A l'occasion de la sortie du dernier numéro "Sois jeune et tais-toi ? Sûrement pas !", ANV vous offre un second article en libre accès : Solidarité avec Greta Thunberg et les jeunes qui luttent pour le climat.

Solidarité avec Greta Thunberg et les jeunes qui luttent pour le climat

Mais qui est donc Greta Thunberg, cette militante suédoise à l’initiative d’un soulèvement international et intergénérationnel contre le réchauffement climatique ? Greta, 1,50 m, est toute petite. Elle est atteinte du syndrome Asperger, pronostiqué à l’âge de 11 ans. Cela explique son visage fermé et enfantin. Cette forme d’autisme, qui n’est pas considérée comme un handicap, peut se manifester par un surinvestissement que Greta revendique clairement. Sa « différence » explique également qu’elle « voit le monde sous un autre angle ». D’ailleurs, à 11 ans, l’état de la planète l’a fait plonger dans une grave dépression. Danièle Langloys, présidente de l'association « Autisme France » conçoit que l'autisme de Greta Thunberg peut être source d'un stress plus important mais elle affirme : « Cette jeune femme l'assume, c'est un choix personnel qu'elle fait, comme toute autre personne peut le faire. (…) Sa "différence" peut même être à l'origine de sa force. C'est une caractéristique de certaines personnes autistes, d'avoir un idéal très élevé de justice ou d'engagement. Elles ont cette rigueur, elles ne dérogent pas à leurs principes ». Toute sa famille, végane, ne prend plus l’avion et il faut savoir que ce choix a interrompu la carrière internationale de cantatrice de sa mère. Depuis septembre 2019, Greta a entamé une année sabbatique dans le but de peser de toute son influence sur la planète. C’est d’ailleurs une grande différence avec le système éducatif français. Dans de très nombreux pays, dont la Suède, il est possible d’arrêter, pendant un an, ses études.

Son militantisme a commencé fin août 2018, alors que la Suède vivait l’été le plus chaud de son histoire. Greta décide de sécher la classe tous les vendredis pour aller s’asseoir, seule, devant le parlement de Stockholm avec sa pancarte « slolsteijk för klimatet » (« grève de l’école pour le climat »). Selon elle, il n’y a aucune raison d’étudier pour préparer son avenir si celui-ci est sérieusement compromis par le dérèglement climatique. Elle fera cette grève du vendredi « jusqu’à ce que la Suède se conforme à l‘Accord de Paris et cela peut prendre des années », dit-elle.

 

C’est en décembre 2018 que nous l’avons découverte, un visage rond avec deux tresse à la tribune du sommet climatique annuel de l’ONU (COP) à Katowice, en Pologne. Du haut de ses quinze ans, sa dénonciation est sans appel : « Notre biosphère est sacrifiée pour que les riches des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. Ce sont les souffrances du plus grand nombre qui paient pour le luxe du plus petit nombre. Et si les solutions au sein du système sont impossibles à trouver, nous devrions peut-être changer le système lui-même. » Treize mois plus tard, plus de 4 millions de jeunes défileront dans 160 pays. Et depuis, Greta poursuit une croisade climatique « parce que les gouvernements ne font pas leurs devoirs à la maison ».

 

Le 23 septembre 2019, se déroule, à New York, le sommet de l’ONU, « Action climat ». L’objectif de ce sommet est de pousser les dirigeants du monde entier à respecter au minimum leurs engagements pris lors de l’Accord de Paris et, si possible, à aller plus loin.

Greta, qui a été invitée à la tribune, réprimande les dirigeants de la planète pour leur inaction contre le changement climatique : « Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école, de l’autre côté de l’océan. Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. Je fais pourtant partie de ceux qui ont de la chance. Les gens souffrent, ils meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse. Et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent et des contes de fées de croissance économique éternelle ? Comment osez-vous ? ». Et elle conclue : « Le monde se réveille et le changement arrive, que cela vous plaise ou non. » Elle est très applaudie.

Des attaques scandaleuses

Ce qui est intéressant c’est que Greta a l’art de faire sortir les conservateurs de leurs gonds et de les énerver. Cela se traduit par des attaques scandaleuses. Le 23 juillet 2019, elle intervient à l’Assemblée nationale et déclare : « Certains ont choisi de ne pas venir ici aujourd'hui, certains ont choisi de ne pas nous écouter. C'est très bien. Vous n'êtes pas obligés de nous écouter, nous ne sommes que des enfants après tout. Mais vous devez écouter la science. C'est tout ce que nous vous demandons : unissez-vous derrière la science. C'est presque comme si vous ne saviez pas que (ces chiffres) existent, comme si vous n'aviez pas lu le dernier rapport du Giec dont dépend l'avenir de notre civilisation. Ou peut-être simplement que vous n'êtes pas assez matures pour dire les choses telles qu'elles sont. Même cette charge, vous nous la laissez à nous, les enfants ».

