Auteur

Alexandra Scappaticci-Martin

Année de publication

2020

Cet article est paru dans
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Face à l’urgence écologique et sociale, le temps presse. Lassés de manifester sans pour autant être entendus, de plus en plus d’associations, de collectifs et de citoyens se tournent vers la désobéissance civile pour tenter de se faire entendre, et pour cela ils se forment.


« Climat : aux actes ! ». Déployée à 80 mètres de haut, au sommet de la grue du chantier de la cathédrale Notre-Dame, la banderole des activistes de Greenpeace donne le ton. En ce petit matin du 20 juillet, l’ONG dénonce l’inaction climatique d’Emmanuel Macron. Pour son président, Jean-François Julliard, le constat post Covid-19 est sans appel : « Les milliards d’euros accordés sans conditionnalités sérieuses aux secteurs polluants de l’aérien et de l’automobile, le rejet de multiples propositions de la Convention citoyenne pour le climat, le choix de ne pas remettre en cause le CETA montrent bien que les discours verts d’Emmanuel Macron ne résistent pas à l’épreuve des faits ». Un constat partagé par de nombreux militants climatiques, mais pas seulement. Dans son rapport publié le 8 juillet, le Haut Conseil pour le climat étrille l’exécutif : « Le réchauffement climatique induit par les activités humaines continue de s’aggraver, alors que les actions climatiques de la France ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des objectifs qu’elle s’est donnés »1. D’autres actions, ont été organisées cet été, par des militants de Youth for climate et Extinction Rebellion, notamment. Pour prévenir tout dérapage, une action de désobéissance civile nécessite une logistique bien rodée. Rien n’est laissé au hasard : repérage des lieux, plan B en cas de souci, point de rendez-vous avant et après l’action, plan média… Les rôles sont attribués en fonction des compétences et envies de chacun. Il y en a un nombre conséquent : coordinateurs, portes-parole dédiés aux médias ou aux forces de l’ordre, vidéastes, activistes, anges gardiens… Et tout cela, ça s’apprend. Depuis deux ans, les formations à la désobéissance civile font le plein. Et la tendance se confirme. Les camps climats régionaux organisés cet été par Les Amis de la Terre, Alternatiba et Anv-Cop21 ont rencontré un franc succès, de nouveaux militants ont été formés. « Face à l’urgence climatique et sociale, il est temps d’entrer en résistance et les citoyens l’ont bien compris. De plus en plus de personnes se forment à l’action non-violente. Ça promet une belle rentrée » se réjouit Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba.


Apprendre à désobéir

Il y a quelques mois, j’ai suivi l’une de ces formations, dispensée par Les Désobéissants. Crée en 2006 par d’anciens militants de Greenpeace, le collectif organise des sessions de formation d’une journée. Barbe de trois jours, jean, baskets, blouson à capuche et foulard violet autour du cou, Rémi Filliau, 35 ans, se présente. Il est membre des Désobéissants depuis 12 ans, mu par son intérêt pour la défense de l’environnement : « Les moyens légaux de type pétition, manifestation, c’est utile et même indispensables. En revanche ça fait bien longtemps que ça ne suffit plus pour apporter des victoires ». Depuis cinq ans, il forme des citoyens aux techniques de désobéissance civile. Ce samedi de décembre, 21 personnes, hommes et femmes, âgées de 20 à 70 ans, sont entassées avec des inconnus dans le garage d’une maison de banlieue parisienne, transformé en lieu de rencontre associatif. Au fond de la pièce, un grand comptoir sépare la salle de réunion de la cuisine collective dont s’échappent des effluves de café chaud. Rémi enjoint chacun à se présenter et à donner les raisons de sa présence ici. Il y a Pierre, 36 ans, musicien qui n’a jamais milité, obéissant de nature, aujourd’hui il veut « faire des choses concrètes, désobéir parce qu’on n’a plus le choix » ; Sébastien, 37 ans, responsable d’une salle de spectacle, sensibilisé à certaines causes mais inactif, venu « voir ce qu’il peut faire de plus » ; Tomas, 36 ans, sociologue venu trouver des outils « utiles et efficaces ». Il y a aussi Pauline, 22 ans, qui travaille dans le milieu équestre et souhaite se former suite à sa première participation à une action ; Marianne, 58 ans, photographe, « désobéissante dans l’âme » ; Fabienne, 59 ans, infirmière qui « souhaite s’inscrire dans les mouvements de lutte qui émergent », etc. Les cheveux blancs côtoient les dreadlocks, les parcours de chacun diffèrent, mais le constat est unanime : il est plus qu’urgent d’agir pour plus de justice sociale et climatique, quitte à braver la loi si nécessaire.

