Auteur

Stéphane Descaves

Localisation

Afghanistan

Année de publication

2011

Cet article est paru dans
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À quoi ressemblera votre prochaine colère ? Sera-t-elle noire ? Froide ? Homérique ? Et qu’en dira votre corps ? Sentirez-vous la délicate piqûre de la moutarde vous monter au nez ? Votre sang ne fera-t-il qu’un tour ? Ou bien serez-vous simplement hors de vous ?

Un ami, fort mécontent (heureusement, pas après moi), m’a dit un jour : « ils vont entendre parler du pays ! Ça va être Pearl Harbor ! » Tout un programme… Le dictionnaire[1] confirme : « colère : violent mécontentement, accompagné d’agressivité ».

La colère est une émotion. Comme toutes les émotions, elle est une réaction instinctive. Et, dès que l’instinctif est en jeu, nous avons parfois du mal à nous maîtriser (c’est peu dire…).

Comme toutes les émotions, la colère est aussi le terreau commun de l’Humanité. Les émotions sont les mêmes partout sur la planète (colère, joie, peur, tristesse, surprise, dégoût, etc.). Certes, selon les cultures, il est plus ou moins autorisé ou de bon goût de montrer sa colère, voire de lui donner libre cours. Mais tout être humain comprend immédiatement qu’autrui est contrarié : malgré la différence culturelle, on lit sur les traits du visage, on décode l’attitude corporelle, on perçoit la qualité de la voix (les intonations, le rythme de la parole).

Les émotions sont paradoxales dans la mesure où elles sont à la fois salutaires et dangereuses. Salutaires, car elles attestent de notre bonne santé psychique (une personne qui ne ressent pas d’émotions est psychiquement malade). Elles nous envoient des signaux, agissent comme des stimulateurs et aident notre organisme à rester en vie.

Mais en même temps, les émotions sont dangereuses : quand nous les laissons nous envahir, elles prennent le contrôle ; la raison a alors bien du mal à se faire entendre.

La colère, quant à elle, recèle un autre paradoxe apparent. En effet, d’un côté la sagesse populaire nous dit que « la colère est mauvaise conseillère », mais de l’autre, ne parle-t-on pas de la colère divine ? Si la colère est un attribut divin, elle n’est donc pas si mauvaise.

Y aurait-il donc des colères nobles ? Ou une dimension noble de la colère ?

La colère est la marque d’une indignation ; elle est souvent une réaction spontanée face à une injustice. Elle est liée au conflit, au désaccord, au besoin de reconnaissance, mais également à la maîtrise de soi. Une colère peut en effet rapidement virer à l’agression. La colère est donc à l’intersection de notions clés en non-violence. Elle a donc toute sa place dans ANV.

Quelle attitude adopter face à sa propre colère, face à celle de l’autre ? Comment résister à la force mimétique de la colère d’un adversaire (lequel ne manquera pas d’exploiter notre violence) ? Et à l’échelon d’un groupe, comment garder son libre arbitre et ne pas adhérer sans trop y réfléchir à la colère des autres ?

C’est probablement là que vient s’inscrire l’entraînement à la non-violence : soit on se laisse aller à la violence (verbale et/ou physique), soit on reste maître de son agir, sans violence.

S’il est vrai que rien ne se perd et que tout se transforme, alors que peut devenir la colère du point de vue de la non-violence ?

L’enjeu est sans doute tout d’abord de passer de l’énervement à la reconnaissance de la colère. Mise à distance et dûment utilisée, la colère est un ressort puissant : quand une personne ou un groupe exprime son désaccord en toute non-violence — sans insulter ni humilier, sans casser ni détruire —, l’indignation ne perd en rien de sa force. Au contraire, l’interlocuteur la perçoit nettement, de même que la détermination qu’elle engendre. Il comprend que les limites sont dépassées, qu’il a intérêt à enfin entendre et prendre en compte ce que l’on veut lui dire.

Savoir se mettre en colère, finalement, c’est tout un art.

C’est d’ailleurs ainsi que je reçois le désormais célèbre « Indignez-vous ! » d’un résistant de 93 ans[2].

À quoi ressemblera votre prochaine colère ? Sera-t-elle non-violente ?

 

[1] Le nouveau Petit Le Robert, 1993.

[2] Indignez-vous, Stéphane Hessel, Indigène Editions, décembre 2010.

