Le boycott est une arme typiquement non-violente, largement mise en valeur par Gandhi. Les exemples de boycott foisonnent, depuis la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud jusqu’à l’actuelle action BDS contre la politique d’apartheid en Israël et le génocide à Gaza. (Lire ici la suite)
Le boycott de X
Le boycott de X (ex-Twitter) a commencé aux USA dès l’annonce de l’élection de Donald Trump, le 5 novembre 2024. Des personnalités, de l’écrivain Stephen King à la chanteuse Barbra Streisand, ont immédiatement claqué la porte de X. Il est vrai que X, qui appartient à Elon Musk, a chamboulé la campagne présidentielle, en publiant sans arrêt de fausses informations – dont une pseudo déclaration de Kamala Harris créée par intelligence artificielle –, en multipliant des posts racistes, masculinistes et climato-négationnistes, vus des millions de fois.
Les nouveaux maîtres du Bureau ovale prônent une liberté d’expression dénuée de toute censure. X est devenu un moteur de choix pour influencer les opinions publiques, semer la haine et la désinformation, contrôler les récits politiques, tout en cherchant à s’ingérer dans le cours de l’histoire de pays étrangers – une nouvelle façon de faire de la politique étrangère, comme dirait également Poutine !
On ne compte plus les grands organes de presse européens à avoir quitté X. Ce fut d’abord le journal britannique The Guardian dès le 13 novembre. Il a été suivi par une myriade d’autres, comme le suédois Dagens Nyheter, le français Ouest-France, etc. Dans la foulée, de nombreuses institutions françaises ont également quitté X : la Ville de Paris, l’École polytechnique, le CHU de Bordeaux, les universités de Rennes 2, Nantes, Paris-Saclay, Strasbourg, Aix-Marseille, Lyon 3, Bordeaux-Montaigne, Toulouse II Jean-Jaurès ou encore Paris-Est. Liste non exhaustive. Des associations ont fait de même : l’Observatoire des inégalités, la Cimade, etc. « Si aucun réseau social n'est parfait, écrit Greenpeace France, X atteint aujourd'hui un niveau de toxicité sans précédent : absence de modération, prolifération de discours haineux et climatosceptiques, mise en avant algorithmique de contenus extrémistes. […] En cohérence avec nos valeurs, nous refusons désormais de nourrir [cette] plateforme[1]. »
Pour aider les particuliers et les institutions à migrer vers d’autres réseaux sociaux alternatifs, des chercheurs du CNRS ont créé l’application HelloQuitteX. Cette plate-forme permet aux utilisateurs captifs de leurs abonnés de récupérer leurs archives personnelles sur X, puis de les télécharger pour éviter de perdre leurs contacts.
Du côté de Tesla
Le patron de Tesla – encore Elon Musk ! – a déclaré le 23 avril qu’il entendait moins s’impliquer dans le Doge[2] de Trump, pour consacrer plus de temps à l’entreprise Tesla qui se porte de plus en plus mal. Il est vrai que pour un milliardaire, rien ne va plus quand il perd de l’oseille. X dégringolait déjà en bourse à cause de la désaffection de nombreux abonnés de par le monde, et que voilà queTesla emprunte le même chemin.
La marque américaine qui a transformé le véhicule électrique en voiture chic, moderne et désirable[3] n’inspire plus la fierté, mais une sensation amère où se mêlent culpabilité et ressentiment à l’encontre d’un homme d’affaires passé du côté obscur. À cause de son salut nazi en public, de son lien avec Trump pseudo économiste totalement imprévisible, capable de brutalité verbale face à Zelinsky, les ventes de Tesla ne cessent de chuter[4]. Il n’est pas rare que des citoyens, aux USA ou ailleurs, singent le salut nazi pour se moquer d’une Tesla qui passe, ou même déposent sur le pare-brise un petit papier, avec écrit dessus par exemple : « J’espère que vous avez honte de rouler dans cette voiture. Même si vous me la donniez, je n’en voudrais pas. »
Le boycott au Canada
Puisque c’est l’argent qui compte avant tout pour Donald Trump, des Québécois ont réagi dès l’annonce de son projet d’annexion du Canada, en remplaçant dans leurs supermarchés des produits étatsuniens (sodas, jus de fruit, ketchup, cosmétiques, etc.) par des produits fabriqués au Canada[5]. Le boycott de ces premiers produits s’est ensuite étendu à bien d’autres, et dans tout le Canada.
Un sondage mené par le Laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie a révélé début avril[6] que 61% des Canadiens se disent prêts à acheter un produit alimentaire canadien même s’il est plus cher (fruits, légumes, produits laitiers ou viandes). Par ailleurs, plus de 15 % de Canadiens avaient déjà supprimé en mars leurs abonnements à Netflix, Disney +, Prime Video ou Apple TV, etc. Ce mouvement de boycott révolutionne économiquement et culturellement le Canada, rien n’annonce son ralentissement bien au contraire.
