Larzac, soirée au Raja del Gop

Auteur

Antoine Bondeville

Année de publication

2004

Cet article est paru dans
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Larzac, soirée au Rajal del Gorp

François BONDEVILLE

Dis mon oncle, c’est vrai que tu as 85 ans ?

Oui, Antoine. Je ne guide plus mon troupeau sur les herbages du Larzac, mais tant de souvenirs m’habitent à ce Rajal del Gorp que j’ai voulu t’y conduire ce soir. Tu sais, mon troupeau, c’est mon fils maintenant qui s’en occupe.

Dis mon oncle, je n’ai que 9 ans, mais j’aimerais bien savoir ce qui s’est passé ici depuis cent ans, pour le raconter ensuite à mes enfants.

C’est simple, très simple. En 1971, les paysans du Larzac apprennent que l’État français veut agrandir le camp militaire de La Cavalerie, et prendre pour cela plus de quinze mille hectares de leurs terres bien-aimées. Ils s’organisent à 103 paysans, 103 familles. Ah, les Burguière, les Tarlier, les Maillé et chacun des autres, ils n’ont pas ménagé leurs forces ! Lanza del Vasto et d’autres loustics leur font découvrir l’action non-violente.

De 1971 jusqu’en 1981, ils ont lutté à coups d’actions de désobéissance civile, de marches jusqu’à Paris, d’actions diverses que les livres racontent bien. Mais tu sais, Antoine, plusieurs paysans ont connu des procès et même la prison. Un formidable mouvement de soutien s’est organisé durant dix ans, en France et même à l’étranger, et c’est pourquoi, en 1981, le président de la République a fait annuler tous les décrets d’expropriation. Le slogan préféré des paysans du Larzac était : « Les armes font mourir, le blé fait vivre », tu peux t’en souvenir.

Dis mon oncle, tu n’as pas peur tout seul, ici, quand le soleil se couche ?

Non, Antoine, ici, lorsqu’on respire bien et que l’on écoute le vent, on n’a jamais peur. Nos amis du Cun le savent aussi, eux qui ont formé des générations de volontaires à la gestion des conflits ; leurs sessions ont toutes commencé par une virée ici, au Rajal del Gorp.

Dis mon oncle, apprends-moi à écouter le vent.

Tiens, ce soir, il te raconte que le Larzac a toujours été une terre pour des rassemblements prophétiques.

C’est quoi un rassemblement prophétique ?

C’est quand des gens viennent pour se rencontrer et qu’ils racontent leurs luttes non-violentes pour la justice et la paix, tu sais, ces valeurs qui ne sont toujours pas enseignées à l’Université et dans les Grandes écoles.

Dis mon oncle, parle-moi de ces rassemblements.

Il y a d’abord eu celui d’août 1973, avec 60 000 personnes. Nos aïeux ont alors fauché le blé qu’ils avaient ensemencé sur des terres appartenant à l’armée, puis ils ont envoyé cette récolte au Sahel où les gens cre- vaient de faim. Il y a eu ensuite de multiples rassemble- ments, des petits et des grands, mais toujours avec les paysans du Larzac. Personne n’oublie celui de l’été 2003, contre la mondialisation néolibérale, avec 250 000 personnes, dont José Bové. Tes parents doivent s’en souve- nir ; ils étaient déjà abonnés à ANV. C’est à ce rassemblement que beaucoup ont croisé pour la dernière fois l’ami Christian Brunier, du Man-Paris, décédé en mai 2004. À Pâques 2006, il y a eu le rassemblement des antipub, un vrai festival ! En 2025, personne n’oublie que 30 000 policiers et gendarmes européens se sont retrou- vés ici pour fêter l’interdiction de tout port d’armes dans l’exercice de leurs fonctions ; il est vrai que les Bobbies britanniques les avaient devancés depuis longtemps. En été 2051, plus de 400 000 personnes se sont rassemblées à l’occasion de l’abolition de toutes les armées européennes. Il y a eu bien d’autres rassemblements, comme celui des chasseurs repentis, mais tu vois, Antoine, ce qui compte, c’est avant tout que le Larzac demeure une terre vivante, une terre où le vent contre les rochers continue à dire aux violents qu’ils n’auront jamais le dernier mot.

Mais pourquoi te lèves-tu, mon oncle ?

Viens Antoine, il faut que nous soyons prêts demain pour accueillir nos hôtes qui arrivent de l’État de Palestine. Ce sont des bergers de Bethléem. Nous allons partager nos savoirs ; ils ont hâte de visiter la bergerie de La Blaquière.

Dis mon oncle, qu’est-ce qu’ils ont fait les bergers de Bethléem ?

Oh là là, pécaïre ! Écoute le vent, écoute-le ici, il t’en dira des choses !


Article écrit par Antoine Bondeville.

Article paru dans le numéro 131 d’Alternatives non-violentes.