Boris Cyrulnik n'est pas ''le père de la résilience''

Auteur

François Vaillant

Année de publication

2023

Cet article est paru dans
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François Vaillant, rédacteur en chef d’ANV, auteur notamment de La non-violence. Essai de morale fondamentale, Paris, Le Cerf, 1990 ; La non-violence dans l’Évangile, Paris, Éd. Ouvrières, 1991 ; Un taxi dans Paris, Paris, Temps présent, 2016.

Boris Cyrulnik n’est pas le « père de la résilience » Pourquoi ses ouvrages se vendent-ils si bien ?

La notion de résilience existe bien avant Boris Cyrulnik. Est-il vraiment le scientifique que les médias présentent si souvent ? Pourquoi le mot « résilience » est-il si souvent galvaudé, notamment dans les écrits liés à la psychologie positive et dans des discours marqués par le néolibéralisme ? Et la non-violence dans tout ça ?

Pourquoi cet article ?

Quand, suite à une proposition du Comité de rédaction d’ANV, je contacte le psychologue clinicien Christian Robineau[1] pour lui demander un article sur B. Cyrulnik et la résilience, je suis loin de m’imaginer la suite. Sa réponse est un « non » net et précis, principalement motivé par le fait qu’il n’a aucunement envie d’écrire sur Cyrulnik, dont il remet radicalement en cause la rigueur et l’honnêteté intellectuelle. Loin de me laisser choir, Christian Robineau m’indique des liens de la Toile pour m’aider à comprendre sa position. Je lis ces articles en vérifiant la qualité de leurs auteurs et les sources indiquées ; je découvre que ces écrits font autorité dans le milieu psy non lié à la psychologie positive.

Je m’interroge : comment se fait-il que les propos du docteur Cyrulnik soient à l’origine d’un leurre phénoménal, aussi étonnant que préoccupant ? Je commande illico quatre ouvrages de Cyrulnik pour me faire ma propre opinion.

Vous avez dit « résilience » ?

Le mot « résilience » est depuis une vingtaine d’années indiscutablement associé à B. Cyrulnik. Nombre de journalistes écrivent dans des médias[2] – comme Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Point ou encore L’Express – que Cyrulnik est « le père de la résilience » ou même « l’inventeur de la résilience ». Or il n’a inventé ni cette notion ni son appellation ! Celle-ci était présente dans des publications de chercheurs bien avant que Cyrulnik ne la popularise en France en 1999 en publiant Un merveilleux malheur[3]. En effet, relève Fillod[4], on la trouve déjà par exemple « en 1985 en anglais sous la plume de Michael Rutter (un chercheur qui semble à maints égards être une source importante de l’inspiration de Cyrulnik sur le sujet), et en 1996 en français sous celle de plusieurs auteurs[5]. » À qui douterait que Cyrulnik se targue d’être l’ « inventeur du concept de résilience », je renvoie à l’émission de France 2 Tout le monde en parle[6], où il acquiesce à ce propos tenu par Thierry Ardisson.

Le Dictionnaire culturel en langue française d’Alain Rey explique que le mot français « résilience » vient du mot anglais resilience, attesté en 1824, signifiant « le fait de rebondir ». Ce terme anglais dérive du latin resilire (de re-salire), qui se traduit en français par « rebondir », « résilier ». Ceci atteste que le mot résilience, au sens de rebondir, a existé en français bien avant que Cyrulnik ne l’utilise. Le premier emploi du mot « résilience » en français remonte au XIXe, avec le développement de la sidérurgie et de ses applications. La résilience désigne ici la capacité d’un matériau à absorber de l’énergie quand il se déforme sous l’effet d’un choc[7]. On retrouve ensuite le mot résilience au XXe siècle chez des écrivains et romanciers, comme Paul Claudel et André Maurois[8], pour signifier l’acte de rebondir dans l’existence après une difficulté éprouvante. Le mot résilience apparaît donc en France dans le langage de la physique, passe ensuite en littérature puis est utilisé en éthologie, psychiatrie et psychologie.

