Le désir de vengeance : comment s’en libérer ?

Auteur

Jean-Luc Mermet

Localisation

Afghanistan

Année de publication

2014

Cet article est paru dans
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Pourquoi certaines personnes manifestent- elles plus que d’autres le désir de se venger ? Des souffrances vécues dans la petite enfance expliquent cet aspect qu’il convient de prendre en compte si l’on veut aider quelqu’un à se libérer de son désir de vengeance, comme le rapportent ici deux exemples concrets.

Le désir de vengeance : comment s'en libérer ?

Pourquoi certaines personnes manifestent-elles plus que d’autres le désir de se venger ? Des souffrances vécues dans la petite enfance expliquent cet aspect qu’il convient de prendre en compte si l’on veut aider quelqu’un à se libérer de son désir de vengeance, comme le rapportent ici deux exemples concrets.

Depuis quatre ans, Richard garde dans sa voiture un colossal morceau de bois, destiné à régler son compte à son ex-beau-frère, s’il venait à le rencontrer au hasard de ses déplacements dans l’agglomération. Quatre ans auparavant, celui-ci avait déboulé un jour chez lui, avec l’ex-beau-père de Richard ; ils étaient entrés par surprise dans son appartement alors qu’il était sous sa douche. Alerté par le bruit, Richard était sorti en peignoir et n’avait pas eu le temps dire « ouf » : il a été violemment frappé par les deux hommes, sous les yeux de ses deux filles de 3 et 9 ans. Ils n’acceptaient pas que Richard ait demandé le divorce... En quatre ans, l’humi- liation de cet événement, la peur qu’il a eue pour lui- même et pour le choc psychologique pour ses filles, sont restées intactes. Lorsqu’il en parle, l’émotion est présen- te dans sa voix et son corps comme si les faits s’étaient produits hier. Sa détermination à faire payer à l’ex-beau- frère le prix de son comportement est entière et il guette l’occasion où cela sera possible. Régulièrement, les scé- narii de règlement de compte s’échafaudent dans son esprit et lorsque ces pensées l’assaillent, il sent l’excitation envahir tout son corps.

Attention, emballement !

Le désir de vengeance est comme un moteur qui s’emballe et que rien ne peut arrêter. Cet emballement est à la fois extrêmement dangereux pour celui qui serait l’objet éventuel de cette vengeance et très consommateur d’énergie pour celui qui en est l’auteur, absorbant ses ressources, son temps, sa créativité. Le carburant de ce moteur, dans l’exemple de Richard, est la violence initiale qui a été reçue ; certaines personnes, dont Richard pendant quatre ans, ont cette attitude, inconsciemment et involontairement bien sûr, « d’entretenir » cette violence reçue, comme pour la garder « psychologiquement » présente et alimenter ainsi le processus.

En sortir, suppose « lâcher » cette violence reçue, par un travail sur soi qui peut être fait de différentes façons. L’une d’elles, qui est proposée par la méthode ESPERE® 1 du psychosociologue Jacques Salomé, consis- te en une représentation visuelle de l’événement, qui se prolonge par une ou plusieurs démarches symboliques que la personne effectue.

La force du symbolique

En entretien, Richard a pu, à l’aide d’objets symboliques, représenter l’ensemble des protagonistes, distinguer les personnes de leurs comportements, visualiser ses ressentis, ses émotions et ses sentiments (notamment la haine). Cette mise en scène visuelle lui a permis une mise à distance de l’événement, une visualisation « à l’extérieur » de ce qui se passait « à l’intérieur » de lui. Elle a permis également une clarification et une meilleure identification de ses ressentis ; par exemple trois vio- lences étaient présentes : la violence physique avec le ressenti qui en résultait (la souffrance physique), la vio- lence d’humiliation avec, également, le ressenti qui en résultait (ressenti d’humiliation) et, pour chacune de ses filles, la « violence d’être témoin ».

Que ses ressentis soient ainsi montrés, et donc reconnus par le tiers qui l’écoute, sans jugement, est un élément important qui conduit à en atténuer la force ; car lorsque les choses ne sont pas dites, elles prennent dans la tête une ampleur phénoménale qui se « dégonfle » lorsque des mots permettent enfin de les déposer à l’extérieur de soi. Être entendu dans son ressenti, est un premier pas vers le fait de lâcher le ressentiment.

Un deuxième pas, est celui de la démarche symbolique. Le symbolique est l’un des langages de l’inconscient ; nous pouvons observer par exemple que beau- coup de rêves sont métaphoriques : l’inconscient « nous parle » avec des images. Par une démarche symbolique, nous pouvons, a contrario, faire passer des messages à l’inconscient. C’est l’inconscient qui « pilote » notre désir de vengeance. C’est pourquoi la raison est totalement inopérante pour se libérer d’un ressentiment : il ne suffit pas de « décider » de ne pas en vouloir à notre adversaire, ou de « se convaincre » (voire se culpabiliser en cas de non-maîtrise de ces ressentis vengeurs...), pour des convictions religieuses ou autres, que ce n’est « pas bien », ou pas souhaitable de se venger ; car ce n’est pas du tout dans ces zones « mentales » de notre psychisme que se situe la source du désir de se venger, mais bien dans notre inconscient.

