Auteur

Élisabeth Maheu

Année de publication

2023

Cet article est paru dans
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Élisabeth Maheu est formatrice en régulation non-violente des conflits, membre du MAN et du Comité de rédaction d’ANV.

Résilience, ce mot à la mode !

Parmi différentes visions de la résilience, une nous intéresse : il s’agit d’accompagner les personnes victimes de violences graves dans un processus de réparation qui met à jour le traumatisme vécu, dénonce les violences subies, et permet malgré tout de retrouver une vie acceptable et responsable.

La résilience, à tort et à travers

Les Fermes d’Avenir évoquent des fermes « résilientes », sont-elles plus adaptées au climat, sobres en eau ? Le journal La Croix parle de « résilience » pour fêter ses 140 ans, c’est pour lui de la longévité[1] ! Jean Castex annonce « un plan de résilience » [2], au sens de résistance et de protection. Le terme est repris par Emmanuel Macron et Le Figaro le commente en parlant de « la dernière trouvaille sémantique du quinquennat[3] ». Aujourd’hui, on parle de résilience dans les sciences humaines et sociales, en économie, urbanisme, biologie, etc. Certains estiment que cela change le regard sur le malheur. Soit. Mais cette notion de résilience reste bien floue si l’on ne distingue pas entre responsabilité personnelle et responsabilité collective. Et à la généraliser, on risque de lui retirer sa gravité, de la vider de sa substance, ou de l’instrumentaliser.

L’histoire du mot « résilience »

Ce terme est emprunté à la métallurgie où il désigne le retour à l’état initial d’un élément qui a été déformé, sa résistance au choc. Le terme résilience apparaît, en anglais, en 1626, dérivé du latin resilientia, pour décrire l’écho qui rebondit.

« Les premières approches psychologiques de la résilience sont nées dans les années 1940 avec les études menées par René Spitz et Anna Freud, sur les enfants placés en orphelinat ayant vécu des traumatismes pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces observations ont montré comment le développement de l’enfant a tendance à cesser suite à une carence affective (Cristina Castelli, 2015). Par la suite, dans les années 1970, la théorie de John Bowbly (1980) sur le lien d’attachement dessine la voie vers l’élaboration du concept de résilience qui apparaît pour la première fois en 1984 dans une étude d’Emmy Werner (Stanislaw Tomkiewicz, 2004[4] ».

La notion de résilience a été vulgarisée en France par Boris Cyrulnik (au-delà des controverses autour de son parcours professionnel et de ses références). En 1944, il fut témoin à 6 ans de la rafle à la grande synagogue de Bordeaux, lors de laquelle ses parents, juifs, furent embarqués. Ils sont morts en déportation. Il a pris appui sur son propre traumatisme pour devenir le chantre de la résilience que l’on connait.

Le mot résilience désigne alors cette capacité observée chez certaines personnes à surmonter des traumatismes graves vécus pendant leur enfance.

La résilience, un processus sous conditions

La résilience est ainsi vécue comme un processus qui permet de se développer et de vivre de manière acceptable « en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative[5] » ; la résilience comme un chemin pour tenter d’aller mieux. Ce n’est pas tout à fait pareil que de qualifier de résiliente toute personne optimiste et dynamique face aux inévitables petits tracas du quotidien.

La résilience ne peut pas, ne doit pas être une injonction, car c’est une violence pernicieuse que de faire peser sur la victime seule la responsabilité de s’en sortir, jusqu’à savoir trouver les bons tuteurs ou les bons exercices pour rester zen. Non, il n’y a pas une bonne ou une mauvaise façon de réagir à l’adversité, et ceux qui s’écroulent n’y mettent pas de la mauvaise volonté. La résilience n’est pas une qualité dont on peut s’enorgueillir.

Ni soumission de la victime à ce qu’on lui a infligé, ni révolte confuse avec son lot de violences réactives, la résilience en tant que processus vise une restauration de la personne en tant que sujet responsable. Cette réparation n’a rien d’automatique, elle relève même parfois du miracle, au vu de la gravité des traumatismes subis. Voyons quelles sont les conditions pour qu’une personne ait une chance de retrouver, non pas son état initial, mais la possibilité de continuer sa vie malgré tout et de lui donner un sens :

Être équipé d’une bonne vitalité

Certains enfants ont plus de santé que d’autres ; ils ne sont pas pour cela plus méritants. Nous ne sommes pas égaux face à l’adversité. Le même événement peut broyer des vies à tout jamais, alors que d’autres personnes vont puiser en elles une énergie prodigieuse pour rebondir. La bonne nouvelle est que la résilience se travaille. Le cerveau humain est parait-il élastique, avec des connections neuronales anti-déterministes[6].

Pouvoir raconter

Certaines personnes ont eu l’opportunité de faire de leur traumatisme un récit, un spectacle, une œuvre d’art ; elles ont pu ainsi se confronter à leur histoire puis la mettre à juste distance, par une mise en scène, de la poésie, de l’humour, etc. Elles ont maintenu vivant le souvenir de ce qu’elles ont vécu tout en sortant de leur inhibition de victime. Elles ont reçu l’autorisation de parler. Et non l’obligation de parler, ni, à l’opposé, l’obligation de se taire : je pense à ces survivants aux camps de concentration à qui, tacitement, on demandait d’oublier et d’être gai !