B. Cyrulnik ne donne pas dans ses livres et articles une mais plusieurs définitions de la résilience. Par exemple, en page 4 de couverture d’Un merveilleux malheur[9], on lit : « […] Un mot permet d’organiser notre manière de comprendre le mystère de [ces enfants] qui s’en sont sortis. C’est celui de résilience, qui désigne la capacité à réussir sa vie, à se développer en dépit de l’adversité. En comprenant cela, nous changerons notre regard sur le malheur […]. ». Et dans Les Vilains petits canards, « La résilience est un processus, un devenir de l’enfant qui, d’actes en actes et de mots en mots, inscrit son développement dans un milieu et écrit son histoire dans une culture[10]. »

La meilleure définition de la résilience issue des écrits de Cyrulnik est peut-être : « La résilience est la capacité d’une personne ou d’un groupe à bien se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères[11]. » Cependant, Michel Manciaux, agrégé en pédiatrie, qui utilise cette définition, précise qu’il « faut affirmer avec force que la résilience :

n’est jamais absolue, totale, acquise une fois pour toutes. Il s’agit d’une capacité qui résulte d’un processus dynamique, évolutif, au cours duquel l’importance d’un traumatisme peut dépasser les ressources du sujet ;

est variable selon les circonstances, la nature des traumatismes, les contextes et les étapes de la vie. Elle peut s’exprimer de façons très variées, selon les différentes cultures[12]. »

<FIG Résilience secondaire [N ; 8].psd>Par conséquent, il est difficile de s’entendre sur ce que résilience veut dire. Nous pouvons également relever des définitions transversales qui évoquent également la variété du champ de la résilience, dans la mesure où la résilience peut concerner non seulement un individu, mais aussi un groupe ou encore une communauté sociale. Une définition trop large tend à vider la notion de résilience de son intérêt. Le moment est venu de tordre le cou à l’expression « concept de résilience », c’est tout au plus une notion, certainement pas un concept. Une notion est plastique, ouverte à des variantes et sujette à redéfinition à mesure que la réflexion progresse, pas un concept[13].

La résilience telle que l’emploie B. Cyrulnik constitue-t-elle une avancée dans un domaine scientifique ou bien n’est-elle qu’un habillage pour du déjà connu ? Pour Bernard Golse, pédopsychiatre à l’hôpital Necker, à Paris : « On finira [bientôt] par conclure que les vrais facteurs de résilience se trouvent dans l’histoire personnelle de chacun. Et ça, on s’en doutait déjà[14] ! »

Vous avez dit « psychiatre, neuropsychiatre, neurologue, éthologue, psychanalyste, directeur de thèses… » ?

Boris Cyrulnik est-il à la fois psychiatre, neuropsychiatre, neurologue, éthologue, psychanalyste et directeur de thèses, comme il l’affirme souvent dans les médias ou qu’il y est présenté comme tel ? Les deux premiers termes sont exacts, le troisième laisse planer un doute, les deux derniers sont faux.

Pour illustrer ce qui précède, rien de mieux que de considérer l’enquête approfondie de Fillod[15]. Elle s’est intéressée à la façon dont B. Cyrulnik a été présenté dans la presse écrite de 1984 à 2013. Pour la seule année 2007, et sans prétendre à être exhaustive, elle relève :

« psychiatre » (Le Point, no 1811 du 31.05.2007) l ; « psychiatre et éthologue, directeur d’enseignement à l’université de Toulon » (Sciences & Vie, no 1079 du 08.2007 ; « neurologue et psychiatre », « psychanalyste » (Libération du 30.08.2007) ; « neuropsychiatre et théoricien de la résilience » (Le Monde du 31.08.2007) ; « chercheur », « neuropsychiatre », « directeur d’enseignement à l’université de Toulon » (Sciences Humaines, « Les grands dossiers » no 8, de 09.2007) ; « neuropsychiatre, éthologue, directeur d’enseignement à l’université » (Sciences et Avenir, no 729 de 11.2007) ; « psychanalyste » (La Dépêche du Midi du 05.11.2007) ; « éthologue » « neuropsychiatre » (Le Point du 15.11.2007) ; « neurologue », « éthologue et psychanalyste » (Le Monde du 21.11.2007).