Editorial

A quoi ressemblera votre prochaine colère ?Sera-t-elle noire ? Froide ? Homérique ? Et qu’en dira votre corps ? Sentirez-vous la délicate piqûre de la moutarde vous monter au nez ? Votre sang ne fera-t-il qu’un tour ? Ou bien

serez-vous simplement hors de vous ?

Un ami, fort mécontent (heureusement, pas après moi), m’a dit un jour : « ils vont entendre parler du pays ! ça va être Pearl Harbor ! » Tout un program- me... Le dictionnaire 1 confirme : « colère : violent mécontentement, accompagné d’agressivité ».

La colère est une émotion. Comme toutes les émotions, elle est une réaction ins- tinctive. Et, dès que l’instinctif est en jeu, nous avons parfois du mal à nous maîtri- ser (c’est peu dire...).

Comme toutes les émotions, la colère est aussi le terreau commun de l’Humanité. Les émotions sont les mêmes partout sur la planète (colère, joie, peur, tristesse, surprise, dégoût, etc.). Certes, selon les cultures, il est plus ou moins autorisé ou de bon goût de montrer sa colère, voire de lui donner libre cours. Mais tout être humain comprend immédiatement qu’autrui est contrarié : malgré la différence culturelle, on lit sur les traits du visage, on décode l’attitude corporelle, on perçoit la qualité de la voix (les intonations, le rythme de la parole).

Les émotions sont paradoxales dans la mesure où elles sont à la fois salutaires et dan- gereuses. Salutaires, car elles attestent de notre bonne santé psychique (une person- ne qui ne ressent pas d’émotions est psychiquement malade). Elles nous envoient des signaux, agissent comme des stimulateurs et aident notre organisme à rester en vie.

Mais en même temps, les émotions sont dangereuses : quand nous les laissons nous envahir, elles prennent le contrôle ; la raison a alors bien du mal à se faire entendre.

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1) Le nouveau Petit Le Robert, 1993.

Alternatives non violentes n° 158 • La colère, qu’en faire ?

La colère, quant à elle, recèle un autre paradoxe apparent. En effet, d’un côté la sagesse populaire nous dit que « la colère est mauvaise conseillère », mais de l’autre, ne parle-t-on pas de la colère divine ? Si la colère est un attribut divin, elle n’est donc pas si mauvaise.

Y aurait-il donc des colères nobles ? Ou une dimension noble de la colère ?

La colère est la marque d’une indignation ; elle est souvent une réaction spontanée face à une injustice. Elle est liée au conflit, au désaccord, au besoin de reconnais- sance, mais également à la maîtrise de soi. Une colère peut en effet rapidement virer à l’agression. La colère est donc à l’intersection de notions clés en non-violen- ce. Elle a donc toute sa place dans ANV.

Quelle attitude adopter face à sa propre colère, face à celle de l’autre ? Comment résister à la force mimétique de la colère d’un adversaire (lequel ne manquera pas d’exploiter notre violence) ? Et à l’échelon d’un groupe, comment garder son libre- arbitre et ne pas adhérer sans trop y réfléchir à la colère des autres ?

C’est probablement là que vient s’inscrire l’entraînement à la non-violence : soit on se laisse aller à la violence (verbale et/ou physique), soit on reste maître de son agir, sans violence.

S’il est vrai que rien ne se perd et que tout se transforme, alors que peut devenir la colère du point de vue de la non-violence ?

L’enjeu est sans doute tout d’abord de passer de l’énervement à la reconnaissance de la colère. Mise à distance et dûment utilisée, la colère est un ressort puissant : quand une personne ou un groupe exprime son désaccord en toute non-violence — sans insulter ni humilier, sans casser ni détruire —, l’indignation ne perd en rien de sa force. Au contraire, l’interlocuteur la perçoit nettement, de même que la déter- mination qu’elle engendre. Il comprend que les limites sont dépassées, qu’il a inté- rêt à enfin entendre et prendre en compte ce que l’on veut lui dire.

Savoir se mettre en colère, finalement, c’est tout un art.

C’est d’ailleurs ainsi que je reçois le désormais célèbre « Indignez-vous ! » d’un résistant de 93 ans 2.

À quoi ressemblera votre prochaine colère ? Sera-t-elle non-violente ?
Stéphane DESCAVES

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Article écrit par Stéphane Descaves.

Article paru dans le numéro 158 d’Alternatives non-violentes.