À cette occasion, certaines réactions ont été très vives et plutôt surprenantes allant de l’agacement à la haine et l’insulte. Quelques exemples parmi tant d’autres : Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation : « Nous sommes en train de tomber dans une société de jeunisme délirant et ça n’est pas la solution. C’est aux adultes de sauver le monde qui vient, pas aux enfants ». Alain Finkielkraut : « Je trouve lamentable que des adultes s’inclinent aujourd’hui devant une enfant. Je crois que l’écologie mérite mieux, et il est clair qu’une enfant de 16 ans, quel que soit le symptôme dont elle souffre, est évidemment malléable et influençable ». Michel Onfray : « Elle fait songer à ces poupées de silicone qui annoncent la fin de l’humain et l’avènement du post-humain ». Guillaume Larrivé : « Gourou apocalyptique ». Julien Aubert : Prophétesse en culotte courte ». Pascal Bruckner : « Dangereuse propagande de l’infantilisme climatique ». Emmanuelle Ménard, députée RN : « Dommage que la fessée soit interdite, elle en mériterait une bonne ». Selon Valérie Boyer, députée républicaine : « La jeune militante écologiste est également « sous emprise ». Elle serait « instrumentalisée par les ayatollahs écolo-catastrophistes qui veulent imposer aux jeunes une réduction massive de leurs libertés ». Emmanuel Macron, lui-même, dans une confidence, s'est laissé aller à des réflexions du même genre : « Qu’ils aillent manifester en Pologne », a-t-il dit au Parisien, dans l’avion de retour de New York, en référence au refus exprimé par le gouvernement de Varsovie d'appliquer les décisions européennes sur le climat . Nous avons déjà entendu ce genre de provocation « vous êtes contre le nucléaire militaire, allez donc manifester en Corée du Nord ! » 

Il y a aussi cette campagne de dénigrement contre Greta, au travers de textes et de photomontages, souvent très vulgaires, lancée par trois des plus importants partis européens d’extrême-droite : le Rassemblement national français, l’AFD allemand et l’UKIP britannique. Derrière ces partis, on trouve deux think-tanks climato-sceptiques, le EIKE (institut européen pour le Climat et l’Énergie) et le CFACT-Europe (Comité pour un Lendemain Créatif), lesquels soutiennent, sous des formes très diverses, la négation de la catastrophe climatique.

Il y a également cette polémique autour de sa supposée « manipulation » qui montre qu’on essaye de jeter le doute sur tout. En fait, le symbole Greta Thunberg est un dérivatif pour ces conservateurs : ne pouvant nier l’urgence écologique, ils attaquent sa porte-parole. Quand on n’aime pas un message, qu’on est interpelé et qu’on n’ose pas le dire, que fait-on ? On s’en prend à la porteuse du message, c’est plus facile mais c’est gravissime.

Tout le monde, il faut le dire, ne réagit pas de la même manière. Greta Thunberg et le mouvement "Fridays For Future" ("vendredi pour l'avenir"), à l'initiative de marches organisées dans le monde entier pour alerter sur l'urgence de lutter contre les dérèglements climatiques ont reçu le prix d'"ambassadrice de conscience", en juin 2019, décerné par l’ONG Amnesty International. Son secrétaire général, Kumi Naidoo, a précisé : « Chaque jeune personne participant à +Fridays for future+ incarne ce que signifie agir sur notre conscience. Ils nous rappellent que nous sommes plus puissants que nous le pensons et que nous avons tous un rôle à jouer dans la protection des droits de l'Homme contre la catastrophe climatique ».

L’argument de la jeunesse excessive est très étrange. Rappelons-nous les paroles de Rodrigue : « Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Toutes proportions gardées, Jeanne d’Arc était à peine plus âgée et Gavroche nettement plus jeune que Greta. Faudrait-il les rejeter à cause de leur âge ?

En outre, les mêmes, de manière contradictoire, se lamentent régulièrement devant une jeunesse à leurs yeux écervelée, qui passerait son temps devant des jeux vidéo. Si des lycéens et des lycéennes prennent à cœur l’avenir de la planète et jouent un rôle civique, nous devons nous en féliciter et cela devrait nous, adultes, inciter à soutenir et à rejoindre les jeunes dans leur combat.

De plus, ces jeunes seront logiquement en première ligne si la lutte contre le réchauffement échouait, ils défendent donc leur avenir. Qui peut le leur reprocher ?

