Violence et non-violence au sujet du cannabis

Auteur

François Vaillant

Année de publication

2021

Cet article est paru dans
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Une légalisation du cannabis serait-elle une réponse non-violente adéquate pour contrer la violence institutionnelle occasionnée par le cannabis illicite ?

Les drogues, un sujet difficile à aborder

Une légalisation du cannabis serait-elle en mesure de réduire, voire de supprimer les violences liées à son actuel marché au noir ? Ses phénomènes violents sont systémiques, comme la peur, l’insécurité, l’omerta contrainte des habitants vivant à proximité des points de deal, le décrochage scolaire des petits dealers, « la guerre » menée par la police contre les usagers et les trafiquants, l’incroyable économie parallèle avec son blanchiment d’argent sale, etc.

L’actuelle prohibition du cannabis remonte à une loi de 1970. Ne serait-ce pas cette loi et son application qu’il faut accuser de violence institutionnelle, tant en découlent les phénomènes violents systémiques relatifs au marché au noir du cannabis ? Les partisans d’une légalisation du cannabis prétendent qu’une loi permettrait de contrer cette violence institutionnelle et ses effets pervers. Qui ne souhaite pas une société apaisée, moins policée, avec des tribunaux moins engorgés ? Au regard de la non-violence, ce ne serait pas la première fois qu’une loi susciterait un horizon sociétal plus juste, plus apaisant. Par exemple, dans les années 1960 aux États-Unis, c’est bien un changement de loi qui a permis la reconnaissance des droits civiques des Noirs-Américains, avec Martin Luther King. Le marché au noir du cannabis représente en France aux alentours de 90 % de la circulation de drogues illicites. Un récent sondage Ifop nous apprend par ailleurs que 62 % des Français estiment que la vente de cannabis sous le contrôle de l’État serait plus efficace que l’interdiction pour lutter contre son trafic1.

Quelques données

La loi du 31 décembre 1970 et le Code de la santé publique qui s’y adosse prévoient que :

  • tout consommateur de stupéfiants s’expose à une peine d’un an d’emprisonnement et à une amende de 375 € ;
  • tout vendeur de stupéfiants risque cinq ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 € ;
  • si le vendeur de stupéfiant est pris en flagrant délit aux abords d’un établissement scolaire, il risque sept ans de prison et une amende de 100 000 € ;
  • les gros trafiquants encourent des peines considérablement plus lourdes que les précédentes.

Cannabis, héroïne, cocaïne et autres drogues illicites, toutes sont également visées par la loi de 1970. Peu importe qu’elles ne procurent pas les mêmes effets psychotropes, qu’elles ne fassent pas courir les mêmes risques sanitaires et de surdose (overdose en anglais). Mais de quoi parlons-nous ?

Le cannabis, communément appelé chanvre, appartient comme le houblon à la famille des cannabaceae. Il existe plusieurs dizaines de variétés de cannabis. Il se consomme le plus souvent en herbe ou en résine associée à du tabac. Le cannabis est recherché pour un usage récréatif mais aussi parfois dans un but médical : il allège des douleurs neuropathiques, celles de la fibrose hépatique, de l’épilepsie, de la sclérose en plaques, de certains cancers… La consommation de cannabis provoque une sensation de détente, de bien-être, une modification des perceptions et parfois de l’euphorie. Le cannabis altère la vigilance durant quelques heures. Il est fortement déconseillé chez les jeunes car il peut affecter durablement la mémoire et la concentration, et accentuer dans certains cas des comportements psychotiques. Plus de 70 % du cannabis consommé en France provient du

Maroc, par route ou par mer. Du cannabis est caché dans les conteneurs des ferries qui arrivent au port de Marseille. Il passe ensuite de main en main pour se retrouver dans les 4 000 points de vente illégaux connus du ministère de l’Intérieur1.

