Vivre mieux, le plus longtemps possible

Auteur

Christine Laouénan

Année de publication

2012

Cet article est paru dans
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Loin d’être dissocié des autres étapes de l’existence, le vieillissement fait partie intégrante d’une trajectoire de vie. Peut-on s’y préparer ? Qu’est-ce qui constitue un vieillissement serein ?

Qu’est-ce que vieillir ?


Pour moi, vieillir, c’est accepter de perdre. Au fil des ans, la personne affronte les profonds changements qui s’opèrent dans son corps et dans son esprit. Le visage se ride, la silhouette se plie… Le vieillissement enlève une à une toutes les raisons de s’aimer physiquement. La femme comme l’homme ne peuvent plus éprouver ce plaisir d’être belle/beau et d’attirer les regards sur ellelui. C’est une blessure cruelle que la vie nous inflige : chaque fois que la personne ressent une perte, même discrète, de son autonomie — elle entend ou voit un peu moins bien, peine davantage à se déplacer… —, elle est blessée dans son amour-propre. 

Comme les capacités physiques sont amoindries, la personne doit économiser ses efforts. Elle fait également l’expérience d’une plus grande vulnérabilité, d’une peur. Je me souviens d’un collègue chirurgien, grand voyageur, qui a fait un infarctus. « Si cela m’arrive en Chine, je meurs », s’inquiétait-il. 

Comme la montgolfière est délestée de ses poids au fur et à mesure qu’elle prend de la hauteur, l’être vieillissant fait le deuil d’une partie de lui-même pour devenir autre. Au crépuscule de sa vie, il doit faire preuve d’un esprit inventif pour s’ajuster à cette nouvelle réalité et accepter sa finitude. Mais perdre, c’est aussi gagner. En renonçant à des aspects familiers d’ellemême, la personne qui a avancé en âge lâche prise sur l’accessoire pour se rendre disponible à l’essentiel ; elle aboutit ainsi à une plus grande unité intérieure. Cette transcendance, cette sublimation enrichit l’homme ou la femme âgée et son entourage.

 

 

Les personnes qui sont axées sur la séduction n’éprouvent-elles pas plus de difficultés à vieillir ?


Vieillir est d’autant plus difficile que la tyrannie du jeunisme impose de répondre aux canons esthétiques qui associent la jeunesse à la beauté. Les femmes et les hommes qui sont enfermés dans un idéal physique — une valeur périssable — acceptent très difficilement le poids des ans et vieillissent d’ailleurs avant tout le monde. Ils s’accrochent, en effet, avec l’énergie du désespoir à cette jeunesse qui leur file entre les doigts, notamment en usant d’artifices. Quiconque dénie son vieillissement s’enferme dans une excitation dangereuse qui risque fort de gripper les rouages de sa machine et de provoquer des accidents.

Certaines personnes sont tentées de faire appel à la chirurgie esthétique qui peut constituer un excellent soutien, à condition d’être pratiquée avec modération. Ces interventions qui ont une durée de vie limitée ne procurent pas toujours les effets escomptés. En effet, certains liftings donnent l’apparence d’un visage lisse qui est très proche du masque japonais, sans expression, sans vie. 

 

Comment bien vieillir ?


Loin d’être une donnée miraculeuse, le bon vieillissement qui constitue le prolongement de la vie se conquiert jusqu’au bout. Une personne épanouie a toutes les chances de réussir cette ultime étape de l’existence. Bien vieillir, c’est accepter le présent, sans regretter le passé.

L’estime de soi, qui est la capacité d’apparaître aimable à ses propres yeux, constitue également un capital précieux. Il permet, en effet, de mieux accepter les limites imposées par l’âge. Ce travail de tous les jours, cette dynamique est plus facile à réaliser à 25 ans qu’à 70 ans. Fragilisée par le déclin de ses forces, par la baisse de son pouvoir de séduction, la personne âgée est en effet tentée de se replier sur elle-même.

Pour pallier ces défaillances, l’individu qui s’aime suffisamment trouvera des relais précieux dans lesquels il pourra s’investir avec sérénité. Suivre un atelier de poterie, se livrer à des travaux de jardinage, redécouvrir un auteur oublié, reprendre une activité délaissée par la vie professionnelle, faire du bénévolat… sont autant d’activités qui ont le pouvoir de réalimenter l’estime de soi. À chacun son remède ! Il est essentiel également de privilégier les contacts ; gagner en échange avec d’autres ce qu’on est en train de perdre. L’investissement le plus satisfaisant consiste à multiplier les échanges affectifs et intellectuels avec des jeunes pour leur transmettre une partie de soi-même. La personne qui vieillit retrouve ainsi sa jeunesse dans leurs yeux. Les enseignants le savent bien, eux qui transmettent un savoir aux jeunes générations. 

En se souvenant des épisodes marquants de son passé, la personne s’identifie avec bonheur aux adultes âgés qui ont bercé tendrement son enfance. Mesurant la richesse de ce cadeau inestimable, l’homme ou la femme âgée éprouve à son tour le besoin de dispenser son affection aux jeunes générations. C’est normal d’avoir envie de donner ce qu’on a reçu. C’est ainsi que s’instaure une boucle vivante où toutes les générations se réunissent dans un même élan affectif. 

Aujourd’hui, les relations entre les grandsparents et les petits-enfants ont perdu de leur spontanéité, de ce caractère joyeux immédiat en raison des distances géographiques entre les générations. Il est moins fréquent de pouvoir traverser la rue pour aller frapper chez la mamie ou le papy. Désormais, il faut organiser les rencontres durant les vacances, le week-end.

 

Y-a-t-il un âge pour aimer ? 


Il n’y a pas d’âge pour exercer ses talents, tout comme il n’y a pas d’âge pour désirer et aimer. La partition de la sexualité se joue sur le mode mineur, mais avec tout autant d’intensité. Contrairement aux animaux, l’être humain dispose d’une sexualité qui est à la fois physique et mentale. Le désir corporel peut donc être dissocié des fantasmes, rêves et désirs qui peuplent notre univers psychique. Même dans les maisons de retraite, les personnes font des rêves érotiques. En vieillissant, la vie sexuelle continue à être riche, pourvu que la personne intègre les nouveaux changements corporels. La sexualité à un âge avancé connaît des gestes plus lents, plus tendres, hors des sentiers battus de la performance et de la fréquence. Cette sexualité est souvent plus libre, chaque partenaire étant alors très à l’écoute de l’autre. On peut aimer toute la vie.


Article écrit par Christine Laouénan.

Article paru dans le numéro 162 d’Alternatives non-violentes.