Qu’est-ce qui est vrai et faux[16] ? Commençons par l’itinéraire de B. Cyrulnik. Né en 1937, il passe un bac littéraire et ambitionne d’entrer à Sciences Po où il échoue au concours d’entrée. Il s’inscrit alors au certificat de physique-chimie-biologie à la faculté des sciences de Paris, qu’il fallait obtenir à l’époque pour entrer en fac de médecine. Il est reçu en 1965 au concours des hôpitaux privés de Lyon et valide en 1967 un certificat d’études spéciales en Biologie appliquée aux sports. À 30 ans, il commence le certificat d’études spéciales (CES) en neuropsychiatrie, il fait fonction d’interne – sans être interne – pendant l’année 1967-1968 au sein du service de neurochirurgie du Pr David à l’Hôpital Sainte-Anne (Paris). Puis B. Cyrulnik est nommé interne des hôpitaux psychiatriques au concours de 1968, fait trois années d’internat en psychiatrie au Centre hospitalier de Digne, et valide en 1971 son CES de neuropsychiatrie. En résumé, « psychiatre, neuropsychiatre » sont exacts.

Et « neurologue » comme il le dit ? Ça se discute. Cyrulnik a certes suivi des cours de neurologie durant sa formation initiale, mais il n’a jamais été neurologue praticien en milieu hospitalier. S’il a bien été consultant des hôpitaux en neurologie de 1986-1991, cela n’a pu être que pour faire des consultations externes sous la responsabilité d’un neurologue praticien en titre. Mais voilà, le CES de neuropsychiatrie a été supprimé par un arrêté du 30 décembre 1968 pour être remplacé par deux spécialités : psychiatrie et neurologie, ce qui permet à Cyrulnik de se dire à la fois psychiatre et neurologue puisqu’il a obtenu son CES de psychiatrie courant 1971, après l’avoir commencé juste avant l’arrêté du 30 décembre 1968. Remarquons au passage que c’est en tant que psychiatre qu’il est inscrit dès 1971 à l’ordre des médecins du Var, et non en tant que neurologue.

Quid d’ « éthologue » ? Notons que B. Cyrulnik n’a aucun diplôme en éthologie. Ceci étant dit, Fillod écrit : « il n’y a pas que les diplômes qui comptent : il ne serait pas aberrant de le présenter comme éthologue s’il avait occupé un poste de chercheur en éthologie et publié des recherches dans ce domaine, ne serait-ce que sur les goélands dont il a plusieurs fois été écrit qu’il était un spécialiste. Hélas, trois fois hélas : il n’a jamais occupé de tel poste, et le WoS[17] ne contient la trace d’aucun article scientifique signé de son nom publié dans une revue d’éthologie ou relevant de l’observation d’animaux dans leur milieu naturel. Ni sur les goélands, ni sur une autre espèce. Il semble bien que Boris Cyrulnik ne fasse ‘’autorité en matière d’éthologie’’ qu’aux yeux de ceux qui ont eu la faiblesse d’y croire – ou de vouloir le faire croire. À mon sens, le simple fait de se présenter comme éthologue relève dans son cas de l’imposture[18]. »

Vous avez dit « psychanalyste » ? B. Cyrulnik ne mentionne aucun diplôme en psychologie dans ses curriculums vitae[19]. Et contrairement au titre de psychologue, le titre de psychanalyste n’a aucun statut légal et la profession n’est pas réglementée. Cyrulnik n’a jamais été inscrit dans une école psychanalytique et il ne mentionne pas le titre de psychanalyste dans ses curriculums vitae. Dans un entretien au Nouvel Observateur, il précise : « J’ai suivi moi-même deux cures psychanalytiques, la seconde faisant suite au décès de ma première analyste. Tous deux étaient de tradition lacanienne. On m’a parfois présenté comme psychanalyste, mais je n’ai jamais exercé cette profession et ne me suis jamais présenté comme tel[20]. » L’erreur est donc attribuable aux journalistes.

Cyrulnik peut écrire une chose et son contraire (encadré)

Dans plusieurs de ses livres et entretiens accordés à la presse, Cyrulnik dit qu’il a été à la pointe de la prise en charge et de l’étude des enfants découverts dans les orphelinats roumains après la chute de Ceausescu en 1989. Par exemple : « J’ai beaucoup travaillé avec les orphelins roumains de l’ère de Ceausescu, abandonnés très tôt dans des institutions inhumaines[21]. » En 2006, il explique lors d’une conférence avoir eu l’idée de faire passer des scanners à ces enfants et constaté que l’ « atrophie fronto-limbique » dont ils souffraient initialement avait disparu un an après leur placement dans des familles[22]. Puis il dit en 2007 dans Psychologie magazine : « J’ai été l’un des premiers à décrire les atrophies cérébrales liées à une carence affective. Au début, bon nombre de neurologues ne m’ont pas cru[23]. »

