Autant il faut saluer les sanctions économiques et financières prises contre la Russie, comme aussi les décisions d’organisations sportives internationales de la boycotter, autant il convient de désapprouver les promesses de livraisons d’armes à l’Ukraine. Notre solidarité doit d’abord s’exprimer en direction des sociétés civiles ukrainiennes et russes qui ont la capacité de résister sans armes beaucoup plus efficacement.

Toutes les livraisons d’armes à l’Ukraine sont inappropriées, vaines et peuvent être catastrophiques en servant de prétexte à Vladimir Poutine pour davantage légitimer l’occupation militaire de l’Ukraine et la répression sur ses citoyens armés ou non. « Vous voyez bien que les pays occidentaux nous attaquent puisqu’ils envoient des armes pour nous combattre. » Bien entendu, nous ne sommes pas dupes des prétextes nationalistes mis en avant par l’autocrate de Moscou. Ce n’est certainement pas pour cette raison qu’il a décidé d’envahir l’Ukraine et qu’il envisage d’y rester. Les menaces militaires européennes à l’encontre de la Russie étant inexistantes depuis longtemps, il s’agit bien d’un projet d’expansion et d’annexion que le nouvel empereur de Russie entend mener à bien.

Les 26 et 27 février 2022, les promesses de livraisons d’armes européennes à l’Ukraine ont été : Berlin, pour un millier de lance-roquettes antichars et de cinq cents missiles sol-air – les Pays-Bas pour deux cents missiles antiaériens Stinger – la République tchèque pour des armes d’une valeur de 7,6 millions d’euros – la Belgique pour deux mille mitrailleuses et 3 800 tonnes de fuel. La France a annoncé à son tour, à l’issue d’un conseil de défense, avoir « décidé la livraison additionnelle d’équipements de défense aux autorités ukrainiennes », sans plus de précisions. L’UE, quant à elle, a annoncé vouloir acheter des armes et les livrer à l’Ukraine pour un total de 450 millions d’euros (1).

Mais aucun communiqué de ces institutions occidentales ne précise quand et comment ces armes seraient acheminées en Ukraine. Ses aéroports sont tous hors d’usage, les ports de Marioupol et d’Odessa sont déjà entre les mains des armées russes. Il reste les voies terrestres. Qui peut croire que l’aviation russe ne viendrait pas pilonner un tel convoi ferroviaire ou de camions entrant en Ukraine ? Quelle aubaine se serait pour la propagande du Kremlin de pouvoir diffuser des vidéos montrant que la ‘’grande Russie’’ est attaquée ?

Notre conviction est qu’il ne faut pas ajouter de la guerre à la guerre. Exporter et livrer des armes à l’Ukraine, au-delà de la rhétorique sur le soutien aux populations assiégées, ne ferait qu’envenimer le désastre humanitaire qui est en marche. A ce propos, les mots de Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, nous semblent être marqués du sceau du bon sens et de la sagesse. Récusant l’idée d’une intervention militaire extérieure sur le sol de l’Ukraine, il estime que « nous avons d’autres moyens de résistance ». Ces moyens sont les sanctions économiques et financières qui vont porter un coup sévère à la Russie et ses oligarques.

Le discours sur ces livraisons d’armes bien hypothétiques ne sont-ils pas d’abord destinés à faire valoir l’idéologie militaire que des dirigeants européens entretiennent chez eux avec la complicité des lobbies militaro-industriels ? Le dilemme n’est pas entre défense armée et résignation, mais entre résistance armée et résistance civile non-violente.

Il est scandaleux que des responsables politiques européens, toujours prêts à fourguer le produit de leurs usines d’armements, n’aient pas compris, et fait savoir aux Ukrainiens, que la sauvegarde de leur démocratie pourrait s’imposer par une résistance qui s’inspire du combat non-violent. Par les moyens de non-collaboration avec l’occupant, de la désobéissance civile, le blocage économique du pays, l’interpellation par la population des soldats russes, la sauvegarde des institutions démocratiques ukrainiennes par un éventuel gouvernement légitime établi dans la clandestinité si les actuelles venaient à être confisquées par le Kremlin, etc.

De plus, afin de fragiliser le pouvoir de Poutine, il convient de prêter attention aux réactions et mobilisations de la société civile russe qui détient certainement l’une des clés de ce conflit. Le pouvoir de Poutine repose sur l’obéissance et le silence de la population contrainte d’accepter les choix autoritaires du maître du Kremlin. Courageusement, cette société civile se réveille, commence à s’exprimer et à manifester dans la rue, malgré les risques de répression. Notre rôle est de soutenir cette société civile russe, ses réseaux, ses associations, ses leaders, les seuls à même, en refusant de soutenir les mensonges de Poutine, de créer des brèches démocratiques dans les piliers du régime dictatorial de leur pays.

« Soyez résolus de ne servir plus et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même, fondre en bas et se rompre. » (Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1576)

François Vaillant, directeur de la publication Alternatives Non-Violentes
Alain Refalo, membre du MAN, collaborateur de la revue Alternatives Non-Violentes

  1. Voir pour ces annonces lemonde.fr du 27 février 2022.

  2. Pour approfondir les ressources d’une résistance civile non-violente, lire :

https://www.alternatives-non-violentes.org/Revue/Numeros/199_Le_numerique_cest_politique/Le_pouvoir_de_la_non-Violence

puis https://www.irnc.org/IRNC/Qui_sommes-nous/Recherche_information/La_defense_civile_non-Violente

ensuite plus complètement : https://www.leconflit.com/2020/09/de-la-defense-civile-non-violente-a-la-dissuasion-civile-non-violence.html

3. Sur l’actualité de la résistance civile ukrainienne : https://www.mettacenter.org/nonviolencereport/resistance-to-war-in-ukraine-resource-list?fbclid=IwAR1WSdHLjCLmaUNf8P8q5Q_IP-ntVT12f-NBngim6XUV2-q2PVV-hLnjsf4