Infirmière en soins palliatifs à domicile

Auteur

Génévière Lhopiteau

Localisation

Afghanistan

Année de publication

2012

Cet article est paru dans
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Les soins palliatifs n’existent pas seulement en hôpital. Des associations locales les réalisent à domicile, en coordonnant le travail de différentes personnes compétentes auprès de la personne âgée.

Le cas de Madame M. 


J’entre pour la première fois chez Madame M. âgée de 84 ans. Elle est de retour chez elle après un séjour d’un mois à l’hôpital. Elle y a appris qu’elle est atteinte d’une maladie grave déjà très évoluée. Très consciente de sa situation, elle a demandé au médecin du service de ne pas initier de traitement « déraisonnable 1 ». Depuis longtemps elle a déjà dit à ses enfants que, le moment venu, elle souhaiterait mourir chez elle, dans son univers, parmi les siens.

Le service hospitalier a donc pris contact avec notre réseau Dousopal 2 — réseau de soins palliatifs à domicile en Haute-Normandie — afin d’organiser au mieux le retour de cette dame chez elle. Des aides ont été mises en place qui permettent à cette patiente de bénéficier de soins infirmiers et d’hygiène par une aide-soignante deux fois par jour. Une infirmière libérale assure aussi deux passages pour des soins médicaux plus techniques. Une aide à domicile est également mobilisée pour relayer la famille dans le suivi de la vie quotidienne. Celle-ci s’est également organisée pour assurer une présence auprès de cette maman qui leur a beaucoup donné durant toute sa vie.

J’effectue donc ma première visite en tant qu’infirmière coordinatrice du réseau de soins palliatifs. Je vais y faire connaissance avec la patiente, et pour effectuer une première évaluation globale de sa situation à son domicile. J’évalue en priorité l’état et le niveau de sa douleur physique, j’identifie les symptômes d’inconfort dans son contexte matériel et familial, je suis attentive à sa souffrance morale ou spirituelle ainsi qu’à celle de sa famille. 

La rencontre avec Madame M. et sa famille est très agréable et chaleureuse. Sa conviction et sa détermination exprimées avec tendresse, sont très touchantes. Les gestes quotidiens et toutes les petites attentions de ses enfants disent beaucoup de leur vécu commun.

Suite à cette première visite, je vais suivre à distance l’évolution de la situation de cette dame. J’appelle ses enfants une à deux fois par semaine. Lorsque les symptômes de douleur commencent à résister au traitement, la famille et les soignants me contactent. Avec le médecin du réseau je reviens en visite. Ensemble nous réévaluons la situation, nous choisissons notamment de proposer un soutien au médecin traitant. Nous l’aidons à ajuster sa prescription quant au traitement de la douleur. Il existe aujourd’hui des médications spécifiques qui permettent de soulager avec précision et finesse la douleur sans faire sombrer le patient dans un état d’inconscience. 

Cette seconde visite nous permet aussi de proposer la venue du psychologue. Il peut intervenir aussi bien auprès de la patiente que de ses enfants. Face à l’angoisse de leur mère sentant ses derniers jours venir, ils ont aussi besoin d’être aidés. Le psychologue va ainsi se rendre plusieurs fois à domicile. 


De son côté l’infirmière libérale a pris contact avec notre réseau demandant conseil pour mieux gérer certains symptômes. Notamment l’encombrement des bronches. Cette dame est perfusée la nuit, puisqu’elle ne peut plus ni s’alimenter ni boire. L’infirmière libérale a appris qu’il fallait maintenir cette hydratation, mais constate en même temps l’encombrement des bronches, inconfortable pour la malade. Je lui propose de la rencontrer à domicile. Ce temps d’échange nous permet de croiser nos connaissances et nos pratiques afin de mieux soulager cette patiente.

Lorsque les fonctions vitales d’une personne perfusée — notamment celles du cœur et des reins — ne sont plus efficaces, l’élimination de l’hydratation reçue ne se fait plus suffisamment, il en résulte un encombrement inconfortable voire dangereux. Ainsi, en accord avec le médecin traitant, les perfusions sont arrêtées et remplacées par des soins de bouche fréquents : hydratation de la cavité buccale par pulvérisation d’eau et parfois par des bains de bouche.

La famille de la patiente est très solidaire. Ses différents proches sont présents chacun à leur tour, dans l’attitude la plus juste pour chacun vis-à-vis de cette vieille dame.

Quelques jours plus tard le réseau est rappelé. Je passe un long moment à échanger avec l’infirmière mais aussi à expliquer aux enfants présents, les possibles signes de la fin de vie. Je leur apporte des indications pratiques afin de dédramatiser ce moment et leur donner confiance en eux-mêmes sur leur capacité d’assistance à leur mère. Ainsi ils vont s’organiser pour se relayer auprès de leur mère jusqu’à cet instant-là.

Au cours de ces quelques jours, les enfants sont très présents à leur mère, la caressant ou la prenant dans leurs bras. Leur proximité physique et leurs paroles douces au creux de l’oreille forment comme une enveloppe rassurante pour la vieille dame. Cette présence affective forte soulage aussi la souffrance. Ils parlent avec les professionnels venus pour des soins, infirmière, aide-soignante, intervenant du réseau. Ils disent leurs questions aussi bien sur les soins que sur leurs relations familiales. Ainsi s’interrogent-ils sur leur proximité plus ou moins grande à la patiente. L’équipe de soins palliatifs est là pour entendre leurs questions, mais n’apporte de réponse que sur les questions techniques, elle n’interfère jamais sur la vie familiale. À ces questions, les réponses sont les leurs.