Le problème est que cette observation par Cyrulnik d’atrophie fronto-limbique est fausse ! D’une part, Fillod a eu beau chercher dans la littérature scientifique se rapportant aux études de suivi des orphelins roumains adoptés, elle n’a trouvé ni article signé par Cyrulnik ni la moindre mention de lui. En fait, c’est par Michael Rutter que bon nombre de ces études ont été menées. D’autre part, Fillod note que comme tous les auteurs « qui ont publié sur le sujet, Rutter a constaté qu’une part significative des anomalies comportementales ou cognitives constatées chez un grand nombre de ces enfants n’avaient pas disparu même plusieurs années après leur adoption[24]. »

F. V. (fin encadré)

Dans son curriculum vitae de 2007, Cyrulnik mentionne la « direction et participation au jury d’une cinquante de thèses en France et à l’étranger » en « Psychiatrie Médecine », « Psychologie IIIe cycle », « Neuro-Sciences », « Éthologie » et « Psychoéducation ». Dans celui de 2008, il a été « directeur d’une cinquantaine de thèses ». Il ne faut pas s’étonner qu’ensuite des journalistes et les organisateurs de conférences le présentent comme directeur de thèses[25]. La vérité est que Cyrulnik ne peut avoir dirigé aucune thèse universitaire, c’est-à-dire un travail de recherche de trois ans minimum conduisant à l’obtention d’un doctorat universitaire. En effet, il faut pour cela être titulaire d’une habilitation à diriger des recherches, or il ne l’a pas !

Cyrulnik est-il un scientifique auquel on peut se fier ? La réponse est donnée par lui-même lors d’une émission de La Grande Librairie : « J’essaye d’être scientifique, j’ai réussi à le faire croire, de temps en temps[26]. » Notre grand psychiatre va même se justifier en expliquant que, selon lui, « nous sommes contraints de nous mentir, nous avons un devoir de “se mentir”. […] c’est l’auto-mensonge nécessaire, le leurre nécessaire. Je suis obligé de me leurrer pour me donner une direction et peut-être pour donner sens à ma vie », car « le mensonge participe à la structure de la personnalité, et même la favorise[27]. »

Les éditions Odile Jacob, où paraît le plus grand nombre des livres de Cyrulnik, prennent soin maintenant de mentionner uniquement en quatrième page de couverture de ses récents ouvrages et des rééditions d’anciens : « Psychiatre et directeur d’enseignement à l’université de Toulon », rien d’autre. En effet, sur le site de cette université, on lit que Cyrulnik est encore en 2023 « responsable pédagogique du Diplôme universitaire (DU) d’éthologie “Attachement et systèmes familiaux’’ de l’Université de Toulon. » Cyrulnik n’enseigne pas en licence ou Master, il n’a pas pour cela le grade universitaire requis. Un DU n’est pas un grade universitaire mais apporte une spécialisation dans un domaine particulier.

La renommée scientifique de Cyrulnik est-elle contestable ? Cette question paraît incongrue à qui le voit comme un scientifique de premier ordre. Son aura médiatique de sage bienveillant qui rassure lui confère une légitimité étonnante qui lui vaut de s’exprimer en public sur les sujets les plus divers – et de vendre à profusion ses nombreux ouvrages, au total en France plus de trois millions d’exemplaires.

Cyrulnik souffre-t-il de n’avoir pas été davantage reconnu par l’Université ? Toujours est-il qu’il a créé en 2014 à Toulon l’ « IPE[28] Boris Cyrulnik ». Cet institut privé dispense pour « les professionnels de la petite enfance », un enseignement payant portant sur l’alimentation du nourrisson, l’organisation de l’espace des crèches, l’apprentissage du langage, le cerveau de l’enfant ou la théorie de l’attachement. À l’issue de chaque session, Cyrulnik en personne remet les diplômes, qui n’ont aucune reconnaissance nationale.

Finalement, comme l’écrit Chavassus-au-Louis : « On trouve tout chez Cyrulnik, et c’est sans doute ce qui fait son succès. Tout sauf de la science[29]. »

Et la non-violence dans tout ça ?

B. Cyrulnik n’emploie pas le mot « non-violence ». Tant mieux, cela évite des malentendus. En quoi le principe de non-violence, si peu connu et valorisé, diffère-t-il du processus de résilience ?