Qu’on l’appelle shit, marijuana, beuh, joint ou pétard, c’est toujours un produit fabriqué à partir de la même plante, le cannabis. Le cannabis peut provoquer une dépendance mais pas de décès par surdose. Il y a en France 5 millions de consommateurs de cannabis, 1,4 million en prend chaque jour. L’un des problèmes sanitaires majeurs avec le cannabis du marché au noir est que lorsqu’une barrette de shit est vendue dix euros à un consommateur, le produit a été souvent coupé et recoupé avec du cirage, de la poudre de pneu, de l’huile de vidange…

L’héroïne provient à plus de 85 % du pavot cultivé depuis des décennies par les talibans afghans qui le transforment en poudre blanche. L’héroïne — comme l’opium et la morphine également dérivés du pavot —, fait oublier la douleur physique et psychique, réduit l’anxiété, mais elle comporte un risque fort de dépendance et de surdose. L’héroïne se renifle ou s’injecte par voie intraveineuse. Il y a autour de 100 000 usagers réguliers d’héroïne.

La cocaïne est extraite des feuilles de l’arbuste Erythroxylum (coca) qui pousse sur les pentes des Andes, en Amérique du Sud. La coca vient en grande partie de Colombie et de Bolivie où elle est transformée en cocaïne : c’est une poudre blanche cristalline, que l’on renifle ou que l’on s’injecte par voie intraveineuse.

La prise de cocaïne a pour effet immédiat une excitation, parfois euphorisante qui donne la sensation d’avoir plus de confiance en soi. Une prise élevée de cocaïne peut provoquer des crises de panique, un comportement excentrique et parfois violent. La dépendance à la cocaïne est rapide. Elle fait monter la tension artérielle, peut causer l’éclatement des vaisseaux sanguins dans le cerveau, provoquant des convulsions et une défaillance cardiaque. On peut en mourir par surdose. Il y a autour de 250 000 usagers réguliers de cocaïne.

L’ectazy est également une drogue illicite. Comme les autres amphétamines, l’ectazy se présente le plus souvent sous forme de comprimé. Il est fabriqué à partir de substances de synthèse dans des laboratoires clandestins. L’ecstasy est un stimulant qui procure un débordement d’énergie et de confiance en soi. Il accélère la respiration et le rythme cardiaque, élève la tension artérielle. L’ectazy peut être recherché lors de rave-parties1 pour éprouver, en accord avec la musique, des sensations de bien-être et de sociabilité. Il existe peu de preuves d’une dépendance à l’ectasy. Environ 400 000 personnes consomment au moins une fois par an de l’ectasy.

Ce bref panorama des drogues mériterait d’être complété par bien d’autres produits, comme par exemple le LSD et le crack. On renvoie pour cela le lecteur aux travaux de l’OFDT, disponibles sur la Toile.

Le tabac et l'alcool sont également des drogues

Le cannabis est prohibé alors que l’alcool et le tabac sont autorisés. Le tabac et l’alcool sont des drogues licites, mais combien plus dévastatrices sur les plans sanitaire et social que toutes les autres drogues. Chaque année dans notre pays, alors que le cannabis ne suscite aucun décès direct, les autres drogues illicites occasionnent 600 décès par surdose, l’usage du tabac 70 000 décès prématurés et l’alcool 40 000 !

Il faudrait connaître le coût pour l’Assurance maladie de la consommation de chacune des drogues, licites et illicites. Une telle étude scientifique n’existe pas, pas plus que la mesure du nombre de violences sociales, notamment conjugales, où entre en ligne de compte l’emprise de telle ou telle drogue. Nous serions probablement ahuris des résultats concernant d’une part l’alcool et le tabac, d’autre part le cannabis et chacune des autres drogues.

Qu'apporterait une légalisation du canabis ?

La culture en France, la fabrication et la vente du cannabis, devenues licites, seraient contrôlées par l’État, comme l’est par exemple déjà le tabac. Puisque le prix du cannabis en magasin serait plus bas qu’au marché noir, les trafics s’assécheraient progressivement faute d’acheteurs. Les consommateurs auraient l’assurance de se procurer en magasin un produit de bonne qualité, non frelaté. Que deviendraient alors les dizaines de milliers de personnes qui vivent actuellement du marché illicite du cannabis ? Il pourrait leur être proposé d’être accompagnés pour travailler légalement dans la culture, la fabrication et la vente du cannabis. Le Colorado, par exemple, a réussi ce pari d’accompagnement social ? Pourquoi pas la France ? Une légalisation du cannabis rapporterait 2 milliards de recettes fiscales, si le gramme de cannabis était vendu 9 euros en boutique (selon le rapport du 20 juin 2019 du Conseil d’analyse économique, groupe de réflexion placé sous l’autorité du Premier ministre). Cet argent devrait être entièrement consacré à la prévention des addictions et à la réduction des dommages liés aux conduites addictives en général. Lire, pour une sage légalisation du cannabis à la française, « Dix conseils stratégiques pour une réforme apaisée » de Renaud Colson et Henri Bergeron2.