Positionnement philosophique

« On vous propose de faire une action de fauchage de champ d’OGM de nuit masqué. Vous trouvez ça violent ou non-violent ? Vous participez ou non ? », demande le formateur. La plupart de l’assemblée ne le ferait pas mais ne trouve pas cela violent. D’autres le feraient, comme Philippe et Marianne, deux quinquas aux cheveux blancs. Sourire affable et yeux rieurs cerclés de petites lunettes argentées, Philippe assène : « On n’a plus le temps de tourner autour du pot, masqué, de nuit… si la cause est bonne on s’en fout ! » Marianne, au look assez chic avec son petit manteau noir et ses bottes à talons, abonde, tandis que deux participants secouent la tête l’air réprobateur. Sébastien acquiesce : « Certes, c’est un peu violent pour l’agriculteur… mais je le ferai ». Chacun écoute attentivement l’argumentaire des autres. La même action de fauchage mais de jour, à visage découvert, après avoir contacté la presse remporte en revanche l’adhésion du groupe. L’assemblée entrevoit alors que la définition même de violence/non-violence est subjective. C’est le but de l’exercice : connaître ses limites, sa propre perception de la violence, avant de s’engager dans une action. Rémi Filliau rappelle que « la philosophie de la désobéissance civile consiste plutôt à mener des actions assumées, de jour, à visage découvert, éventuellement afin de se retrouver au tribunal pour créer un débat public. Dans tous les cas, il faut s’attirer la sympathie de l’opinion pour espérer faire avancer les choses et donc être au maximum irréprochables ».
La rencontre physique avec l’adversaire
Revêtus de gilets jaunes, certains participants jouent les gendarmes, ce qui ne manque pas de faire sourire l’assemblée. Les autres, manifestants, doivent mettre au point une stratégie afin de faucher un champ d’OGM. Une partie du groupe occupera les gendarmes tandis que l’autre franchira le cordon pour faucher. Une fois mis d’accord, les faucheurs s’élancent en courant dans le jardin, en scandant « Planète invivable, OGM coupables ! », surpris par les divers obstacles et l’étroitesse du lieu. Le scénario s’effiloche rapidement et l’action devient un joyeux bazar. Une partie des manifestants se jette sur les gendarmes, obligés de les retenir de leurs bras. Tous finissent au sol. Les rires fusent. Quelques faucheurs passent, pas forcément ceux prévus au départ. Puis les gendarmes tentent de déloger les manifestants. Le formateur sonne la fin de l’exercice. La petite troupe, boueuse, ébouriffée, les joues rosies par la mêlée, retourne dans la chaleur confortable du garage. Rémi rappelle les règles de l’action non-violente : « Ne pas arriver en courant, c’est agressif de fait. Il est important d’expliquer les raisons de sa présence, de faire passer son message. Et surtout, de rester polis, même si on se fait insulter ou malmener ».


Résistance à une évacuation

Plusieurs techniques corporelles sont utilisées pour éviter une évacuation trop rapide par les forces de l’ordre, le poids mort, l’anguille, la tortue, le petit train, etc. But de la manœuvre : occuper le terrain le plus longtemps possible pour rendre l’action visible. La tortue nécessite un groupe de cinq personnes, qui prennent place en cercle, au sol. La jambe gauche des uns se cale tant bien que mal sous la jambe gauche des autres. L’opération n’est pas aisée. Les participants se rapprochent, s’attrapent les mains, sous les jambes et se mettent à scander : « On est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat ! » Pendant plusieurs minutes, revêtus de leur gilets jaunes, les policiers d’un jour tentent d’embarquer les récalcitrants, sans succès. « Quand la situation se crispe vraiment, on relâche la tortue, le but n’est pas de se faire matraquer » précise Rémi Filliau.


Atelier juridique

L’aventure se termine parfois au commissariat, voire au tribunal. Les risques juridiques sont pleinement assumés, quoique le plus souvent minimes selon Rémi Filliau. Lui a participé à près de 200 actions et atterri quatre fois devant la justice, écopant d’amendes légères. Lætitia, 41 ans, artisane, écolo convaincue, cheveux courts et verbe haut, joue la prévenue, accusée d’organisation de manifestation illégale. Rémi devient pour l’occasion officier de police judiciaire. Le ton sec, il enchaîne les questions : « Vous avez une pièce d’identité ? Nom et prénom de votre mère ? Vous êtes locataire ou propriétaire ? Quelle profession exercez-vous ? Combien gagnez-vous ? Vous savez pourquoi vous êtes-là ? » Lætitia, calme, répond à chacune d’elle. La scène, très réaliste, vise à apprendre aux participants comment réagir en cas d’interpellation. Un point est fait sur les droits en garde à vue, les comparutions immédiates, les procès. C’est à tous ces risques que de plus en plus de citoyens sont prêts à s’exposer, pour la défense de l’intérêt commun.

1. Lire le rapport du Haut conseil pour le climat : www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-annuel-2020


Article écrit par Alexandra Scappaticci-Martin.

Article paru dans le numéro 196 d’Alternatives non-violentes.