Démilitariser la France : un projet politique au service de la paix

Auteurs

Alain Refalo et Serge Perrin

Année de publication

2022

Cet article est paru dans
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Alain Refalo, Membre du Man. Cofondateur du Centre de ressources sur la non-violence de Midi-Pyrénées. Il est l’auteur de Résister à la déshumanisation de l’école (Chapitre.com, 2021).

Alain Refalo publie un livre sur la militarisation de notre pays. Avec clarté et pédagogie, il apporte un vibrant plaidoyer en faveur de la mobilisation citoyenne, à partir d’une approche éthique et politique.

Propos recueillis par Serge Perrin.

Serge Perrin – Ton livre analyse la militarisation de la France, une thématique qui était peu abordée depuis plusieurs années dans les mouvements non-violents. Pourquoi as-tu ressorti ce sujet ?

ALain Refalo – Le déclic est venu en 2016 lors de la vente par la France de 24 avions Rafale à l’Émirat du Qatar. Un contrat de 6,3 milliards d’euros. Tout le monde s’en réjouissait et les médias en rajoutaient. Seuls les écologistes s’en offusquaient, mais sans être entendus. J’ai alors voulu me mettre au clair sur des questions que j’avais laissées de côté depuis pas mal d’années. J’ai commencé par quelques articles sur mon blog Non-violence, écologie et résistances. Au fil des mois, j’ai mieux visualisé l’extraordinaire prégnance de l’idéologie militaire dans notre mémoire, notre histoire et nos symboles nationaux, le poids du militaire dans notre économie et nos institutions et les choix militaristes décidés sur le plan de l’éducation et de la gestion du maintien de l’ordre. Progressivement, il m’est apparu que la France était en réalité l’un des pays les plus militarisés de la planète. J’ai donc voulu faire l’inventaire des éléments structurants de cette militarisation, tout en formulant des propositions pour en sortir. D’où l’idée neuve, me semble-t-il, de vouloir « démilitariser la France », un concept que je m’efforce de penser dans toutes ses déclinaisons historiques, symboliques, économiques, politiques et sociétales.

 

S. P. – Est-ce que la militarisation est liée en soi à l’armée et à la défense militaire ?

A. R. – L’armée est effectivement très présente dans nos institutions. Mais c’est tout un complexe militaro-industriel qui façonne la militarisation de l’économie, avec ses industries de défense choyées par le pouvoir politique, ses ventes d’armes toujours plus immorales et des interventions militaires extérieures régulières. Cette alliance du politique et du militaire se traduit également par une politique de défense dominée par la dissuasion nucléaire qui est véritablement la marque de la Ve République.

S. P. – Sur le plan sociétal, comment se traduit cette militarisation ?

A. R. – Elle commence par la militarisation des esprits, avec nos livres d’histoire où les héros guerriers tiennent une grande place. Elle se prolonge par la valorisation des valeurs militaires, particulièrement avec le défilé du 14 juillet et de nombreuses commémorations nationales où l’armée et son idéologie sont omniprésentes, sans oublier notre hymne national ! Elle trouve aussi une application très concrète dans les accords passés entre l’Éducation nationale et l’Armée pour promouvoir « l’esprit de défense ». Aujourd’hui le Service national universel entend inculquer aux jeunes générations des valeurs proches de celles de l’armée. Enfin, la militarisation des forces de police qui usent d’armes de guerre est un autre signe inquiétant de cette tendance forte à la militarisation de notre société.

S. P. – Tu dresses un inventaire édifiant de la militarisation de notre pays. Mais que proposes-tu pour en sortir ?

A. R. – Je formule et développe plus de vingt propositions pour démilitariser la France, c’est-à-dire pour que notre pays agisse pour la paix en étant cohérent avec les valeurs de fraternité et de respect des droits de l’homme qu’il est censé incarner. Un programme quasi présidentiel, mais qu’aucun candidat de 2022 ne reprendra à son compte ! En voici quelques-unes : civiliser les commémorations nationales, faire du 14 juillet une vraie fête de la fraternité sans défilé militaire, adopter de nouvelles paroles pour notre hymne national, investir dans l’éducation à la paix et à la non-violence, reconvertir les industries d’armement, signer le Traité international d’interdiction des armes nucléaires (Tian), investir dans les stratégies civiles de défense et d’intervention, mettre en place des mécanismes de contrôle démocratique pour toutes les affaires liées à la défense.

S. P. – Qu’en est-il des mobilisations citoyennes sur ces questions ?

A. R. – Elles sont très faibles. Ce n’est pas nouveau. Le monde associatif est peu mobilisé sur ces thèmes. Les syndicats sont absents. Le consensus politique sur la défense ne fait émerger que très peu de voix dissonantes. Certaines campagnes d’Amnesty international (sur les ventes d’armes), de l’ACAT (sur les violences policières et l’armement des forces de l’ordre) et surtout celle d’Ican en faveur de la signature par la France du Tian méritent d’être citées et développées. Mais on est loin d’un puissant mouvement citoyen. J’espère que ce livre, tout en permettant de « démilitariser les esprits », sera une pierre dans le processus de construction d’un mouvement contre la militarisation et pour un pays qui soit réellement acteur de la paix dans le monde.

Pour acheter le livre d’Alain Refalo, s’adresser au Man Lyon, 187 montée de Choulans, 69 005 Lyon ou possibilité de le commander sur le site nonviolence.fr.


Article écrit par Alain Refalo et Serge Perrin.

Article paru dans le numéro 202 d’Alternatives non-violentes.