Que peut faire NonViolent PeaceForce en Ukraine ?

Auteur

François Marchand

Année de publication

2022

Cet article est paru dans
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François Marchand est administrateur au Board de Nonviolent Peaceforce ; il est aussi membre du Comité de rédaction d’ANV et du Comité français pour l’intervention civile de paix.

Cet article fait le point sur le processus initié par NP pour adapter et mettre en place une intervention civile de paix (ICP) en Ukraine ; ce processus est en construction et l’évolution de la guerre peut créer des changements au fil des mois.

La guerre commence en février 2022, que faire ?

 

Dès le début de la guerre, on m’interpelait sur ce que les non-violents pouvaient faire et on me demandait notamment si l’on pouvait envoyer des équipes d’Interventions civiles de paix (ICP). Nonviolent Peaceforce ne devait-il pas intervenir immédiatement  J’observais d’ailleurs une grande confusion entre ICP et résistance civile non-violente (voir encadré page suivante). Ma première réponse était que l’ICP n’est pas conçue pour intervenir dans l’urgence, sauf si les équipes de paix sont déjà présentes sur place et sont insérées dans les réseaux locaux. Il est impossible d’arriver sur place comme le font des forces militaires, il faut pouvoir répondre aux besoins de protection exprimés localement.

L’action non-violente n’est pas inconnue des Ukrainiens qui la pratiquent depuis longtemps. NP était intervenu en 2015 et avait gardé quelques contacts. Le Bureau de NP débloque dès mars un budget pris sur son fonds de réserve pour envoyer une mission de reconnaissance en avril  celle-ci sera suivie d’une longue mission d’évaluation en mai sur Lviv, Kiev, Odessa, Dnipro, Kharkiv, Chuhulv, Zaporizhzhia et même Kherson avant l’occupation russe. La mission observe notamment l’isolement et un manque de soutien auprès des communautés vivant à proximité des lignes de front. NP reçoit alors de nombreuses demandes émanant principalement des organisations locales civiles (organisations de jeunesse, de femmes, etc., parfois très informelles)  celles-ci agissent pour l’essentiel en apportant une aide humanitaire aux déplacés et à la population en général  le trauma de ces volontaires civils est souvent évoqué. Ces organisations civiles locales demandent souvent directement à NP de la formation sur la protection non-violente. Mais ces organisations aident tout autant les civils que les militaires, ce qui pose un problème de neutralité pour des organisations humanitaires internationales « neutres ».

Une évaluation menée sur Mykolaiv faisait ressortir très concrètement de nombreux besoins : par exemple, les organisations de volontaires locaux ont beaucoup de difficulté à atteindre les zones rurales à l’extérieur de la ville, qui sont pourtant totalement dépendantes de leur aide  certaines organisations locales déploient de multiples initiatives parfois novatrices comme la Croix rouge de Mykolaiv qui intervient maintenant avec des vélos.

En juin 2022, on évaluait à 9000 les morts civils et à 15,7 millions les civils ayant besoin de protection et d’une aide humanitaire durable (selon l’Onu). Le fardeau de l’aide matérielle humanitaire et médicale repose presque exclusivement sur des équipes de volontaires civils locaux. Et l’hiver approche 

Dès le début de l’été, NP prend la décision d’intervenir et d’orienter sa présence sur deux objectifs :

Améliorer la sécurité et la sureté face aux risques imminents de violence, notamment les violences de genre.

Renforcer les capacités des communautés en matière de protection et de réponse aux violences.

 

NP prévoit le déploiement rapide d’une trentaine de personnes en petites équipes de 5 à 7 auprès des partenaires sur le terrain. L’objectif est de développer, par la formation, la capacité des communautés à répondre aux demandes d’aide d’urgence psychologique. Deux équipes fixes et deux équipes mobiles, basées à Odessa et Kharkiv, sont envoyées pour soutenir les communautés locales proches des lignes de front. NP cible donc clairement les deux secteurs les plus menacés : le Sud (Odessa, Mykolaiv et Kherson quand ce sera possible) et le Nord-Est (Kharkiv et Poltava)  NP installe aussi une représentation à Kiev.

