Addicte à l’espoir, mon tour du monde de la non-violence

Auteurs

François Vaillant et Rachel Lamy

Année de publication

2022

Cet article est paru dans
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Rachel Lamy, rédactrice en chef d’ANV, formatrice pour les Brigades internationales de la paix (PBI). jardiniersdepaix.canalblog.com

De juillet 2018 à décembre 2019 Rachel Lamy est partie pour un tour du monde avec un objectif principal rencontrer ceux qu’elle a appelés « les jardiniers de la paix », c’est à dire ceux qui travaillent concrètement à la résolution des conflits et à la recherche du pardon. Dans un récit au ton très personnel, un peu à la manière d’un carnet de bord, elle nous embarque dans cette folle aventure Bosnie, Serbie, Liban, Israël, Palestine, Maroc, Kenya, Rwanda, Afrique du Sud, La Réunion, l’Inde, le Népal, les Philippines pour terminer au Brésil. Dans chacun de ces lieux, Rachel a noué des contacts avec des acteurs de terrain, des responsables religieux et associatifs, des personnalités politiques Avec eux, au fil de son voyage plein d’émotions, elle se questionne sur l’espoir face à la complexité de notre humanité. Tous nous donnent un élan de vie rempli de confiance, pour agir dans le monde tel qu’il est aujourd’hui. Rachel Lamy nous convainc que la paix n’est pas idéaliste, mais un chemin individuel et collectif à construire avec joie et créativité, au quotidien. Chacun, à son niveau, peut s’y engager.

Entretien réalisé par François Vaillant.

FRANCOIS VAILLANT – Vous avez récemment réalisé un voyage de 18 mois, seule, sac sur le dos, au Proche-Orient, en Afrique, en Asie et au Brésil, soit dans 15 pays. Dans quel but ?

Rachel Lamy – J’ai voulu partir rencontrer ceux que j’appelle « les jardiniers de la paix » : ceux qui œuvrent, souvent dans l’ombre, pour promouvoir la non-violence et la rencontre avec l’autre considéré comme « ennemi » au sein d’un conflit armé. J’ai aussi rencontré des témoins sur la question du pardon, de la réconciliation et de la résilience. Je voulais comprendre quelle était cette force qui les poussait à agir. J’avais une soif d’entendre ce qui se construit et se réussit dans le monde, même au cœur des pires situations.

F.V. – Votre livre fourmille de rencontres avec des personnes qui vous ont marquée par leur capacité à susciter des liens de réconciliation après avoir éprouvé des violences, souvent des conflits armés. Quelles rencontres vous reviennent spontanément en mémoire ?

R. L. – Je pense à la rencontre avec une jeune femme de mon âge, « miraculée du génocide ». Elle m’a parlé droit dans les yeux de son parcours et de son chemin de pardon. Sa force de vie m’a époustouflée. J’ai également pu rencontrer des personnes auteurs de crimes, comme un ancien génocidaire. J’ai vu l’impact que le pardon avait sur elles. Je découvrais à travers leurs récits la force que pouvait avoir le pardon et la réconciliation sur les personnes blessées, mais également sur celles auteurs de violence.

F.V. – Que signifie pardonner pour les personnes que vous avez écoutées, souvent de toutes obédiences religieuses ?

R. L. – Le pardon est la guérison du cœur. Voilà ce que j’ai compris à travers leurs témoignages. Ce n’est pas une obligation, mais une nécessité pour retrouver la paix intérieure. J’ai découvert tout ce que le pardon permet au niveau interpersonnel, mais également au niveau communautaire, national, international. Cela m’a fait prendre conscience de l’importance des programmes de réconciliation. C’est un processus qui est long, qui ne se force pas, mais qui s’accompagne, pour se réparer et se relever, ensemble.

F.V.– Les mots amour et cœur se trouvent régulièrement dans votre livre, lequel se termine par « Il est urgent d’aimer. » Faites-vous une distinction entre l’amour et la non-violence ?

R. L. – C’est une bonne question ! Pour moi, l’amour inconditionnel est dépourvu de violence. Quelqu’un qui prône la non-violence mais qui ne le fait pas avec amour véritable, se prive à mon avis de son propre carburant. Il risque de se forcer à agir pour la non-violence, sans s’alimenter de la joie de l’amour. Je pense que nous devons réapprendre à nous aimer : nous aimer soi-même (ce qui est différent que d’avoir un ego surdimensionné), nous aimer au sein d’une communauté et surtout d’aimer pleinement notre humanité. Mais cela nous demande de nous aimer avec nos forces, nos paradoxes et nos fragilités.

F.V. –À un moment, vous vous questionnez sur le fait de prendre l’avion, consciente qu’il est le moyen de transport le plus polluant pour le climat. Que répondez-vous dans votre livre ?

R. L. – Après 9 mois de voyage, je vis une véritable crise de sens. Je prends conscience à une autre échelle de l’urgence climatique et je suis face à mon propre paradoxe de voyager en avion. Je lutte avec moi-même. Une part de moi reconnaît l’importance de voyager « autrement » et une autre crie l’urgence d’agir pour la paix et la prévention des conflits, les guerres anéantissant de manière dramatique « le vivant ». J’ai donc fait ce voyage en conscience car l’enjeu me paraissait très important. Je suis bien sûr aussi face à la difficulté de renoncer à ce privilège simple et rapide du voyage.

F.V. – Quelle logique voyez-vous entre votre formation initiale d’éducatrice spécialisée, votre formation à l’ICP (Intervention civile de paix) et maintenant votre poste de rédactrice en chef de la revue ANV ?

R. L. – Toutes trois sont reliées à mon amour pour l’être humain. En chacun se cache un trésor à découvrir. Allons-nous nous laisser nous détruire ? Il est donc essentiel de promouvoir la non-violence et de travailler à la rencontre avec l’autre. Cela demande du temps, du soin, et d’ouvrir des espaces de réflexion sur le sens que nous voulons donner à nos vies, à notre monde. Ces formations et ce travail pour ANV regroupent tout cela.

F.V. – J’ai particulièrement aimé votre style d’écriture particulièrement vivant, l’écho de vos émotions au gré de vos rencontres, que ce soit avec des personnalités ou des anonymes. C’est un ouvrage fort agréable à lire. Avez-vous facilement trouvé un éditeur pour sa publication ?

R. L. – En réalité, j’ai rencontré un éditeur par hasard. En Palestine, alors que j’expliquais mon projet à un groupe de français, un homme m’a regardé en me tendant sa carte et en me disant : « Il faut que l’on se revoit à votre retour ». C’est là que j’ai découvert qu’il était éditeur aux éditions Salvator. Cet homme, Michel Cool, est ensuite parti en retraite. Son successeur, Antoine Bellier m’a alors contactée. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir cette opportunité. J’espère que ce livre pourra faire vivre ces graines reçues de non-violence...


Article écrit par François Vaillant et Rachel Lamy.

Article paru dans le numéro 202 d’Alternatives non-violentes.