Le principe de non-violence donne matière à réguler des conflits interpersonnels, à promouvoir une éducation digne de ce nom. Il permet aussi de vivre collectivement un combat pour plus de justice sociale, de s’impliquer dans des luttes face au dérèglement climatique, etc. Il s’agit bien dans ces différents domaines d’assumer un conflit en sortant de sa bulle, afin de trouver des formes de résistance en vue d’établir de nouvelles conditions de vie. La compétence pour réguler des conflits interpersonnels ou sociétaux n’est pas innée, elle s’acquiert[30], et tout le monde est apte à l’acquérir. En termes de résilience, il est dit qu’une personne, quand elle est aux prises avec un méfait traumatisant qui la bloque dans son humanité, peut rebondir grâce au processus qu’elle a su mettre en branle. Mais à condition « d’être équipée d’une bonne vitalité ; de pouvoir raconter ; de rencontrer un tuteur de résilience ; de s’engager dans un projet qui a du sens[31]. » Quid pour les personnes qui ne sont pas équipées pour accomplir l’ensemble du processus ? La résilience n’est pas une compétence que tous peuvent apprendre, mais un chemin que certaines personnes ont la chance de pouvoir emprunter. À lire la littérature concernant la résilience, on découvre que le sujet ne peut se découvrir être devenu résilient qu’après avoir traversé les étapes d’un processus.

Le principe de non-violence engage la personne dans un collectif qu’elle choisit. Cet aspect politique par essence est à souligner avec vigueur. À force de mettre « la résilience à toutes les sauces[32] », le risque n’est-il pas de laisser penser au sujet qu’il lui revient de trouver lui-même la solution à son malheur sans voir que celui-ci peut provenir d’un dysfonctionnement dans la société ? On risque même de glisser vers l’idée qu’on est soi-même responsable de son malheur ou de son bonheur, sans jamais interroger la responsabilité des institutions. Ce n’est pas un hasard si le mot résilience est de nos jours si copieusement employé par des managers en entreprises ou des responsables du monde politique pour orienter les citoyens vers un soi-disant bien-être individuel, au lieu d’engager des politiques concrètes pour l’égalité entre citoyens et citoyennes, la sobriété énergétique, des mesures pour sauver l’hôpital, l’école, la biodiversité, etc., des mesures qui ne soient pas du sparadrap. Il convient de comprendre que le discours inflationniste autour de la résilience appartient au néolibéralisme pour lequel il n’y a pas de société mais que des individus. Le néolibéralisme estime qu’un échec social personnel provient principalement d’une psyché défaillante et non du dysfonctionnement des institutions et de la société. Nous retrouvons cette vision dans « la psychologie positive ». Sans regard critique sur les institutions et les personnes qui les dirigent, celle-ci vante le bien-être et le bonheur individuel à longueur d’ouvrages, au point de déborder des consoles des supermarchés. Si bien qu’au fil des années, le sort du mot résilience est devenu intimement lié au self help (développement personnel). À l’inverse, le principe de non-violence incite à soulever le voile sur les dysfonctionnements structurels dans une société et fournit des méthodes pour les analyser et y remédier par la lutte dans le champ politique. Rien d’étonnant que le néolibéralisme ambiant n’ait rien à redire aux ouvrages de développement personnel, dont font partie la plupart de ceux qui traitent de la résilience et qui n’ont aucune incidence en politique[33]. Le principe de non-violence, lui, ne peut que susciter un engagement politique collectif pour bâtir un monde plus humain, plus juste, plus sobre. C’est en quoi la non-violence est à proprement parler révolutionnaire[34]

 

 

 

  


[1].   Ancien membre du Comité d’orientation d’ANV, psychologue clinicien auprès d’enfants et d’adolescents, coordinateur de plusieurs ouvrages aux éditions Érès, auteur d’articles dans des revues spécialisées comme dans ANV, voir no 197 et 20

[2].   Voir Odile Fillod http://allodoxia.odilefillod.fr/2013/06/27/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie2/ Odile Fillod est ingénieure diplômée de l’École centrale de Paris et titulaire d’un DEA en Sciences cognitives. Elle écrit régulièrement sur son blog Allodoxia. Elle est connue comme chercheuse indépendante et a beaucoup travaillé sur la résilience et Cyrulnik. Dans cet article dans ANV, les références à « Fillod » renvoient à son article cité en début de cette note.

