à l’amour : la justice et le respect. Et c’est pourquoi ses maximes et ses lois dépendent de l’honneur et de la morale héroïque »11.

Une force de conversion

La vision de la non-violence de Lanza del Vasto est fortement imprégnée de références spirituelles. À plusieurs re- prises, il souligne que la non-violence a la capacité de toucher la conscience de l’adversaire, voire de le convertir.

« La non-violence est à l’extrême contraire de la fourberie; c’est un acte de confiance en l’homme et de foi en Dieu, c’est un témoignage de la vérité jusqu’à la conversion de l’ennemi. Elle tend non à exterminer l’ennemi, mais à éveiller sa conscience. Non à le tourner en fuite, mais à le mettre en face de lui-même. Non à le réduire à merci, mais à le livrer à son propre jugement »12. L’action non-violente à laquelle adhère Lanza del Vasto a pour objectif de convaincre l’adversaire avant de le contraindre.

Mais la non-violence a également pour effet de convertir celle ou celui qui la met en oeuvre. Il reprend à son compte la définition d’Aldo Capitini, le fondateur du mouvement non-violent italien dans les années soixante : « La non-violence est une manière de faire qui découle d’une manière d’être ». Cette vision permet à Lanza del Vasto d’énoncer les condi- tions d’une révolution non-violente : « On ne peut user de non-violence avec succès sans être non-violent. Mais par nature nous sommes tous violents ou lâches ou bien violents et lâches. Tout acte non-violent est donc au premier chef un travail sur nous-mêmes, et tout succès de la non-violence est la preuve tangible d’une transformation intérieure. Une révolution non-vio- lente ne peut donc changer l’ordre des choses, sans changer en même temps les hommes ; la seule, donc, qui ne soit pas décevante et fallacieuse »13. Selon Lanza del Vasto, dimension spirituelle et dimension politique de la non-vio- lence sont intimement liées et conditionnent son efficacité. Autrement dit, le combat non-violent, pour être efficace, doit être mené par des personnes ayant non seulement fait le choix stra- tégigue et tactique de la non-violence, mais qui entreprennent un processus de transformation intérieure.

Engagé lui-même dans de nombreuses actions non-violentes collectives avec la communauté de l’Arche, il croit en la « puissance » de la non-vio- lence. Il affirme que la non-violence n’est pas une idée, ni une théorie, mais une réalité. Pour en parler, il faut agir par la non-violence. Ainsi, les commu- nautés de l’Arche seront des lieux d’expérimentation de la non-violence dans tous les aspects de la vie quotidienne, tout en étant des ferments d’action non-violente sur le terrain social et politique. À l’opposé de toute utopie ou de tout rêve inaccessible, Lanza del Vasto nous laisse ce message toujours actuel : « La non-violence est bien une puissance démontrable et désormais illustrée par l'Histoire".14

 

1. Le Pèlerinage aux sources, Folio, 2004, p. 153. 2. Les Quatre fléaux, Denoël, 1959, p. 293.
3. Le Pèlérinage aux sources, op. cit, p. 155.
4. Gandhi et Marx, Denoël, coll. « Pensée gandhienne », 1957, p. 40.
5. Vinoba ou le nouveau pélerinage, Denoël, 1968, p. 68.
6. Gandhi et Marx, op. cit., p.40.
7. Les quatre fléaux, op. cit., p. 314.
8. Ibid, p. 313.
9. Gandhi et Marx, op. cit., p. 41.
10.Les Quatre Fléaux, op. cit., p. 324.
11. Ibid, p. 325.
12. Vinoba ou le nouveau pélerinage, op. cit., p. 69. 13. Gandhi et Marx, op. cit., p. 40.
14.Ibid, p. 41.

 

LANZA DEL VASTO EN QUELQUES DATES

1901 : naissance à San Vito (Italie)
1937 : rencontre avec Gandhi en Inde 1943 : Le Pèlerinage aux sources
1948 : mariage, fondation de la première communauté de l’Arche
1954 : rencontre avec Vinôbâ, disciple de Gandhi
1957 : jeûne de 20 jours contre la torture en Algérie. Appel à la conscience des Français
1958 : action non-violente devant l’usine atomique de Marcoule
1959 : Les Quatre Fléaux
1963 : jeûne de 40 jours à Rome lors du Concile
1971 : Technique de la non-violence 1972 : jeûne de 15 jours sur le Larzac 1976 : jeûne d’une semaine à Malville contre la répression de la manifestation anti-nucléaire
1981 : décès à l’âge de 80 ans en Espagne.


Article écrit par Alain Refalo.

Article paru dans le numéro 201 d’Alternatives non-violentes.