Le 29 octobre 2019, notre jeune militante a refusé le chèque de 45 000 € que souhaitaient lui remettre la Suède et la Norvège en même temps que le prix annuel de l’environnement décerné par le Conseil nordique, une instance de coopération interparlementaire. Sur son compte Instagram, elle a écrit : « Le mouvement pour le climat n’a pas besoin d’autres prix. Ce dont nous avons besoin, c’est que nos politiciens et les gens au pouvoir commencent à écouter les meilleures données scientifiques existantes. (…) Nous appartenons aux pays qui ont la possibilité de faire le plus. Et pourtant, fondamentalement, nos pays ne font toujours rien. Donc, jusqu’à ce que vous commenciez à agir en accord avec ce que la science juge nécessaire pour limiter la hausse de la température mondiale en dessous de 1,5 degrés ou même de 2 degrés Celsius, acceptez que Fridays For Future en Suède refuse le prix environnemental du Conseil nordique. »

Une société qui se méfie de sa jeunesse est une société malade

En fait, nombre de concitoyens entretiennent une relation maladive avec l’autonomie de la jeunesse dans un système scolaire hiérarchisé. Par exemple, les attaques sur l’âge, le physique et la personnalité de cette adolescente sont choquantes et révélatrices d’une certaine méfiance, voire d’une peur, à l’égard de la jeunesse et cela est déplorable.

« À 16 ans, on n’a pas de pensée propre », a déclaré le philosophe Michel Onfray. Voilà ce que lui répond notre ami Philippe Watrelot (2) : « On a envie de lui demander à partir de quel âge ce serait le cas ? Ou bien de se questionner sur l’autonomie de pensée de bien des adultes. Ou lui renvoyer des exemples de personnes tout aussi jeunes et qui se sont engagées (Guy Môquet et Henri Fertet, résistants à 16 ans) ou qui étaient des créateurs (Rimbaud, La Boétie…). »

Greta veut nous faire « paniquer » et elle nous amène à nous interroger sur nos pratiques individuelles et pas seulement sur les grands choix économiques. Cette réflexion me parait nécessaire, pour ne pas dire indispensable, mais elle est difficile pour nombre d’adultes car elle oblige à une remise en cause personnelle.

Une erreur est également faite par nos concitoyens quand ils disent « Elle ferait mieux d’aller à l’école ». En effet, ils oublient que bon nombre d’apprentissages informels se font autrement et autre part qu’à l’école et on pense « Tais-toi, soumets-toi et un jour tu auras le droit d’avoir un travail stable et de parler » (1). Ne pas aller à l’école pendant un an, ce n’est pas ne rien apprendre. Et d’ailleurs participer à des grèves pour le climat et manifester, n’est-ce pas un très bon apprentissage de la citoyenneté et donc de la vie en société ?

Greta et les nombreux jeunes qui font la grève scolaire le vendredi et participent à diverses autres manifestations, dans de nombreux pays dont la France, nous bousculent. Leur capacité de mobilisation est importante car ils sont imprégnés depuis leur enfance par les questions environnementales (apprentissage du tri des déchets, infirmations individuelles, etc). Ils ont, de plus, réussi à faire la jonction entre les mouvements de défense de l’environnement et ceux pour la justice climatique. Et bientôt ils agiront de concert pour la justice sociale.

 

Quelle leçon de maturité !

Les jeunes sont actuellement très demandeurs de groupes de réflexion et d’actions locales en faveur d’initiatives concrètes comme, par exemple, le recyclage, la collecte d’aliments pour les migrants, la réduction de la consommation, l’achat de produits d’occasion ou issus des circuits circulaires …

En ce qui concerne l’école, elle doit devenir plus juste et coopérative et écouter la jeunesse pour lui permettre de s’émanciper. Notre système scolaire devrait permettre de penser la complexité nécessaire pour affronter la crise écologique et sociale et se construire une « pensée propre ».

Nous voyons bien, aujourd’hui que la jeunesse nous donne une belle et admirable leçon de maturité. Comme le dit si bien Sylvie Ollitrault (3) : « J’admire leur capacité à gérer les mobilisations, sans violence, ainsi que le courage et l’exemplarité de ces jeunes filles qui animent en majorité ces émergences. (….) Dans un monde du travail et de la politique qui les discrimine en partie, ils expriment une forme de rappel à l’ordre. Ces jeunes propagent un discours vivifiant qui parle d’avenir ! »

Patrice Coulon

 

  1. Voir le numéro 193 d’Alternatives non-violentes « Sois jeune et tais-toi ? Sûrement pas ! »

  2. Professeur de Sciences économiques et sociales en lycée et professeur à l’Espé de Paris, ancien président du CRAP (Cercle de recherche et d’actions pédagogiques)

  3. Politologue, spécialiste du militantisme écologique à Sciences Po Rennes.