Richard a accepté d’entrer dans une démarche symbolique, en choisissant deux objets, l’un pour repré- senter la violence des coups (il a choisi pour cela le bout de bois qu’il gardait dans sa voiture...) et l’autre la violence d’humiliation (une paire de lunettes, qui évoquaient pour lui le fait d’avoir subi cette agression sous le regard de ses filles). Il a expliqué la démarche à ses filles en leur proposant de choisir, elles aussi, des objets représentant la violence qu’elles avaient reçue en étant témoins de cette scène.

Reprendre la main sur nos ressentis

Reconnaître ainsi les violences reçues, accepter de les mettre à l’extérieur de soi, c’est déjà donner un mes- sage à l’inconscient : « Cela ne dépend que de toi, ou bien de continuer à porter ces violences à l’intérieur, ou bien de les déposer. » La perception inconsciente qu’il est de notre propre responsabilité de garder ou non ces violences reçues, se traduit toujours par une forte dimi- nution du ressentiment vers l’autre ; car nous avons moins besoin d’en vouloir à l’autre, si cela ne dépend que de nous d’aller mieux ! Tous ces processus sont incons- cients bien sûr.

Dans la démarche proposée, Richard aurait, en principe, dû retourner devant la maison des agresseurs et déposer ces objets symboliques, avec simplement un mot précisant qu’il avait décidé de ne plus porter ces vio- lences, qu’il les avait reçues et gardées alors qu’elles ne lui appartenaient pas et qu’il les restituaient symbolique- ment aujourd’hui à ceux qui les avaient produites. C’est en quelque sorte une démarche de « remise en ordre », à effectuer dans le respect de l’interlocuteur, non « contre lui » pour lui faire du tort, mais seulement « pour soi » pour cesser de porter ce qui pèse sur nos épaules.

Mais Richard en a décidé autrement... Il est arrivé lors d’une séance suivante en apportant le fameux bout de bois et l’a laissé là en exprimant qu’il trouvait que c’était le bon lieu pour déposer une violence qu’il avait décidé de ne plus garder... Bien que cela ne soit pas tota- lement orthodoxe vis-à-vis de la méthode ESPERE... cette démarche était manifestement juste pour lui puisqu’il a été, à partir de ce moment, totalement libéré de ce puis- sant désir de vengeance.

Et s’il n’y a pas eu réellement de violence reçue ?...

Vincent a vu rouge. Il a découvert que sa femme a eu pendant plusieurs mois une relation amoureuse avec un collègue de travail. Il a, sur-le-champ, voulu se rendre chez lui pour lui faire « comprendre sa façon de voir ». Par chance, il n’était pas là... Pendant des jours, il ne décolè- re pas. Il s’interdit tout passage à l’acte de violence sur sa femme, mais nourrit pour l’amant de celle-ci un réel projet de règlement de compte. Cela va de crever les pneus de sa voiture jusqu’à l’attendre un soir à la sortie de son travail et l’envoyer faire un séjour à l’hôpital...

Bien sûr certains pourraient considérer que le non respect par sa femme d’un engagement de fidélité constitue une violence faite à cet homme. Mais nous sen- tons bien que la « violence » de cette situation n’a rien à voir, par exemple, avec celle reçue par Richard dans la situation décrite précédemment. En réalité Vincent n’a pas reçu de violence explicite, mais il s’est fortement blessé avec le comportement de sa femme. Même si, pour la majorité des personnes, une telle situation n’est pas agréable à vivre, beaucoup d’hommes n’auraient pas eu cette réaction démesurée qu’a eu Vincent. Ils auraient été tristes, éventuellement avec quelques accès de colère, ils se seraient sentis blessés ou déçus, mais n’auraient pas produit ce niveau de colère et d’agressivité. Car cette réaction vient d’ailleurs, elle n’est pas proportionnée à la réalité directe de l’événement, mais prend sa source, là encore, dans l’inconscient de la personne et, plus préci- sément, sur les blessures inconscientes qui ont pu être ouvertes pendant la période de la construction de la per- sonnalité, essentiellement avant l’âge de 10 ans.

Lorsque la blessure se réveille...

Vincent a inscrit très tôt, dès l’âge de 4 ans, une blessure de rejet liée à l’attitude de son père qui s’est explicite- ment désintéressé de lui, ayant parfois des comportements de fort rejet à son égard, pour n’avoir d’yeux que pour son frère aîné. Le rejet figure parmi les 8 blessures prin- cipales qui peuvent ainsi être ouvertes dans l’enfance ou avant la naissance (les autres sont la trahison, l’abandon, l’humiliation, l’impuissance, l’injustice, l’insécurité, la dévalorisation). Lorsque Vincent évoque cette histoire familiale, lors d’un entretien qu’il est venu faire en couple, il exprime clairement ce ressenti qu’il avait eu, d’être celui qui était le moins aimé, le « second », et cela était, enfant, une souffrance indicible et insurmontable.