Ce printemps, c’est bien tout le pays qui semble décidé à ne pas se laisser faire face à la menace d’annexion et aux droits de douane que Trump impose à la tête du client. En plus des contre-tarifs décrétés par leur gouvernement fédéral et du boycott massifs de produits, les Canadiens boudent également les USA comme destination touristique, pourtant fort prisée jusque-là ; et des retraités déjà installés à Miami font leurs valises.
Et nous en France, en Europe ?
Le mot-clé #BoycottUSA rencontre un succès sur Bluesky et Instagram, aussi bien en Norvège qu’en Espagne, etc. En France, il y avait déjà en mars plus de 100 000 utilisateurs de #BoycottUSA. Une grande enquête réalisée ce printemps par l’Ifop[7] a révélé que 62% des Français soutiennent ces appels au boycott. Cette enquête de l’Ifop montre également un effondrement historique de l’image des USA, et elle indique que ce phénomène de boycott n’apparait pas comme une réaction émotionnelle passagère.
Notons cependant qu’il n’est pas si simple de se passer de l’emprise étatsunienne. L’exemple le plus criant est celui du numérique et de l’omniprésence de Microsoft, Google et Apple dans notre quotidien. Les principaux appels à l’indépendance européenne sont d’ailleurs relayés via Facebook et Instagram. Nous trouvons par ailleurs sur la Toile pléthore d’articles qui expliquent que le vent qui souffle pour boycotter des marques étatsuniennes se retournerait contre l’emploi en France puisque plus de 180 000 personnes y travaillent pour Coca-Cola, Pepsi, Lay’s, Benenuts, Quaker, Weight Watchers, Heinz, etc., et dans la restauration rapide chez McDonald, Starbuck, etc. Le hic, jamais mentionné dans ces articles, probablement rédigés sous la pression de lobbies, est que le boycott de ces marques serait en mesure de créer des emplois dans des entreprises françaises, comme cela se manifeste déjà au Canada pour des marques canadiennes.
Nous trouvons dans la liste des produits directement importés des États-Unis : des pistaches et des amandes, des beurres de cacahuète, les sauces piquantes Tabasco, la plupart des céréales Kellogg's, les whiskys Four Roses et Quarter House. Il suffit de les dépister en lisant les étiquettes. Parmi les produits non alimentaires made in USA : les motos Harley Davidson, les voitures Jeep, Cadillac, Dodge, Ford Mustang, etc. Mais aussi des baskets New Balance, le robot pâtissier KitchenAid, une partie des outils Stihl, etc.
Le boycott international des marques est-il une menace pour l’économie étatsunienne ? Les signaux d’une inflation y sont déjà au rouge, pas seulement à cause des taxes douanières. Il faut comprendre l’actuel boycott pour ce qu’il est : un message politique fort envoyé au gang du Bureau ovale. Est-il seulement capable de se raviser ?
François Vaillant
Autodafé version 2.0
Plus besoin d’allumettes pour empêcher l’accès aux savoirs et balayer des pans entiers de notre culture ! D’un simple clic, Trump et ses affidés suppriment des milliers de pages et de nombreuses données scientifiques sur les sites internet des programmes et des agences fédérales[8].
Tout ce qui a trait au changement climatique, au féminisme, aux programmes d’inclusion des minorités, à la santé publique, à l’aide humanitaire internationale, bref, l’ensemble des thèmes honnis par la nouvelle présidence étatsunienne n’a plus droit de cité sur le web. Disparaissent ainsi des données importantes tant pour la société civile que pour la communauté scientifique. De quoi fabriquer sur mesure la « réalité » nécessaire à l’idéologie trumpienne, nourrir les modèles d’Intelligence Artificielle à l’aune des biais de cette alt-réalité… et nous poser la question de la sécurité de nos données alors que la majorité des centres mondiaux de données sont sur le sol étatsunien et sont gérés principalement par des entreprises ayant fait allégeance à Trump.
Georges Gagnaire
Sur le pouvoir économique du boycott, voir ne n° 179 d’ANV : https://www.alternatives-non-violentes.org/Revue/Numeros/179_Le_pouvoir_economique_du_boycott._exemple_dIsr
[1]Communiqué de Greenpeace France du 22.11.2024
[2]Le Department of Government Efficiency (Département de l'éfficacité gouvernementale) est une structure gouvernementale créée par Trump qui a pour mission de réduire les dépenses publiques.
[3]À quand même au minimum 50 000 euros.
[4] Fin avril 2025, la valeur boursière d’une action Tesla avait déjà chuté de 50 % depuis décembre 2024. Source : AFP, 23 avril 2025.
[5] Bien d’autres initiatives de boycottage sont prises au Québec, où le mot boycott est généralement évité, lire sur la Toile Le journal de Québec du 28.01.2025.
[6] Source : RFI, 28.04.2025