La légalisation du cannabis est une question politique

Les Verts — puis maintenant Europe Écologie Les Verts (EELV) — se sont prononcés depuis longtemps pour une légalisation du cannabis. Cette question a connu un sursaut d’intérêt quand L’Obs a publié le 19 juin 2019 l’appel « Pourquoi nous voulons légaliser le cannabis », signé par 70 médecins, élus, économistes, notamment Bernard Kouchner (ancien ministre de la Santé), Daniel Vaillant Glucksmann, etc. Cet appel commence ainsi : « En matière de cannabis, le tout-répressif ne marche pas. Alors sortons de cette politique coûteuse et inefficace. [Nous appelons] à une légalisation encadrée. Objectifs prioritaires : la protection des mineurs, la sécurité et la santé publique. » Suit une page d’argumentaire.

Le 27 septembre 2020, trois maires LR1 publient dans le Journal du dimanche (JDD) une tribune pour réclamer la légalisation du cannabis : Gil Avérous (Châteauroux), Boris Ravignon (Charleville-Mézières) et Arnaud Robinet (Reims) estiment que la légalisation du cannabis est « le meilleur moyen d’en anéantir le trafic et de ruiner les trafiquants. » Ils expliquent que « 1,5 million de nos concitoyens sont des utilisateurs réguliers [de cannabis]. Il en résulte que le trafic illégal génère des profits faramineux pour tous les malfaiteurs et organisations criminelles qui s’y livrent, des cartels d’Amérique du Sud aux petits revendeurs de nos quartiers. Cet argent sale, estimé à au moins 1,2 milliard d’euros en France, ronge nos villes.

C’est pour lui que les revendeurs et guetteurs colonisent les immeubles en terrorisant leurs habitants. Cet argent corrompt largement, parfois dès 11 ou 12 ans. Comment tenir à ces jeunes le discours de la réussite quand les dealers s’offrent des berlines allemandes rutilantes tous les mois ? Depuis des décennies, les gouvernements ont pour seule politique la prohibition du cannabis, tout en promettant de mettre les moyens pour abattre le trafic. Pourtant son business n’a jamais été aussi florissant. Alors, allons-nous continuer longtemps à nier l’évidence ? La prohibition du cannabis « à la française » est un échec. En réalité, le laxisme, c’est maintenant que nous l’avons. Avec la législation la plus répressive d’Europe, les Français sont pourtant les plus gros consommateurs. […] La légalisation du cannabis n’apparaît aucunement comme une lubie, un renoncement ou une facilité, mais au contraire comme une solution réclamée par une partie du corps médical ou par les spécialistes en matière de lutte contre les addictions, à l’image de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa). » Plutôt inattendu pour des maires de droite !

80 sénateurs et députés LR n’ont pas tardé à réagir, avec parmi eux Bruno Retailleau, Éric Ciotti et Gérard Longuet, publiant à leur tour une tribune dans le JDD du 4 octobre 2021, intitulée « Légalisation du cannabis : nous sommes contre ! ». C’est parfaitement leur droit, mais cette tribune apporte des contre-arguments fallacieux, comme celui-ci : « Ce n’est pas parce que les forces de l’ordre ont du mal à venir à bout du trafic qu’il faut légaliser la pratique [du cannabis], sinon il faudrait aussi légaliser le trafic d’armes, la fraude fiscale, la prostitution et ne plus sanctionner les vitesses excessives au volant ! ». Tout en faisant croire que le cannabis est aussi dangereux que les autres drogues : « Il n’y a pas de “drogue douce”. La drogue est un poison, un fléau que nous devons combattre ! »

Le courage de la non-violence serait-il d’exiger la légalisation du cannabis ?


Article écrit par François Vaillant.

Article paru dans le numéro 201 d’Alternatives non-violentes.