Avant de pouvoir raconter, il faut parfois faire émerger à la conscience ce qui s’est passé il y a longtemps, en retrouver les traces dans le corps, revivre une émotion enfouie, la mettre à jour, comprendre ce qui s’est passé. Différentes thérapies ou techniques peuvent y aider.

Rencontrer un tuteur de résilience

Jacques Lecomte écrit qu’ « un être en souffrance peut créer du sens dans son existence lorsqu’il a la possibilité de s’appuyer sur d’autres êtres qui sont en lien avec lui. Certains, notamment parmi les travailleurs sociaux [ou les enseignants], sont de véritables ‘’tuteurs de résilience’’ qui jouent un rôle central dans l’émergence de la résilience d’autres êtres humains : ils constituent un repère solide pour autrui tout en le laissant se développer à sa manière[7] ».

Un tuteur de résilience accompagne, entoure, soutient, accueille inconditionnellement, même le silence, même les rechutes. Il inspire confiance et fait confiance : Yazid Kherfi, qui fut un délinquant et braqueur avant d’initier la Médiation Nomade dans les quartiers[8] et de devenir enseignant à l’Université, remercie encore cette « autre famille qui lui a fait confiance ». Le témoignage de son parcours singulier montre à quel point ce qui pousse à être délinquant, comme à ne plus l’être, est ténu et hasardeux : aucun parcours n’est tracé d’avance, ni irréversible[9].

S’engager dans un projet qui a du sens

Après un premier apaisement lié à une écoute de qualité, la personne en parcours de réparation peut mesurer ses ressources et chercher quels projets, même modestes, l’aideront à reconstruire sa vie : aider d’autres victimes, s’engager dans l’éducation à…, se battre pour obtenir justice, ou tout autre projet constructif. Elle passe ainsi de « qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cela ? » à « je suis la victime d’une violence énorme » et enfin à « cette dure réalité fait partie de ma vie, mais aujourd’hui, qu’est-ce qui dépend de moi et qui pourrait être utile, à moi, à d’autres ? » Je pense à Georges Salines et Azdyne Amimour qui écrivirent à deux ce livre « Il nous reste les mots » ; après le Bataclan, c’est un dialogue entre le père d’une victime et celui d’un terroriste[10].

La résilience, ça ne marche pas à tous les coups

Le processus de résilience s’avère une épreuve en soi, longue, avec ses hauts et ses bas. Le traumatisme ne s’efface pas magiquement grâce à quelques conseils. En 2016, des chercheurs de l’Université de Genève ont prouvé que les traumatismes – viol, maltraitance, guerres – laissent une trace sur l’ADN des victimes[11]. Cette cicatrice, mesurable, se transmet jusqu’à au moins trois générations, mais peut également s’atténuer. « Ce que l’on vit, et la manière dont on gère les événements difficiles, va laisser une réaction sur l’ADN, commente le Dr Belleux. La résilience, notamment, aura le pouvoir de soigner la personne concernée, ainsi que sa descendance. […] Mais il n’existe pas de canevas type pour savoir quel individu aura plus ou moins de facilité à développer des capacités de résilience. »

La fidélité au trauma (en encadré)

Dans un groupe qui a connu un traumatisme, il peut exister une sorte de « fidélité au trauma », collectivement entretenue et qui pollue le regard sur le présent.

Je suis un jour intervenue dans un collège sur les questions d’autorité. Des profs m’ont décrit un récent évènement en me disant « le couloir était à feu et à sang ». À la pause, je m’en inquiétai auprès de la directrice. Elle m’expliqua qu’il s’agissait d’une manifestation un peu bruyante d’un groupe de collégiens suite à une altercation, mais l’incident fut ponctuel et sans fait grave. Mais elle m’informa que douze ans avant, certains de ces profs avaient vécu une agression physique à l’entrée du collège. L’ordre était rétabli depuis longtemps, les élèves n’étaient plus les mêmes… mais le trauma était toujours là.

É. M. (fin encadré)

Non, les épreuves ne sont pas une chance !

J’ai lu dans Wikiados que la résilience est la capacité d’une personne à devenir plus forte « grâce » aux épreuves de la vie. Je m’insurge ! Non les épreuves ne sont pas une chance. Non, une bonne guerre ne forme pas la jeunesse. Les guerres tuent, mutilent, détruisent des familles, appauvrissent les pays. Ce qui aide, ce n’est pas le traumatisme, c’est tout ce qui est mis en place pour vivre quand même ; ce qui aide ce n’est pas la souffrance, c’est toute l’énergie déployée pour renaître de cette souffrance, lui donner un sens. Oui, ce cheminement-là, quand il a été possible, peut rendre plus solide et témoigner d’une foi en la vie et en l’amour plus forts que la mort et la destruction.

