Auteur

Etienne Godinot

Année de publication

2004

Cet article est paru dans
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Deux cent vingt ans après la prise de la Bastille, la fête nationale de la France est en train de changer. Reportage de nos envoyés spéciaux à Paris et dans quelques villes de France à l’occasion des manifestations du 14 juillet 2019.

Étienne GODINOT, expert en ressources humaines

Le 14 juillet 1789, au bout de sept heures de siège qui ont causé une centaine de morts parmi les assaillants, les insurgés parisiens ont pris la Bastille. La forteresse, avec ses murs imposants, symbolisait l’arbitraire royal, mais elle était surtout un dépôt de poudre, et accessoirement une prison. L’épisode n’est pas glorieux : alors que le gouverneur de la Bastille, de Launay, avait capitulé contre la promesse de vie sauve pour lui et sa faible garnison, les insurgés ont promené toute la journée sa tête coupée et celles des gardes suisses au bout de piques à travers la capitale. Dans la soirée, on a enfin songé à libérer les « victimes du despotisme » : deux aliénés, un débauché et quatre faussaires...

Le 14 juillet est devenu la fête nationale de la République. Depuis plus de deux siècles, elle a surtout été l’occasion de défilés militaires, de réceptions à l’Élysée, dans les préfectures de la métropole et dans les ambassades à l’étranger. Et aussi de banquets, de bals populaires et de feux d’artifice. Beaucoup de nos concitoyens étaient toutefois choqués qu’un chant guerrier (« Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! »...) soit devenu l’hymne national du pays des droits de l’homme, dont un des trois mots de la devise est « fraternité ». D’autres s’étonnaient que l’on fête la prise de la Bastille à l’armée par le peuple en organisant devant le peuple de grands défilés... de l’armée !

La « Fédération nationale pour la transformation des festivités du 14 juillet », en abrégé la FNT-14 juillet, est un regroupement d’environ quatre cents collectivités publiques, fondations, associations et mouvements qui veulent promouvoir un processus de changement des mentalités et d’ouverture internationale à l’occasion de la fête de la nation. En font partie des personnes et des organisations qui se retrouvent dans le concept de « citoyens du monde ». Elle est partie prenante d’une fédération internationale récemment créée qui veut pro- mouvoir la même dynamique dans tous les pays de la planète, et qui bénéficie du soutien de l’Unesco.

Cette année, à l’initiative de la FNT-14 juillet, la 220ème fête nationale a donné lieu à des initiatives originales et variées à travers la France. À Paris, une exposition au Grand Palais a présenté des compositions artistiques retenues à l’issue d’un concours international sur le thème de la paix et du développement durable. Le forgeron transformant une épée en charrue selon la vieille prophétie d’Isaïe était représenté par douze statues différentes, en bronze, en fonte, en PVC, en bois, en terre cuite...

Un concours a été organisé par la FNT-14 juillet pour inventer de nouvelles paroles à la Marseillaise sans en changer la mélodie. À Bourg-en-Bresse par exemple, un chœur a interprété à quatre voix, avec un orchestre symphonique, un chant intitulé « L’âme arseyllaise ». Rappelons que dans une célèbre bande dessinée de Tirda parue en 2007, Arseylles est le nom d’une ville française, modèle en matière de commerce équitable, d’énergies renouvelables et de lutte contre l’exclusion, jumelée avec des communes de tous les continents de notre planète. Son maire est une jeune femme énergique, devenue hémiplégique après avoir sauté sur une mine antipersonnel alors qu’elle participait à une mission d’intervention civile au Mozambique. En voici des extraits :

Enfants de la Terre-patri-ie, affirmons la nécessité d’affermir la démocratie,
de promouvoir la liberté et de combattre les pauvretés.
Dans le mond’, l’Europ’ et la France, marchons ensemble dans les pas
de ceux qui menaient le combat
de la dignité, de l’espérance.

Debout, les citoyens ! C’est l’humanisation
de la Franc’ et
du mond’ entier qui est notre ambition.

Dans de nombreux endroits, la fête était très internationale : les communes étrangères jumelées avec la commune française ont envoyé des délégations les plus composites. Élus municipaux (Bürgermeister, Town council...) côtoyaient les représentants d’associations culturelles et sportives, cuisiniers, musiciens, danseurs, acrobates.

Dans les services publics et collectivités territo- riales signataires de la charte « Au service du public », le 14 juillet n’a pas été un jour férié pour tout le monde : une vaste opération « portes ouvertes » a permis aux citoyens de visiter les préfectures et directions départementales, les conseil généraux, les mairies, les communautés d’agglomération, les tribunaux, les commissariats de police, les casernes de gendarmerie et de pompiers, les prisons, les services fiscaux... Des milliers de personnes sont venues poser aux agents publics les questions les plus variées sur le pourquoi et le comment de leur travail quotidien. Consigne était donnée de mettre l’accent sur toutes les initiatives en cours pour rapprocher les administrations des citoyens et rendre le service plus efficace et plus humain : démarches qualité, management participatif des équipes, conciliateurs de justice, ateliers techniques et bibliothèques des prisons...

La FNT-14 juillet réfléchit aux initiatives à prendre pour que la fête continue à changer. L’objectif est de mener des actions non-violentes d’interpellation et de pression, et de faire des propositions au gouvernement, aux régions, aux conseils municipaux pour continuer ce travail de « révolution culturelle ». Le point d’orgue de cette mobilisation sera le 14 juillet 2039, 250ème anniversaire de la prise de la Bastille, à l’occasion duquel les membres de la fédération espèrent notamment entendre chanter les nouvelles paroles officielles de l’hymne national. N’en doutons pas, notre fête nationale ne sera jamais plus comme avant...


Article écrit par Etienne Godinot.

Article paru dans le numéro 131 d’Alternatives non-violentes.