Auteur

François Vaillant

Localisation

Afghanistan

Année de publication

2012

Cet article est paru dans
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L’âge de la retraite a été retardé pour les salariés. Mais cela ne nous dit pas vraiment ce qu’est la vieillesse, comment elle se vit. Ce numéro d’ANV aborde volontairement beaucoup plus les questions liées à la fin de vie que celles liées au début de la vieillesse. Ce n’est pas parce celle-ci n’existerait pas ! À en croire les publicités qui vantent une éternelle jeunesse pour mieux vendre les crèmes antirides, des yaourts miracles, des voyages organisés et des chaussettes sans élastique, il n’y a même plus de vieillesse, tant « l’éternelle jeunesse » est là, vantée avec illusion au porte-monnaie souvent disponible. Le corps et l’esprit, certes, ne sont plus aussi alertes à 75 ans qu’à 20 ans, mais la période 65-85 ans est heureuse pour le plus grand nombre, tant mieux.

L’approche vers la fin de vie est moins alléchante que les premières années d’une retraite bien méritée. Elle est appréhendée à reculons, en regardant de plus en plus dans le rétroviseur, que l’on soit croyant ou non, et même si l’on a déjà acheté sa tombe, sa cérémonie de funérailles et son faire-part d’adieu qu’il suffira de compléter. Faut-il absolument se maintenir à domicile ou alors envisager d’aller en maison de retraite ? Et quand une maladie dégénérative surgit, de type Alzheimer ou Parkinson, que dire, que comprendre, que faire ? Et sur la fin de sa propre vie, convient-t-il à chacun d’émettre un désir, une demande ? Ce numéro d’ANV apporte des réflexions de fond sur la question des soins palliatifs comme sur celle de l’euthanasie volontaire. À chacun de se faire une idée.

La grande vieillesse fait peur, parce qu’elle est un dénuement qui fait passer du « paraître » à l’ « être » ; la triche n’est plus vraiment possible. C’est une heure de vérité où la conscience d’exister vient éclairer la mémoire que l’on veut laisser à ses proches, quand il y en a encore. J’ai connu une vieille dame de 96 ans qui rayait dans son carnet d’adresses le nom de ceux qui mouraient au fur à mesure avant elle. Elle s’exclama un jour « toutes les adresses sont rayées maintenant ! Je suis la dernière à rester ! Ce n’est plus un carnet d’adresses mais un carnet du souvenir ! ».

Les personnes très âgées ne peuvent plus rien faire, elles sont complètement inutiles à la société. Mais leur existence montre que la société est encore humaine à leur égard. Nous avons besoin de leur témoignage d’existence pour nous faire comprendre que « la raison d’être de l’être, c’est d’être » (Aristote), car leur témoignage prévaut pour nous aider à mesurer chaque jour que la vraie vie n’est pas dans l’avoir mais du côté de l’être. Nous savons tous que le monde triche partout et tout le temps. Les personnes très âgées viennent nous rappeler que la triche est vaine, dangereuse. Leur tâche est une tâche de résistance. Le vieillard grabataire est un résistant, un combattant. Il ne s’accroche pas seulement à la vie, il se bat en réalité pour notre propre dignité, pour le respect de nous-mêmes, pour que l’homme ait toujours le droit d’être un homme. Demandons à chaque société comment elle traite les grands vieillards, nous saurons alors ce qu’elle fait des droits de l’homme, du respect de la personne humaine, et donc ce que cette société vaut en humanité.

Ce numéro d’ANV montre que le rapport violence/non-violence parcourt en réalité toute la question du vieillissement. Quel jeune ou adulte n’aurait pas besoin de l’expérience de vie des personnes très âgées, de leur estime comme de leur expérience en non-violence, pour grandir en humanité ? Il est possible qu’à « un certain âge, les deux bras d’un fauteuil attirent plus que les deux bras d’une femme » (Flaubert), mais « ce n’est pas parce qu’on a déjà un pied dans la tombe qu’on doit accepter qu’on nous marche sur l’autre » (Denise Grey).


Article écrit par François Vaillant.

Article paru dans le numéro 162 d’Alternatives non-violentes.