Fin septembre, NP reçoit confirmation des financements attribués par la SDC (Swiss Agency for Development and Cooperation) et le NRC (Norwegian Refugee Council) pour une mission planifiée sur (au moins) 24 mois, et l’organisation engage dès octobre les recrutements des volontaires de paix  ceux-ci sont traditionnellement recrutés à la fois localement pour environ 50  de l’équipe et sur les 5 continents pour les « internationaux ». Les équipes seront complètes et opérationnelles avant la fin de l’année.

D’aucuns trouveront que cette intervention de NP n’est pas encore complètement claire et, effectivement, les premiers mois vont permettre de préciser les modes d’intervention qui seront multiples, différents selon les lieux et contextes : accompagnements protecteurs des civils intervenants eux-même pour aider leurs compatriotes, médiations, observations, etc. Le projet a été lancé en mars 2022, et deviendra pleinement opérationnel neuf mois plus tard, fin décembre. Cela rejoint ce que j’exprimais au début de l’article : une intervention ICP ne peut se réaliser dans l’urgence.

Évolution de l’ICP ou révolution ?

À y regarder de plus près, ce projet en Ukraine remet en cause certaines conditions fondamentales de l’ICP, notamment la condition d’impartialité – en anglais, on utilise plutôt non partisanship, soit « non-participation au conflit ». Cette intervention se fait uniquement du côté ukrainien, sans contact avec la partie occupée par la Russie  certes, ce n’est pas délibéré, mais seulement imposé par la grande difficulté de ces contacts  la Croix Rouge internationale a des contacts (réfugiés, échanges de prisonniers) avec les deux parties, mais dans le plus grand secret, et ce secret n’est pas compatible avec l’approche de l’ICP. Peut-on dès lors encore parler d’impartialité  Sans doute oui car, d’une part NP fait face à l’impossibilité actuelle de travailler avec les prorusses dans les territoires occupés et, d’autre part, NP affiche clairement qu’il ne prend pas part au conflit et applique le droit international et le respect des droits humains. La victime est clairement l’Ukraine, mais cette intervention non-violente risque d’être perçue, à juste titre, comme un soutien au peuple ukrainien qui lutte pour défendre son territoire et ses droits. Cette problématique se rapproche de l’utilisation des méthodes d’ICP dans nos propres pays comme NP le pratique depuis quelques années aux USA. La conclusion à retenir est que l’ICP est en pleine évolution et diversification, que des formes nouvelles apparaissent, mais qu’elles reposent toujours sur les trois principes : la non-violence, le fait de ne pas prendre part au conflit et de donner la priorité aux acteurs locaux.

À l’avenir ?

Nous sommes dans un conflit qui devrait malheureusement durer encore longtemps et la présence de forces de paix telles que celles de NP, bien installées et insérées dans les réseaux locaux et leurs acteurs, pourrait un jour permettre d’établir le contact avec des civils prorusses, ainsi qu’avec les autorités administratives et militaires russes d’occupation, et les organisations séparatistes.

La guerre ne sera probablement jamais complètement gagnée par l’un des adversaires et l’évolution du conflit devrait offrir des opportunités pour faire jouer pleinement les méthodes de l’ICP. •

ICP ? RCNV ? DCNV ? Faisons la différence !

ICP : L’intervention civile de paix a pour objectif de protéger les civils par les civils et de faciliter les processus de paix qui peuvent apparaître ; elle est pratiquée par des volontaires sans armes, de toutes nationalités, qui ne prennent pas part au conflit et laissent la priorité aux acteurs de paix locaux.

RCNV : La résistance civile non-violente est une résistance utilisant toute la panoplie des moyens non-violents ; ceux qui la pratiquent prennent donc part au conflit.

DCNV : La défense civile non-violente est l’organisation, anticipée par les responsables politiques d’un pays, d’une forme de défense sans armes fondée sur la non-collaboration avec l’adversaire ; elle a surtout une fonction de dissuasion. À partir du moment où l’adversaire a occupé le pays, elle devient une résistance civile organisée.

La RCNV est pratiquée par la population ukrainienne depuis le début de la guerre (voir la note 2 dans cet article). L’implantation de l’ICP se met progressivement en place comme le décrit cet article. La Défense civile non-violente aurait, elle, été possible ?


Article écrit par François Marchand.

Article paru dans le numéro 205 d’Alternatives non-violentes.