Auteur

Élisabeth Maheu

Année de publication

2018

Cet article est paru dans
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Si la colère est compréhensible, casser est illégitime

Le Drenche est un journal de débat dans lequel le lecteur se forge sa propre opinion en lisant le "Pour" et le "Contre" de chaque sujet. Autour de la question : "Casser : moyen d'action légitime ?" (pendant les manifestations…) Le Drenche a sollicité le MAN pour "défendre le Contre". Au MAN, nous pensons justement que c’est une question de points de vue. Quand il y a dégradation, il est probable que les auteurs et les victimes de cette action n’en fassent pas la même appréciation. La loi permet d’arbitrer les conflits quand le dialogue et le bon sens partagé ne sont pas assez puissants pour s’en sortir, quand les intérêts sont trop divergents ou bien quand les rapports de force sont trop déséquilibrés. La loi est une photo à une époque donnée des valeurs dominantes de la société. Mais la loi peut avoir du retard sur l’actualité et l’évolution des mœurs. Il y a parfois un décalage entre ce que nous estimons juste et légitime en conscience et ce que dit la loi.

Le texte ci-dessous, envoyé au Drenche pour publication, a été élaboré de façon coopérative par les membres du Comité d’animation fédéral du MAN.

Lors des manifestations il arrive que des vitrines de magasins, du mobilier urbain, des véhicules, soient cassés, dégradés. Il nous semble compréhensible et même sain de ressentir de la colère face à une injustice, face au non-respect des droits humains, aux exclusions et aux discriminations, mais aussi face à l’usage excessif de la « violence légale » des forces de police. Cette colère est légitime. Cela ne rend pas pour autant légitimes toutes sortes de manifestations de cette colère.

Pour qu'une action soit « légitime », quelle que soit la définition admise du mot, elle doit être au minimum acceptable, même si elle est illégale. Acceptable signifie qu’elle est comprise et non condamnée par une proportion importante de la population. Elle est alors susceptible d’être reconnue comme étant tolérable du point de vue de la justice, voire à terme, de devenir légale, ou bien de faire bouger la loi.

C’est ce qui s’est passé, par exemple, pour les « Faucheurs Volontaires d’OGM ». Faucher un champ de maïs transgénique est assimilable à de la casse. Pourtant les actions des Faucheurs Volontaires ont été considérées comme « légitimes » puisqu’elles ont abouti à l’interdiction de la culture en plein champ des plantes génétiquement modifiées. Toutefois, ces actions répondent à des critères bien spécifiques qui en font des actions de désobéissance civile :

  • actions collectives à visage découvert, et nommément revendiquées.
  • le matériel endommagé (ici des pieds de maïs transgénique) est strictement ciblé.
  • l’objectif est d’aller devant la justice pour faire d’un procès une tribune et tenter de prouver l’iniquité de la loi en place, pour plaider la légitimité de ces actions et aboutir à une évolution de la loi dans le sens des revendications.

Ces critères très précis d’une action de désobéissance civile ne sont pas ceux que l’on retient, en général, quand on parle de « casse » dans les manifestations.

Les personnes qui « cassent » lors de manifestations le font la plupart du temps masquées et sans aller ensuite le revendiquer. Si certaines cibles sont précises, par exemple vitrines des banques, les dégâts « collatéraux » sont souvent importants : véhicules automobiles, mobilier urbain, devantures de magasins… Ces actions sont souvent davantage médiatisées que la cause défendue elle-même, elles ne sont pas comprises par la population, car sans rapport immédiatement logique avec les revendications. Par ailleurs, elles sont évidemment ressenties comme injustes et violentes par celles et ceux qui en sont victimes.

Il se trouve que la société française est de plus en plus intolérante à la violence, au gaspillage et à la pollution. Il en résulte que des dégâts matériels considérés il y a quelques années comme anecdotiques, sont ressentis aujourd’hui comme violents et inadmissibles, d'autant plus s'ils sont commis à l'occasion de manifestations annoncées comme non-violentes.

C’est pourquoi nous considérons comme illégitime et contreproductive la casse pendant les manifestations.


Article écrit par Élisabeth Maheu.

Article paru dans le numéro 188 d’Alternatives non-violentes.