Les enfants se relaient jour et nuit. Le décès survient à domicile. La maman est alors entourée de plusieurs de ses enfants. Ils ont su lire les symptômes de fin de vie et les accepter pour accompagner leur mère dans ce moment ultime. 

À plusieurs reprises, les enfants vont nous dire l’importance pour eux-mêmes d’une action coordonnée des différents soignants. Sans cette aide quotidienne, même avec beaucoup de bonne volonté, ils n’auraient pu réaliser le désir de leur mère. 

Le rôle du réseau est pour une grande part de l’information et de la formation auprès du malade, de son entourage et des professionnels : utilisation des médicaments pour soulager les douleurs, importance de leur prise régulière, augmentation progressive des dosages, effets indésirables possibles de ces traitements — constipation, somnolence, hallucination. 

La posture d’intervenant en soins palliatifs à domicile exige prioritairement d’être à l’écoute du désir de la personne malade, de favoriser l’expression de son désir, d’évaluer les conditions de sa réalisation, et de soutenir la famille et les intervenants à domicile. Ce soutien est aussi moral et spirituel, nous prenons le temps d’écouter tout ce qui a besoin de se dire.

Certaines étapes de la vie peuvent avoir été difficiles à traverser. Elles peuvent rester comme des blessures, pouvant faire vivre de la culpabilité, allant jusqu’à l’impossibilité de dire à ses enfants et ses amis. Les soignants sont, dans ces situations, souvent pris comme confidents. Ils peuvent être des médiateurs qui contribuent à transformer cette souffrance en libération, parfois jusqu’à permettre l’expression de paroles vers des membres de la famille auprès desquels c’était impossible jusqu’alors.
 

 

Le cas de Monsieur R.


Monsieur R. croyait qu’en s’engageant dans l’armée américaine dans les années soixante, il réaliserait son rêve d’aller s’installer aux États-Unis. C’est ainsi qu’il a combattu sous la bannière étoilée au Vietnam. Il en est revenu meurtri des atrocités auxquelles il a contribué. De retour en France, jamais il n’a voulu en parler à ses enfants. Il se sentait habité d’une telle honte qu’il venait à changer de trottoir à chaque fois qu’il croisait un Asiatique. À quelques mois de sa fin de vie, il a rêvé d’un voyage au Vietnam pour « demander pardon à tout un peuple ». C’est ainsi qu’il m’en a parlé. Se sentant écouté, il s’est même autorisé à imaginer faire un tel voyage avec un de ses enfants. Peut-être pourra-t-il leur dire enfin ce qu’il ne leur a jamais révélé ? 

En fin de vie, les malades n’ont souvent plus de projets. Notre rôle est de les aider à oser dire un projet à leur mesure, aussi petit soit-il. Un projet à travers lequel ils puissent, eux-mêmes, réaliser quelque chose d’important avant de mourir. Notre objectif : être dans la vie avec eux, jusqu’à la fin. L’enjeu des soins palliatifs, c’est être dans la vie, dans ce qui reste d’essentiel à vivre, ici et maintenant, pour le malade.

 

 

Monsieur B. habite un mobil home 


Monsieur B. habite un mobil home, au fond d’une cour boueuse. J’enfile mes bottes pour y accéder. En ce mois de janvier, il pleut quotidiennement, le vent d’hiver balaie furieusement ce hameau perdu. Ce patient ne peut plus quitter son lit, son souhait est de rester pour mourir ici. Dans son univers, le sien, celui qu’il a investit depuis plusieurs années. Dans l’herbage contigu, il entend bêler ses moutons, son petit élevage auquel il tient tellement. Pour les soignants, cet abri semble bien précaire. Une hospitalisation semblerait plus raisonnable autant pour le confort que pour l’hygiène. Et pourtant, il a été possible d’installer un lit médicalisé dans cet étonnant habitat. Monsieur B. s’est éteint là quelques jours plus tard comme il le désirait. 

Ce qui m’importe dans mon métier, c’est de pouvoir aider les personnes à réaliser leur désir quant à leur fin de vie. Faire connaître et appliquer la loi de 2005, c’est permettre à toute personne de disposer de toutes les informations pour exercer au maximum son autonomie etparticiper activement aux décisions la concernant. Pour y parvenir en équipe de soins palliatifs, il nous faut favoriser l’écoute 3 et l’expression du patient vis-à-vis de sa famille et des équipes soignantes. Cela prend du temps, mais c’est essentiel, et ça concerne toute personne quel que soit son âge, son origine culturelle ou son lieu de vie. 

Les avancées médicales permettent aujourd’hui de prolonger la vie. Mais il est nécessaire de se poser la question du sens de la vie et du sens de certaines décisions médicales. Une réanimation et une alimentation artificielle peuvent prolonger la vie. Mais cherche-t-on la qualité de la vie, ou la durée de la vie ? Pour moi, ma profession est un métier de qualité de vie, où l’essentiel est de goûter chaque instant où la vie est encore la vie.


1) La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, , relative aux droits des malades et à la fin de la vie, précise à propos des actes de soins : « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. »

2) Dousopal [DOUleur SOins PALliatifs] : association chargée de mission de service public de soins palliatifs à domicile, par l’Agence régionale de santé de Haute-Normandie. Dans chaque région, chaque Agence régionale de santé indique sur son site Internet les associations agréées à cet effet. 

3) Plusieurs associations rassemblent des bénévoles formés à l’accompagnement et à l’écoute de patients en soins palliatifs. SFAP, Société française d’accompagnement en soins palliatifs www.sfap.org JALAMLV, Jusqu’à la mort accompagner la vie. www.jalmalv.fr UNASP, Union nationale pour le développement des soins palliatifs www.soins-palliatifs.org 


Article écrit par Génévière Lhopiteau.

Article paru dans le numéro 162 d’Alternatives non-violentes.