Nous pouvons imager cette situation psycholo- gique par une métaphore physique : si j’ai une grosse blessure sur le bras et que je gratte la croûte en perma- nence, « j’entretiens » en quelque sorte une blessure à vif. Mais tant que personne ne vient y toucher, je n’ai fina- lement pas si mal. Qu’il arrive quelqu’un qui me mette dessus une minuscule goutte d’alcool à 90° et je hurle de douleur. Ce qui veut dire deux choses : d’une part, j’ai mal, il y a de la souffrance qui est apparue. D’autre part, cette souffrance a engendré une émotion (la colère dans ce cas présent), qui a pour effet de produire de l’énergie avec laquelle, soit je me contente de hurler, soit j’adopte un comportement qui transforme cette énergie en violen- ce contre l’autre (je l’agresse pour avoir eu l’audace de mettre cette goutte d’alcool) ou contre moi-même.

Ce processus est illustré, pour le cas de Vincent, sur la figure ci-contre. Ainsi la réaction émotionnelle qui se traduit notamment par la mise en route du mécanisme de vengeance n’est-elle pas du tout en rapport avec l’événement, mais avec la blessure sur laquelle vient retentir l’événement.

Lâcher le ressentiment passe par la prise de conscience de ce mécanisme. Et par la perception que toute la violence que nous avons vers autrui, tous les jugements que nous avons besoin de porter sur notre interlocuteur, tous les désirs de vengeance que nous avons à son égard, n’ont qu’un seul but : tenter de nous convaincre que notre souffrance vient de lui et que nous n’y sommes pour rien. Essayer d’éviter à tout prix de nous confronter à notre propre blessure et d’assumer la responsabilité de nos ressentis de souffrance. S’il n’y a pas de blessure chez moi, l’autre peut verser un litre d’al- cool, je n’aurai pas l’ombre d’une souffrance...

Au cours d’entretiens du même type que ceux qui ont été décrits pour Richard, permettant de visualiser les personnes, les comportements, les ressentis à l’aide d’objets symboliques, Vincent a pu, en présence de sa femme, mettre de la distance avec les événements. Il a pu être entendu, notamment par sa femme, dans ses ressentis et il a élaboré lui-même avec les objets un schéma analogue à la figure décrite ci-dessus, en identifiant et nommant sa blessure réactivée.

La prise de conscience de sa propre responsabilité dans l’émergence de sa souffrance a immédiatement fait disparaître le désir de vengeance de Vincent. Il n’est plus nécessaire de détruire l’autre lorsqu’on s’aperçoit que ce n’est pas lui qui est à l’origine de l’ampleur de notre souffrance ! Cependant Vincent ne sera à l’abri de ce type de réaction que lorsque, par un travail plus complet, il aura réellement cicatrisé cette blessure d’enfance. Cela passe par la même démarche que ce qui a été évo- qué pour Richard : par le biais d’un objet, effectuer une restitution symbolique, à son père, de la violence initiale qui a créé cette blessure (violence qu’il a reçue par les comportements de rejet que son père a eus à son égard).

Un mot de conclusion...

Il convient donc de distinguer les situations où une vio- lence explicite a été reçue, des situations où l’un des protagonistes s’est blessé avec le comportement de l’autre. Les mécanismes qui activent le désir de vengean- ce sont des mécanismes inconscients, non accessibles à une simple décision réfléchie, mais seulement à un travail sur soi sur un plan inconscient, permettant d’accéder à une responsabilisation de nos ressentis. Si je suis res- ponsable, je n’ai plus besoin de détruire l’autre puisqu’il n’est pas responsable de ma souffrance... La visualisation par des objets et les démarches symboliques sont de fabuleux outils pour ouvrir ainsi la porte de l’inconscient et en faire notre allié pour nous permettre d’apaiser nos relations avec les autres, et avec nous-mêmes. 

Jean-Luc MERMET *

* Professionnel de la régulation non-violente des conflits et, plus largement, de la communication relationnelle. Directeur du centre de formation Reliance, crée à Grenoble en 1997. Vice-président de l’Institut ESPERE International créé par Jacques Salomé. Auteur du livre Deux bouts, la relation !, Lyon, Chronique Sociale, 20062. Courriel : jlm@centrereliance.com

1) Livre de référence : Pour ne plus vivre sur la planète TAIRE, Jacques Salomé, Éditions Albin Michel.

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Article écrit par Jean-Luc Mermet.

Article paru dans le numéro 150 d’Alternatives non-violentes.