Nous avons tous entendu parler de ces personnes devenues des sortes de stars de la résilience : Anne Franck, Etty Hillesum, Nelson Mandela, Barbara, Annie Duperey, Simone Veil ; plus récemment Louis Derungs ou l’acteur François Cluzet. Les entendre peut faire du bien car ils sont la preuve que « rien n’est jamais foutu ». Mais la surmédiatisation de certaines histoires de vie érigées en modèles peut faire souffrir, car la résilience n’est pas une vertu d’excellence à copier, avec de mauvais élèves qui n’y arriveraient pas. Un drame intime surmonté ne devient pas un trophée qui donnerait le droit de snober les autres.

Hop, hop, hop ! Debout face à l’adversité !

Sous la bannière de la résilience, il y a parfois, en particulier chez les tenants du néolibéralisme, le message « quand on veut, on peut ». Nos responsables politiques nous appellent à ne pas subir, mais à nous adapter à plus de rusticité, à devenir une nation plus forte face aux difficultés à venir. Finalement ils nous préparent à avaler des couleuvres, plutôt qu’à élucider les causes des problèmes et à mettre en place des politiques efficaces pour y remédier. Qu’en est-il de la solidarité, de la réduction de la fracture sociale, de l’égalité des traitements et d’une politique écologique à la hauteur des enjeux ?

Le monde du travail s’est aussi emparé de cette notion de résilience. La capacité à rebondir suite à un licenciement, à une détérioration des conditions de travail est forcément intéressante. Les personnels dits résilients coûtent moins cher en soins, supportent mieux les contraintes, sont moins revendicatifs. The Resilience Institute l’a bien compris, qui transmet ses techniques aux managers pour que leurs équipes passent les caps difficiles avec plus de sérénité, aidés par les tuteurs de résilience efficaces que sont les coachs. « Notre approche n’est pas thérapeutique, mais préventive. Elle vise à mobiliser toutes ses ressources plutôt qu’à subir et souffrir », précise Alexia Michiels, associée du Resilience Institute en Europe[12]. Mais est-ce que l’entreprise est interrogée sur son management global, sur la place des syndicats, sur sa politique salariale, sur la responsabilisation de ses personnels ? Hiérarchiser les êtres humains en les jaugeant à l’aune de leur capacité psychique à rebondir déresponsabilise les institutions de leur propre violence institutionnelle. 

Expériences de formatrice (en encadré)

Une école de commerce demande à l’Ifman une formation pour que ses agents d’accueil apprennent à rester zen. En rencontre préalable, je m’inquiète de ce qui préoccupe ces agents. Ceux-ci sont malmenés par des étudiants friqués, pédants et insolents qui restent impunis, et par certains professeurs qui les prennent de haut, du haut de leur doctorat… Les agents ont par ailleurs appris une fusion prochaine entre deux établissements avec des suppressions de postes à la clé. Faut-il les former à prendre de la distance, à se taire et à sourire au guichet ?

Je propose pour les agents des exercices de communication assertive et un travail de discernement sur les causes de leur stress ; pour les cadres éducatifs, un travail de sensibilisation et une réflexion sur la sanction éducative envers les étudiants irrespectueux. J’évoque aussi la question d’un accompagnement des personnels à la perspective de la fusion. Mais la DRH imaginait plutôt des exercices de relaxation. Nous n’aurons pas le marché. Quels agents d’accueil voulons-nous, résignés ou responsables ?

É. M. (fin encadré)


[1].  www.la-croix.com/Debats/resilience-Croix : « La résilience de La Croix s’explique par une capacité à bien négocier les virages, qui va de pair avec une grande stabilité de ses actionnaires ».

[2].  Jean Castex, discours du 16 mars 2022.

[3].  www.lefigaro.fr/conjoncture/en-direct-plan-de-resilience-la-priorite-est-de-proteger-les-menages-et-les-entreprises-declare-jean-castex-20220316

[4].  Bureau International Catholique de l’Enfance : https://bice.org>quest-ce-que-la-resilience

[5].  Boris Cyrulnik, 1999, 8, www.cairn.info/revue-reliance-2006-3-page-12.

[6].  https://www.frcneurodon.org/comprendre-le-cerveau/a-la-decouverte-du-cerveau/la-plasticite-cerebrale/

[7].  Jacques Lecomte, La Résilience. Se reconstruire après un traumatisme, Éditions rue d’Ulm, 2010.

[8].  Voir ANV no 189, « Médiations nomades, une autre convivialité nocturne ».

[9].  Yazid Kerfi, Véronique Le Goaziou, Repris de justesse, La Découverte-Poche,2003.

[10]. Georges Salines et Azdyne Amimour, Il nous reste les mots, Robert Laffont, 2020.

[11]. www.hypnose-psychanalyse.fr/les-traumatismes-sinscrivent-dans-ladn-mais-cette-trace-peut-etre-effacee-reportage/

[12]. www.letemps.ch/societe/resilience-un-must-developpement-personnel

 


Article écrit par Élisabeth Maheu.

Article paru dans le numéro 209 d’Alternatives non-violentes.