[3].   Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob, 1999.

[4].   Fillod, art. cit.

[5].   Fillod, art. cit., note 1.

[6].   Le 22.02.2003, voir la note 13 de Fillod, art. cit.

[7].   Pour Alain Rey, le premier sens du mot « résilience » est le « Rapport de l’énergie cinétique absorbée nécessaire pour provoquer la rupture d’un métal, à la surface de la section brisée. La résilience, qui s’exprime en joule par cm2, caractérise la résistance au choc. »

[8].   Cité dans l’émission de France Culture En-quête d’idées du 22.02.2023.

[9].   Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, op. cit.

[10].  Boris Cyrulnik, Les vilains petits canards, Paris, Odile Jacob, 2001, cité ici dans l’édition de 2005, p. 225

[11]. Dans un document publié par la Fondation pour l’enfance (Paris), cité par Michel Manciaux dans la revue Études 2001/10 (Tome 395), p. 322.

[12].  Voir l’article de Michel Manciaux « La résilience », dans la revue Études 2001/10 (Tome 395), pp. 321

[13].  Un concept en philosophie est une idée abstraite et générale. Cette représentation mentale objective, stable et exprimée par un mot s’obtient par un effort d’abstraction.

[14]L’Express, n2689, cité dans la note 7 de Fillod, art. cit.

[15].  Voir Fillod, art. cit.

[16].  Ce qui suit résulte des indications documentées apportées par Odile Fillod, art.cit. et par Nicolas Chevassus-au-Louis dans « Le grand bazar de Boris Cyrulnik », Revue du Crieur, 2017/1 (no 6).

[17].  Le Web of Science (WoS) est une base de données bibliographiques qui signale la littérature scientifique mondiale parue dans plus de 200 000 périodiques de référence.

[18].  Fillod, art. cit.

[19].  Voir Fillod, art. cit. qui permet d’accéder aux CV de 2007 et 2008 de Cyrulnik.

[20]. Nouvel Observateur du 15 mars 2012, cité par Fillod, art.cit.

[21].  Dans Psychologie Magazine de mars 2001, cité par Fillod, art. cit.

[22]. Dans Psychologie Magazine de mars 2001, cité par Fillod, art. cit.

[23]. Entretien paru dans Nouvelles Clés, voir note 14 de Fillod, art. cit

[24]. Fillod, art. cit., et voir note 16 avec les références d’articles scientifiques.

[25]. Par exemple le Conseil général des Ardennes en mars 2013, où Cyrulnik est présenté : « Professeur à l’université de Toulon », « neurologue, psychiatre, éthologue et psychanalyste », « Deux cent publications scientifiques », « Direction d’une cinquantaine de Thèses », etc. Source : Fillod, art. cit.

[26]. France 5, La Grande Librairie du 27 sept. 2012.

[27].  Extrait de l’article de Marie de Solemne, « Le mensonge est une preuve d’intelligence. Entretien avec Boris Cyrulnik », Psychologies magazine, no 173, de mars 1

[28]. Institut Petite Enfance.

[29]. Nicolas Chevassus-au-Louis, « Le grand bazar de Boris Cyrulnik », dans la Revue du Crieur, 2017/1 (no 6), p. 37. Cet auteur est historien, neurobiologiste et journaliste scientifique.

[30]. Voir par exemple ANV nos 206, 204, 202, 197, 192, 193, etc. On trouve sur le site d’ANV de nombreux articles en lecture gratuite sur la régulation non-violente des conflits et la logique des actions non-violentes.

[31].  Voir dans ce numéro d’ANV l’article précédent, d’Élisabeth Maheu, où sont détaillées les quatre étapes du processus de résilience.

[32]. Voir dans ce no 209 d’ANV les articles d’Élisabeth Maheu et de Thierry Ribault.

[33]. L’apolitisme est toujours du côté des conservateurs.

[34]. Lire par exemple : Jon Palais, La bataille du siècle. Stratégie d’action pour la génération climat, Paris, Éd. Les liens qui libèrent, 284 p., 2023 ; Pauline Boyer et Johann Naessens, Manifeste pour la non-violence, Paris, Éd. Charles Léopold Mayer, 256 p., 2022.

 


Article écrit par François Vaillant.

Article paru dans le numéro 209 d’Alternatives non-violentes.